L'archéozoologie au CRAVO

12 mai 2003
04m 27s
Réf. 00625

Notice

Résumé :

Découverte du Centre de Recherche et d'Archéologie (CRAVO) de la Vallée de l'Oise à Compiègne. Les chercheurs pratiquent l'archéozoologie. Ils retracent les mode de vie du passé analysant traces d'animaux, plantes ou graines recueillis au cours des chantiers de fouilles. Sébastien Lepetz (CNRS) qui étudie les restes animaux, explique que cette technique permet de comprendre les évolutions techniques ou encore les processus rituels. Benoît Clavel est lui un des deux spécialiste français de l'étude des restes de poissons, ses travaux contribuent à l'histoire de la pêche en Picardie. Véronique Matterne (INRAP) utilise la carpologie qui étudie les graines anciennes pour connaître les premières cultures à l'époque romaine.

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Date de diffusion :
12 mai 2003
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Éclairage

L'archéozoologie étudie les rapports de l'homme et de l'animal grâce aux restes osseux recueillis dans les sites archéologiques. Réduits à l'état de fragments isolés, ils proviennent essentiellement des mammifères domestiques, boeuf, porc et mouton étant les plus fréquents, cheval, chien et chèvre venant ensuite. La chasse et la pêche occupent une place secondaire. Les restes des poissons, oiseaux et petits mammifères ont pu être détruits en grand nombre par les carnivores et la chasse des cervidés et du sanglier n'avait pratiquement aucun rôle dans l'alimentation. A côté d'une majorité de déchets culinaires (os des parties charnues porteurs de traces de découpe), on trouve parfois des rejets d'activités artisanales.

L'archéozoologie nous renseigne sur la découpe et à la répartition des morceaux choisis et dont les modes d'alimentation, les modalités techniques qui régissent l'élevage et donc les types d'économie développés. Les modes de productions (lait, laine, travail) et l'organisation de ces productions (profils des troupeaux, organisation des sites ou des territoires) peuvent être appréhendés. L'étude des âges d'abattage permet de préciser si l'on a affaire à des bêtes de boucherie, abattues à la fin de leur phase de croissance, ou à des animaux réformés. Pour ces derniers, le sexe permet parfois d'entrevoir la production recherchée, notamment pour les bovins, susceptibles d'être utilisés pour le lait ou la traction.

L'archéozoologie permet de déterminer les changements qui ont touché la nature même des animaux élevés. D'abord proches de leurs ancêtres sauvages, les espèces ont vu leur taille décroître au fil du temps pour atteindre à l'âge du Fer des niveaux bien éloignés de ceux rencontrés 5000 ou 6000 ans plus tôt. Sous l'influence des Romains, nous observons des changements significatifs qui, montrent une nette rupture. Les vestiges osseux retrouvés dans les niveaux gallo-romains se distinguent en effet très nettement de leurs homologues protohistoriques par une élévation de la stature des bêtes et pour certaines d'entre elles, une modification de leur morphologie. Les bovins gaulois étaient petits et leur hauteur au garrot s'établissait autour de 1,10 m. Les bovins gallo-romains, qui dominent largement à partir du IIe siècle, sont plus hauts de près de 25 %, avec une taille d'environ 1,35 m. Parallèlement, leur morphologie change. Ils ont des épaules et des cuisses plus développées et des bas de pattes relativement plus courts. Ils sont donc d'une plus grande force et d'un bien meilleur rendement boucher. Entre la fin de la période gauloise et le IVe siècle, la taille moyenne du cheval passe progressivement de 1,25 m à 1,41 m, celle des porcs prend presque 10 cm. La stature moyenne des moutons atteint sont maximum très tôt, au Ier siècle. Excepté le cheval dont la taille se maintient globalement, toutes les autres espèces voient leur taille décroître à partir du Ve siècle pour aboutir à la période carolingienne à un niveau proche voir inférieur de celui de l'âge du Fer.

Certaines améliorations (pour le porc par exemple) sont dues à l'amélioration des souches locales. Pour les chevaux et les bœufs, les évolutions observées témoignent, à la fois de l'importation physique d'animaux de la péninsule italique (parfois dès la période gauloise) et de l'adoption de techniques agronomiques nouvelles apportées par les Romains, basées sur la sélection et l'amélioration des techniques d'alimentation. L'ampleur du phénomène, qui conduit en un siècle et demi au remplacement total d'une forme par une autre, dévoile la rapidité d'assimilation de ces nouveaux savoir-faire par les éleveurs. Quant aux changements qui s'opèrent au début de la période médiévale, les raisons peuvent en être multiples : perte des connaissances zootechniques, oubli des techniques de sélection,... Seul le cheval fait exception. Son statut comme animal de guerre et de prestige est probablement à l'origine d'une attention particulière des éleveurs.

La carpologie est l'étude des semences (fruits et graines) découverts en contexte archéologique. Des prélèvements de terre brute sont réalisés site par site dans la plupart des structures qui apparaissaient favorables (silos, greniers, bâtiments d'habitation, fours). Après trempage des prélèvements, un tamisage est réalisé sous eau sur colonne de tamis de maille de 4 mm, 2 mm, 1 mm et 250 microns. Un tri est ensuite effectué sous loupe binoculaire (10 x et 20 x). En comparant les restes recueillis avec une collection de référence de semences actuelles, nous pouvons établir un spectre pour chaque contexte archéologique et les interpréter. Il est ainsi possible de restituer le milieu ambiant, de déterminer les denrées exploitées et le traitement des récoltes.

Deux catégories de plantes sont essentiellement cultivées : les céréales et les légumineuses. Mais, on constate une nette prédominance des premières sur les secondes, sans que l'on puisse juger si cette disparité reflète des choix de cultures et est dépendante de la taille des parcelles cultivées. Les céréales comprennent des orges à grains nus et vêtus, quatre espèces de blés (engrain, amidonnier, épeautre et froment), auxquelles s'ajoutent l'avoine cultivée, le millet commun et le millet des oiseaux. Le seigle n'est pas mis en culture avant le Ier siècle de notre ère, mais il apparaît deux siècles auparavant comme une mauvaise herbe au sein d'autres récoltes. La liste des légumineuses comprend la lentille, le pois, la féverole, une espèce de fève à petites graines, l'ers et la vesce cultivée. Des plantes dont les graines fournissent des substances oléagineuses ont aussi été cultivées à des fins alimentaires, mais leurs restes sont rarement retrouvées. C'est le cas de la caméline.

En confrontant ces données depuis le Néolithique, nous pouvons ensuite observer l'évolution des choix alimentaires, des pratiques agricoles et des stratégies d'approvisionnement. Les céréales que l'on rencontre au Néolithique sont l'orge, différentes variétés de blé et des légumineuses (pois, fèves et vesces). Au cours de l'âge du Bronze, le répertoire des plantes cultivées reste le même. L'amidonnier et l'orge vêtue, le pois et la féverole représentent des denrées alimentaires de base durant tout l'âge du Fer. L'orge nue disparaît à La Tène ancienne, le millet, la lentille et l'ers régressent très fortement, et de manière continue. La persistance des blés vêtus, comme l'épeautre et l'amidonnier, à l'époque romaine constitue une caractéristique de la Picardie.

Bibliographie :

P. Méniel. Les sacrifices d'animaux chez les Gaulois. Ed. Errance, Paris, 147 p.

Sebastien Lepetz. L'animal dans la société gallo-romaine de la France du Nord. Revue Archéologique de Picardie, n° spécial 12, 1996. 174 p.

V. Matterne. Agriculture et alimentation végétale durant l'âge du Fer et l'époque gallo-romaine en France septentrionale, Archéologie des Plantes et des Animaux, I, Montagnac, 2001, 310 p.

Tahar Ben Redjeb

Transcription

Hervé Bruat
Bonsoir. Nous sommes à Compiègne. Et ce soir, nous allons parler archéologie, plus précisément du CRAVO, le Centre de Recherche d’Archéologie de la Vallée de l’Oise. Les chercheurs pratiquent l’archéozoologie. Ils retracent le mode de vie de nos ancêtres en analysant le matériel archéologique qu’ils ont recueilli au cours des chantiers de fouille.
(Bruit)
Hervé Bruat
Etrange impression devant ces centaines d’ossements recueillis sur les chantiers de fouille d’Europe voire du monde entier. Bientôt ces vestiges livreront leurs secrets. Les archéozoologues, tels des fins limiers, étudieront les nombreux indices qu’ils renferment. Ils ajouteront ainsi une part de vérité à cette prodigieuse aventure qu’est l’épopée de l’humanité.
Sébastien Lepetz
On arrive, grâce aux ossements animaux, à avancer dans la connaissance de l’histoire de l’élevage, de l’histoire des techniques agro-pastorales, voir à partir de quand certaines techniques sont apparues ou pas. Ou bien un autre faciès de cette approche est de connaître l’implication de l’animal par exemple dans les rituels. L’animal est au centre du processus rituel c'est-à-dire que pour la période romaine ou la période gauloise, il n’est pas d’acte rituel sans sacrifice d’un animal. Autrement dit, l’animal a une place prépondérante.
Hervé Bruat
Sébastien dépend du CNRS. Son meilleur souvenir d’archéologue, il l’a connu lors d’une fouille en Asie centrale pour mettre au jour des tombes contenant 13 chevaux parfaitement conservés dans la terre gelée.
Sébastien Lepetz
Donc ces chevaux ont été retrouvés tels quels quasiment qu’ils avaient été enterrés avec leurs poils, leur viande, leur peau et aussi leurs éléments de harnachement en or, en bois. Et donc l’un des grands enjeux de la fouille, c’était de prélever ces animaux (on les a prélevés en bloc encore gelés), de les transporter dans un grand camion frigorifique et de les stocker le temps de l’étude. Et on sortait au fur et à mesure les chevaux pour les fouiller et les dégeler, faire les prélèvements, les différents prélèvements qu’il fallait faire.
Hervé Bruat
Au premier étage, Benoît Clavel s’affaire sur ces arrêtes et ces écailles. Il est l’un des deux spécialistes français dans l’étude des restes de poissons. Ces travaux ont ouverts de nouveaux horizons à l’archéologie picarde et à l’histoire de la pêche.
Benoît Clavel
Au tout début du Moyen Age, effectivement, la pêche en tout cas dans nos régions Nord-Pas-de-Calais et Picardie, est assez peu développée sur le littoral. Donc dans des régions comme Amiens jusque, peut-être, au VIe, VIIe siècle, on va manger surtout du poisson d’eau douce. A Compiègne également, par exemple, site un peu plus éloigné. Mais à partir du XIe siècle, on commence à voir arriver, dans des villes comme Compiègne et même Paris, un peu plus loin, des poissons comme le hareng, des poissons comme le carrelet, qui, visiblement, sont des poissons, au tout début de Moyen Age, des poissons de conserve. C’est la denrée qu’on va exporter assez loin.
Hervé Bruat
Les problèmes de pollution ne datent pas d’aujourd'hui. Benoit a mis en lumière ces phénomènes auxquels étaient confrontés déjà nos ancêtres.
Benoît Clavel
Ça, c’est un esturgeon du IIIe pêché à Amiens. Et ça, c’est un esturgeon du XIIe siècle pêché dans l’Oise, dans l’Oise, en fait, retrouvé à Compiègne. Donc rien que par la taille, on sait déjà qu’il y a une dégradation. Le poisson baisse en taille parce qu’il y a une surpêche, mais il va disparaître aussi totalement parce qu’il y aura desraisons de pollution.
Hervé Bruat
Autre spécialité, la carpologie. C’est l’étude des graines anciennes. C’est le domaine de Véronique Matterne. Tout commence par le tamisage d’échantillons prélevés sur le terrain. Les précieuses découvertes, étudiées au microscope, renseignent précisément sur la nature des paysages, les cultures et l’alimentation. Les premières plantations d’arbres fruitiers ont été connues par cette technique.
Véronique Matterne
Comme fait marquant, par exemple, au début de l’époque romaine, toute l’apparition des arbres fruitiers, des arbres fruitiers domestiques qu’on n’a pas du tout précédemment. On récolte essentiellement des espèces sauvages. Par exemple, on consomme du gland, on récolte des pommes sauvages, des noisettes, des prêles. Et avec le début de l’époque romaine, on voit apparaitre toutes les espèces y compris d’importation.
Hervé Bruat
Le moral n’est pas au beau fixe pour tous ces chercheurs. Leur belle découverte risque de s’arrêter net. Une épée de Damoclès pèse, en effet, sur le CRAVO avec le projet de loi sur l’archéologie préventive proposée par le gouvernement Raffarin en juin prochain.