Le familistère de Godin : l'utopie réalisée
Notice
Jean-Baptiste Godin créé à Guise une industrie de fabrication d'appareils de chauffage en fonte - le poêle Godin- et regroupe son personnel dans un lieu coopérative qu'il appelle le familistère. A sa mort en 1888, il lègue ses usines et le familistères à ses ouvriers en co-propriété. Autour de l'architecte Pierre Riboulet, Annick Osmont, sociologue, Anatole Kopp, architecte , Jean- Louis Veiret, architecte, et M Migrenne bibliothécaire à Guise, décrivent l'organisation de ce lieu encore habité, qui possédait magasins d'alimentation, des bains, une piscine, des crèches, des écoles, une bibliothèque, un théâtre.
Éclairage
Le Familistère de Guise, construit par Jean-Baptiste André Godin (1817-1888), est un exemple rare, si ce n'est exceptionnel, d'une "utopie réalisée". Cette réalisation s'inscrit dans une double filiation : d'une part, celle des cités ouvrières construites à partir du début du XIXe siècle en France et en Europe, d'autre part celle du projet de phalanstère imaginé par le socialiste utopique Charles Fourier (1772-1837). Dans son principal ouvrage, intitulé Solutions sociales (1871), Godin fait en effet un tour d'horizon de plusieurs "cités ouvrières" que les industriels ont financées et ont déjà construites avant lui, comme la cité du Grand-Hornu, réalisée par Henri De Gorge à partir de 1816 (à proximité de Mons), le village de Denain édifié par la Compagnie d'Anzin (1828) et enfin les cités de Mulhouse, de Guebwiller ou encore de Colmar. Godin s'inspire également ouvertement des idées de Charles Fourier qu'il découvre en 1842 et des fouriéristes qu'il rencontre et avec lesquels il échange. Dans son ouvrage intitulé Nouveau Monde industriel et sociétaire (1829), Charles Fourier préconise la mise en œuvre de différents principes architecturaux et urbanistiques susceptibles de répondre aux très vives critiques qu'il porte à la société industrielle qui se met en place à son époque ; il prône, en particulier, la construction d'un phalanstère devant permettre de loger 1620 individus qui pourront y vivre dans un ordre social "harmonieux".
En 1857, Godin prend contact avec l'architecte fouriériste catholique Victor Calland, auteur d'un projet de « Palais de famille », lui-même inspiré du modèle phalanstérien ; celui-ci lui conseille de faire appel à un autre architecte, Albert Lenoir. Pour cause de mésententes avec ce dernier, c'est finalement Godin lui-même qui dresse les premiers plans de son familistère : les formes architecturales et urbanistiques sont celles du phalanstère de Fourier, avec un bâtiment central (édifié de 1862 à 1865), une aile droite (réalisée de 1877 à 1879) et une aile gauche (construite de 1859 à 1860). L'ensemble – usine et familistère – est construit en briques sur un terrain de 18 hectares. Le familistère est plus précisément composé du "palais" et de diverses dépendances – équipements destinés à l'enfance comme la nourricerie, le "pouponnat" (la crèche), équipements commerciaux (l'économat) et bâtiments scolaires, culturels et sportifs (le théâtre, l'école, la buanderie-piscine, etc.). Le "palais " est lui-même constitué de trois bâtiments d'habitation qui possèdent chacun une cour intérieure pavée protégée par une verrière. Cet espace collectif est un espace semi-public à partir duquel des escaliers permettent d'accéder aux coursives puis aux logements qui donnent, en partie, sur cet espace couvert. Ce dernier peut, lors de certains événements, se transformer en lieu de spectacles. Cette disposition et cette configuration des espaces publics et des espaces privés ont conduit certains critiques de l'œuvre de Godin à comparer le familistère à une architecture carcérale. Par ailleurs, fidèle aux principes fouriéristes de confort et d'hygiène, Godin porte une attention particulière à la lumière (les logements sont traversants et sont dotés d'un éclairage au gaz), à l'eau (un point d'eau à chaque étage, de l'eau chaude pour la blanchisserie, de l'eau pour l'arrosage des jardins, etc.).
Selon la classification opérée par Françoise Choay dans son ouvrage L'urbanisme, utopies et réalités. Une anthologie, les écrits de Godin et son familistère s'inscrivent dans les perspectives et les principes du pré-urbanisme progressiste, à l'instar des travaux, des écrits ou des réalisations de Robert Owen, de Charles Fourier, bien sûr, de Victor Considérant, d'Etienne Cabet ou encore de Pierre-Joseph Proudhon. Enfin, l'aventure familistérienne est également unique en France, car elle a duré environ un siècle, de la construction du familistère par Godin dans la seconde moitié du XIXe siècle à la fin des années 1960, moment où les logements sont vendus et où l'entreprise et le familistère sont séparés.
Le familistère a été inscrit, puis classé aux Monuments Historiques en 1991, ce qui a rendu possible la mise en œuvre d'une campagne de restauration des bâtiments lancée à partir de 2000. Un syndicat mixte a été créé en novembre 2000 afin de valoriser le site.
Pour aller plus loin :
Françoise Choay, L'urbanisme, utopies et réalités. Une anthologie, Paris,1965, Editions du Seuil
Michel Lallement, Le travail de l'utopie : Godin et le Familistère de Guise, Paris, 2009,Les Belles Lettres
Thierry Paquot, Marc Bedarida (dir.), Habiter l'utopie : le familistère de Godin à Guise, Paris, 2004, Editions de La Villette