Les velours Cosserat à Amiens

01 octobre 1994
03m 54s
Réf. 00441

Notice

Résumé :

Historique de l'usine Cosserat à Amiens, qui depuis 1793, s'est spécialisée dans la fabrication du velours a partir d'une nouvelle technique à l'époque, moins onéreuse que la méthode anglaise. C'est une véritable dynastie transmise de pères en fils qui s'est constituée. Véritables maîtres de la ville d'Amiens les Cosserat conditionnaient entièrement les habitants : on entrait a l'usine sur recommandation du curé, on se mariait entre ouvriers et on y travaillait en famille. Claude Fauque, auteur de Secrets de velours", explique la technique de fabrication du velours côtelé.

Type de média :
Date de diffusion :
01 octobre 1994
Source :
France 3 (Collection: Mémoires )
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Lieux :

Éclairage

A Amiens, le XIXe siècle marque, sur le plan économique, le triomphe de l'industrie textile, qui s'est développée pendant tout l'Ancien Régime. En 1841, plus de 40 % de la population active est concernée par le textile ; en 1911, encore 33,4 %, contre 4,3 % pour l'ensemble du pays. Une enquête publiée en 1834 dans Le Glaneur montre que la production repose sur trois principaux produits : le velours de coton, les escots, les alépines ; en outre, Amiens était célèbre pour le velours d'Utrecht d'ameublement dont elle a le quasi-monopole (1). Le velours de coton s'était installé en 1765 avec MM. Morgan et Delahaye, qui font office de pionniers ; Roland de Platière prépare son Art du fabricant de velours de coton (1780) grâce au témoignage de leurs ouvriers.

Le reportage, réalisé à l'occasion de leur bicentenaire en 1994, est consacré aux entreprises Cosserat qui ont contribué au XIXe siècle à la prospérité de l'industrie du velours à Amiens (2).

Pierre Cosserat (1767-1832), issu d'une famille de cultivateurs lorrains vivant depuis plusieurs générations dans les Vosges, était arrivé à Amiens à l'automne 1789. Marié en 1794, il s'installe rue Saint-Martin-aux-Waides, au cœur commercial de la ville, près de la cathédrale. C'est le début de la maison Cosserat.Pierre s'établit alors comme marchand-fabricant, vend des "articles d'Amiens" (laines mélangées de qualité moyenne), ainsi que des tissus de coton qu'il fait fabriquer par des travailleurs à domicile dans les campagnes voisines. Il se spécialise dans les velours gaufrés d'Utrecht destinés à l'ameublement, contrôle à son tour la production de velours de coton et de velventines (velours lisses) et installe quelques métiers dans son habitation. A partir des années 1810, il subit la crise qui touche toute la Fabrique d'Amiens, puis la concurrence des velours lisses britanniques. Il réussit néanmoins à rétablir sa position.

Son fils Eugène (1800-1887) travaille avec son père dès l'âge de dix-sept ans et parcourt les campagnes picardes pour distribuer la matière première et rassembler la production. Succédant à son père, décédé en 1832, il s'associe avec le marchand-fabricant Ponche-Bellet et crée en 1832 un tissage impasse des Passementiers, le long d'un bras de la Somme, dans le quartier Saint-Leu. Y sont fabriqués des alépines, tissus de laine et de soie destinés aux vêtements de deuil, puis des velours d'Utrecht. Alors qu'en France on tisse encore majoritairement sur de vieux métiers manuels tandis que les producteurs britanniques maîtrisent parfaitement le tissage mécanique et la vapeur, en 1833, Cosserat et Ponche-Bellet introduisent à Amiens les métiers Jacquard, qui permettent de fabriquer des étoffes façonnées et des étoffes fantaisie et de renouveler les gammes offertes à la clientèle. En 1834, ils sont les premiers entrepreneurs amiénois à s'équiper d'une machine à vapeur.

Confronté à une crise, provoquée notamment par la concurrence de velours anglais beaucoup plus compétitifs, Eugène Cosserat se tourne vers la filature mécanique du lin, cultivé en Picardie et dans le Nord. Pour se procurer les machines anglaises, Eugène monte alors une opération d'espionnage industriel avec un confrère d'origine britannique installé à Amiens, puis il prend contact avec un contrebandier, Lawrence Cannon, qui aurait fait parvenir en pièces détachées dans des balles de coton et des sacs de charbon des machines à filer achetées à Manchester. Celles-ci sont installées dans la nouvelle usine que Cosserat a créée avec Louis Marest à Saleux, à six kilomètres d'Amiens, et qui se développe dans les années 1840.

Sous le Second Empire, Eugène Cosserat est conscient du danger que feraient courir les velours anglais, moins coûteux, à la fabrication amiénoise en cas d'abaissement des tarifs douaniers. En 1856, il part en Grande-Bretagne étudier les usines spécialisées dans le velours et acquiert de nouveaux terrains dans Amiens, en bord de Selle. En 1857, il fait venir 300 machines à tisser automatiques, qui équipent le grand atelier qu'il fait construire faubourg de Hem et qu'il fait actionner par des moteurs hydrauliques et une machine à vapeur. Le tissage de velours de coton Cosserat est le premier bâtiment à toit de sheds de la ville d'Amiens. L'initiative de cette usine "à l'anglaise" fait sensation dans le milieu de l'industrie amiénoise. Alors que la guerre de Sécession provoque une crise de l'approvisionnement en coton, le manufacturier reconvertit à grands frais ses métiers à tisser le coton en métiers à tisser le lin en 1862. En 1870, la maison Cosserat fait définitivement partie du paysage industriel amiénois.

A son décès, Eugène Cosserat laisse une fortune de 2,7 millions à ses enfants, en particulier à son fils Oscar (1830-1910) qui lui succède. Soucieux de ne pas se laisser distancer par les Anglais, Oscar développe la production de velours côtelés pour la fabrication de vêtements de travail destinés à des milliers d'ouvriers français et celle de velours lisses pour l'habillement et l'ameublement. Il s'entoure de deux directeurs de valeur : Gaston Villain à la filature de Saleux, Didier de Monclos au tissage du faubourg de Hem. Il aménage, en 1891, faubourg de Hem une salle de 500 métiers qui suscite l'admiration de Jules Verne et que l'on voit au début du reportage.

Signe de réussite sociale, Oscar Cosserat, en 1865, avait demandé à l'architecte amiénois Pinsard de bâtir son hôtel particulier rue des Rabuissons, l'actuelle rue de la République, en face de la préfecture de la Somme, puis, presque à côté, trois grandes maisons de briques pour ses bureaux d'affaires. L'ensemble est assez austère, loin du faste de l'hôtel Bouctot-Vagniez, par exemple.

La fin du reportage présente des photographies d'ouvriers des usines Cosserat. Dans les années 1860, Eugène et Oscar Cosserat offrent du travail à plus de 600 personnes. Patrons paternalistes, ils construisent des logements ouvriers et créent des cours du soir. A la mort d'Octave, en 1910, l'usine du faubourg du Hem est la plus importante d'Amiens, avec 1400 ouvriers, tandis que la filature de Saleux occupe plus de 400 ouvriers.

L'entreprise Cosserat traversera tous les conflits du XXe siècle, notamment grâce à l'action de Maurice (1861-1940) et de Pierre (1864-1945). Reprise en 2004 par l'entreprise familiale allemande Cord & Velveton, alors qu'elle se trouvait en redressement judiciaire, elle fermera définitivement en 2012.

(1) Ronald Hubscher (sous la direction de), Histoire d'Amiens, Privat, 1986, p. 209-210.

(2) Voir Jean-Marie Wiscart, Les patrons du Second Empire, Picard, éditions Cénomane, 2007 et Marjorie Carlier, Les Cosserat, des patrons catholiques, paternalistes et bâtisseurs à Amiens au XIXe siècle, mémoire de maîtrise sous la direction de Jean-Marie Wiscart, UPJV, 2002.

Philippe Nivet

Transcription

(Bruit)
Elisabeth Phily
Le courant de la rivière la Selle entraînait déjà la roue d’un moulin à huile et à drap en 1668. Et un peu moins de deux siècles plus tard, c’est la maison Cosserat qui s’installait ici même bâtissant au fil des années une grande usine, plus exactement une manufacture de velours. La maison Cosserat fête cette année son bicentenaire. La coupe au fleuret, un savoir-faire unique en France préservé encore aujourd'hui à l’abri de ces ateliers. L’histoire commence avec l’arrivée à Amiens du premier fondateur de l’entreprise, Pierre Cosera. En 1789, quelques mois après la Révolution, un jeune lorrain, Pierre Cosserat, s’implante à Amiens. Et 5 ans plus tard, il fonde la maison Cosserat.
(Musique)
Elisabeth Phily
Pierre Cosserat, comme beaucoup d’autres, a dû s’inspirer d’un ouvrage qui a révolutionné l’industrie. Il s’agit de L’Art du fabriquant de velours écrit par Jean-Marie Roland de la Platière. Cet inspecteur des manufactures a reproduit les nouveaux métiers industriels et les différents postes de travail en questionnant les ouvriers de la toute première manufacture de velours de coton d’Amiens créée par Morgan et Delahaye. Ils ont donc décrit dans le moindre détail des procédés de teinture et d’apprêt. En 1839, Eugène, fils de PierreCosserat, n’hésite pas à demander à un trafiquant anglais d’introduire en contrebande les métiers à filer le coton. Eugène Cosserat connait trop bien l’avance de ses concurrents d’outre-Manche.
Claude Fauque
Et un jour, il y a eu une merveilleuse aventure. C’est qu’en Angleterre, on a inventé le velours de coton, puisque le coton commençait à arriver par l’Amérique et par les colonies. Et on a inventé une nouvelle façon de faire le coton, non plus ce qu’on appelle la technique double chaîne par les métiers traditionnels lyonnais mais, pour simplifier, en enfilant quelque chose dans les côtes du tissu, hop, avec les bandes qui courent les uns à côté des autres, on est arrivé à ouvrir le tissu en hauteur et à donner le velours côtelé. A partir de là, la technique a été moins chère, les matières premières moins chères. Donc on s’est mis à faire du velours de cotons, disons, pour le peuple. Disons que le velours est devenu démocratique. Il a eu son heure de gloire. Et tout ce monde-là qui rêvait de ces tissus doux, de ce tissu merveilleux, on a pu se l’approprier.
(Musique)
Elisabeth Phily
Les ouvriers des établissements Cosserat commençaient à travailler très jeunes, souvent à 14 ans. De condition plutôt modeste, c’est grâce au savoir-faire de chacun que le velours d’Amiens a pu traverser les siècles et rester encore aujourd'hui un velours de qualité. Séparé en différents ateliers, le personnel ne devait en aucun cas pénétrer dans d’autres secteurs que le sien. Discipline oblige, peut-être, aussi fallait-il respecter certains secrets de fabrication. Suivant le travail demandé, l’on séparait volontiers les hommes des femmes. Les unes plutôt canotage ou au contrôle des tissus, les autres aux apprêts, au réglage des machines.
(Musique)
Elisabeth Phily
Oscar Cosserat a succédé à son père Eugène en 1887. Il fonda de nouveaux ateliers avec l’aide de Didier de Monclot. Entouré de ses deux fils, Maurice et Pierre, Oscar Cosserat n’a pas hésité à acheter des brevets qui venaient d’être pris en Angleterre pour la coupe du velours lisse. C’est ici, rue Jules Lardière, en plein centre d’Amiens, qu’était installée la direction, tout près de l’hôtel particulier de la famille Cosserat, à proximité de l’emplacement actuel de la sous-préfecture de la Somme. A la fin du siècle dernier, la maison Cosserat fondait sa propre teinturerie.