Les collections du duc d'Aumale au château de Chantilly

07 mai 2003
02m 08s
Réf. 00430

Notice

Résumé :

Le Duc d'Aumale, héritier de Condé, a collectionné dans son château de Chantilly plus de 800 tableaux, c'est la deuxième collection de tableaux anciens en France après le Louvre. Nicole Garnier, conservatrice, nous entraîne dans les coulisses de ce château et nous fait découvrir de nombreux chefs-d'œuvre comme les tableaux de Poussin, ou encore un original de La vierge à l'enfant de Raphaël, identifié récemment.

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Date de diffusion :
07 mai 2003
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Éclairage

Né le 16 janvier 1822, Henri d'Orléans, duc d'Aumale, est le fils du roi des Français Louis-Philippe, et de Marie-Adélaïde de Bourbon. En 1830, à la mort du dernier prince de Condé, son parrain, qui l'a institué légataire universel, il hérite du domaine de Chantilly. C'est en exil en Angleterre, après 1848, qu'il va constituer l'essentiel de ses collections, lui qui avait déjà hérité de Condé d'un certain nombre de tableaux de valeur qui ornaient les cimaises de Chantilly. Sa résidence Orleans House, à Twinckenham, devient musée. Un catalogue de 1862 énumère 157 peintures de diverses écoles, 82 miniatures, 18 émaux, 170 dessins, des gravures, des sculptures, des vitraux, des mosaïques, des manuscrits, des imprimés et des reliures précieuses, ainsi que des meubles, armes, orfèvrerie, céramique, verrerie et ivoires (1). Dans sa collection figurent déjà les Très riches heures du duc de Berry, peut-être le plus beau manuscrit à peinture du monde, que le duc d'Aumale avait acheté en 1855 chez un collectionneur de Gênes.

Après la chute de Napoléon III, le duc d'Aumale revient en France et est élu député de l'Oise en 1871, puis président du Conseil général de ce département. Pensant être définitivement établi en France, il veut ramener ses collections d'Angleterre et édifier une demeure digne d'elles. En 1875, il fait appel à Honoré Daumet pour qu'il dirige la reconstruction de Chantilly. Aumale souhaite que Daumet s'inspire des constructions faites, au XVIe siècle, pour le connétable de Montmorency. Achevé, le château de Chantilly peut accueillir les collections revenues d'Angleterre et les nouvelles acquisitions du duc d'Aumale qui de 1875 à 1888 travaille à l'accroissement et au perfectionnement de sa collection.

Le dernier de ses enfants, le duc de Guise, était mort en 1872. Le duc d'Aumale se pose la question du devenir de son domaine et de ses collections. Par testament du 3 juin 1884, "voulant conserver à la France le domaine de Chantilly dans son intégrité avec ses bois, ses pelouses, ses eaux, ses édifices et tout ce qu'ils contiennent, trophées, tableaux, livres, archives, objets d'art, tout cet ensemble qui forme comme un monument complet et varié de l'art français dans toutes se branches et de l'histoire de [la] patrie à des époques de gloire", il en confie le dépôt "à un corps illustre qui [lui] a fait l'honneur de [l']appeler dans ses rangs à un double titre et qui, sans se soustraire aux transformations inévitables des sociétés, échappe à l'esprit de faction, comme aux secousses trop brusques, conservant son indépendance au milieu des fluctuations politiques" (2). Il s'agit de l'Institut de France, auquel il appartenait au titre de l'Académie française et de l'Académie des Beaux-Arts.

En 1886, après le vote de la loi d'exil du 22 juin et la mesure prise contre lui par le Conseil des ministres le 13 juillet, le duc est de nouveau contraint à quitter la France et décide de faire du legs une donation irrévocable de son vivant à l'Institut sous réserve d'usufruit (3). L'acte est officialisé le 25 octobre et la donation est acceptée par décret présidentiel du 20 décembre.

En 1889, le duc d'Aumale est autorisé à rentrer en France et il revient à Chantilly. Il poursuit l'achèvement du château et l'accroissement de ses collections. Il continue à enrichir le musée qu'il a donné à l'Institut, notamment en faisant revenir de précieux dessins de Jean Clouet représentant des portraits des membres de la famille des derniers Valois et en acquérant quarante miniatures peintes par Jean Fouquet pour le livre d'heures d'Etienne Chevalier, pour la présentation desquelles il fait aménager dans son château une petite pièce polygonale, le Santuario, donnant sur la galerie de Psyché. Raymond Cazelles, ancien conservateur du musée Condé, peut conclure : "sans les acquisitions qui suivent le retour du second exil du duc d'Aumale, le musée Condé ne serait pas tout à fait le prestigieux conservatoire de merveilles qu'il est encore aujourd'hui [...]. Le château reconstruit, ses jardins et son parc réaménagés, les peintures accrochées aux murs, les livres précieux rangés sur les rayons du Cabinet des livres sont un hommage à ceux qui l'ont précédé et qui lui ont légué le domaine patiemment construit au cours des siècles, spécialement un hommage au Grand Condé qui, comme Aumale, a aimé la guerre, les arts et la gloire" (4).

Le musée Condé ouvre le 17 avril 1898, moins d'un an après la mort du duc survenue le 7 mai 1897. Le duc d'Aumale avait exigé que les œuvres de sa collection ne soient ni vendues, ni prêtées et que leur présentation ne soit pas modifiée. C'est pourquoi la muséographie que l'on peut voir dans le reportage, présentée par Nicole Garnier-Pelle, conservateur du musée depuis 1998, est caractéristique de celle des musées du XIXe siècle, avec peu d'espaces entre les œuvres accrochées jusqu'au plafond, la galerie de peintures du premier étage étant éclairée à la lumière naturelle. Dans cet extrait des Racines et des ailes de 2003 sont notamment montrés le portait de Molière par Mignard, l'Autoportrait à vingt-quatre ans de Jean-Dominique Ingres, exposé au salon de 1806 et retravaillé en 1851, l'Automne ou allégorie contre l'abus du vin de Botticelli, les Trois grâces de Raphaël, venant de la collection du cardinal Borghese à Rome, acheté par d'Aumale en 1885, le Massacre des innocents de Nicolas Poussin, acheté en 1854 chez le marchand anglais Colnaghi, tableau dont Nicole Garnier-Pelle souligne l'importance qu'il aura dans l'histoire de la peinture et son influence sur Picasso, thématique qui sera reprise cinq ans plus tard dans l'exposition Picasso et les maîtres au Grand Palais. On aperçoit également le tableau de Nicolas Lancret, Le déjeuner de jambon (1735), acheté par le duc d'Aumale en 1857 et auquel il était particulièrement attaché car il était persuadé que les personnages représentés avaient réellement existé et que figurait parmi eux Philippe d'Orléans.

On perçoit bien là l'importance du musée Condé qui accueille la deuxième plus importante collection de peintures anciennes en France après le Louvre.

(1) Raymond Cazelles, Le duc d'Aumale, Paris, Tallandier, 1984, p. 208.

(2) Ibid., p. 412.

(3) Ibid., p. 433.

(4) Ibid., p. 454.

Philippe Nivet

Transcription

Isabelle Thomas
Trois siècles plus tard, l’ultime propriétaire, le duc d’Aumale y installe ses propres trésors. Voilà. Ça n’a rien à voir avec ce qu’on connait des galeries de peinture aujourd'hui ?
Nicole Garnier
C’est vrai. C’est la présentation du musée privé au public tel qu’au XIXe siècle. Le duc d’Omal, donc, a décidé de léguer ses collections à l’institut de France en 1884. Il nous a demandé de ne pas prêter ses collections et de respecter sa présentation. De ce fait, Chantilly est présenté comme au XIXe siècle.
(Musique)
Isabelle Thomas
Une collection qui donne le tournis. La statue du duc d’Aumale veille sur plus de 800 tableaux, la deuxième collection en France de tableaux anciens après le Louvre. Des chefs-d’oeuvre que chacun connait signés Ingres, Mignard, Delacroix, Botticelli ou Raphaël. Car c’est à Chantilly que les "Trois grâces" s’offrent au public.
(Musique)
Nicole Garnier
C’est une collection tout à fait exceptionnelle. Notamment le Massacre des innocents de Nicolas Poussin qui est peut-être le chef-d’oeuvre de la peinture française du XVIIe siècle
(Musique)
Nicole Garnier
C’est un tableau qui a été les plus admirés jusqu'au XXe siècle, puisque Picasso, entre autres, s’est intéressé à cette oeuvre. Il s’inspirait, d’ailleurs, des femmes qu’on voit à l’arrière-plan du tableau pour sa période méditerranéenne, dans les années 1920. Ces grandes figures bleues avec des chairs un peu grises.
Isabelle Thomas
Autre trésor de la collection : un tableau authentifié comme un Raphaël il y a seulement 24 ans. Le duc d’Aumale pensait posséder deux tableaux du maître. En fait, il en avait trois.
Nicole Garnier
Cette "Vierge de Lorette" qu’on l’a longtemps pensé être une copie d’un original perdu de Raphaël. Et en fait, cette copie s’est révélée tout récemment être un original seulement en 1979, à la suite, en fait, de la découverte d’un de mes collègues, conservateur à Londres, qui étudiait donc le pendant de ce tableau dans sa collection et qui a remarqué, donc, le petit numéro peint sur la face du tableau qui correspond au numéro de l’original dans l’inventaire de la collection Borgese à Rome. Alors pourquoi on n’avait pas reconnu la main de Raphael ? Eh bien, parce que le tableau était dans cet état-là. On vous a laissé, sous le numéro, un petit témoin de l’état du tableau avant la restauration, puisqu’à partir de cette redécouverte, on a évidemment nettoyé l’oeuvre, on a découvert un parfait original de Raphaël.