La Manufacture nationale de la Tapisserie à Beauvais

08 janvier 2002
05m 53s
Réf. 00734

Notice

Résumé :

Reportage à la Manufacture nationale de la Tapisserie à Beauvais où, depuis plus de trois siècles, on y fabrique des tapisseries avec pratiquement les mêmes techniques. Présentation de ce travail avec Philippe Playe, Annaïck Le Guen, Gérard Michot, Odile Geillé, lissiers, Gérard Tartas, chef des travaux. A la Galerie nationale de la tapisserie se tient une exposition sur les dix ans de travaux des Gobelins, et de Beauvais, ce qui va permettre de faire mieux connaître Beauvais. Alain Masselin, responsable de la Manufacture explique quel est son rôle. Rappel historique de l'évolution de la Manufacture depuis Colbert.

Type de média :
Date de diffusion :
08 janvier 2002
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Éclairage

Il ne faut pas confondre la Galerie nationale de la Tapisserie et la Manufacture nationale de la Tapisserie sises l'une et l'autre dans la ville de Beauvais, toutes deux liées, bien évidemment, par les productions mais fondées à des dates distinctes. Tout commence en effet avec la fondation, par Colbert en 1664, d'une Manufacture Royale, fermée sous la Révolution, réouverte par Napoléon en 1804 et devenue à terme Manufacture nationale. Avec la Manufacture des Gobelins et à la différence des Manufactures privées d'Aubusson, Beauvais alimente les commandes faites par l'État aux artistes contemporains. Le commentaire diffusé en 2002 par la télévision montre intelligemment comment l'art de la tapisserie de basse lisse n'a pour ainsi dire pas changé depuis le XVIIe siècle. Sur les fils de la chaîne tendus à l'horizontale devant lui, le lissier fait naviguer les flûtes contenant les fils de couleur préalablement échantillonnés pour correspondre au carton de l'artiste. La difficulté de l'exécution tient au fait que le lissier travaille sur l'envers de la chaîne. Conçue à l'origine par Colbert pour concurrencer les prospères manufactures des Flandres, riches d'une longue tradition (Arras, Tournai, Bruxelles) la Manufacture nationale de Beauvais se sera surtout développée sous Louis XV grâce à l'artiste Jean-Baptiste Oudry. Mise en péril par la seconde guerre mondiale et la destruction quasi totale de Beauvais par l'aviation allemande le 8 Juin 1940, laquelle aplatit l'ensemble de la ville à l'exception de la cathédrale dont les vitraux seuls furent soufflés, la Manufacture nationale trouva refuge aux Gobelins pour ne revenir à Beauvais qu'en 1989 où elle intégra d'anciens abattoirs. Parallèlement et sous l'impulsion du ministre de la Culture André Malraux, lors des célébrations en 1964 du tricentenaire de la Manufacture, fut créée une Galerie nationale de la tapisserie, inaugurée en 1976 par la secrétaire d'État Françoise Giroud. Le bâtiment discret et bas, situé au chevet de la cathédrale, adossé au rempart gallo-romain, est devenu propriété de la ville en 2013. Il abrite des expositions temporaires ainsi qu'une collection de tapisseries et de mobilier. C'est pour cette Galerie que le peintre Henri Matisse fit don à la ville de sa tapisserie intitulée Le Ciel.

Jacques Darras

Transcription

Jean-Pierre Rey
Ici, en 1664, Colbert, secrétaire d’Etat de Louis XIV, créa la première manufacture royale de la tapisserie. Depuis plus de 3 siècles, on y fabrique encore des tapisseries avec pratiquement les mêmes techniques que sous le roi Soleil. Alors dans un monde sans cesse en mouvement, pourquoi les tapisseries de Beauvais sont-elles encore fabriquées à l’ancienne ? Pour comprendre, on se rend dans les ateliers de la manufacture.
(Bruit)
Journaliste
Le geste est ancestral. A l’aide des flûtes, ces petits cylindres de bois sur lesquels sont enroulées les différentes couleurs de laine, le lissier tisse sa tapisserie comme au XVIIe siècle.
Philippe Playe
C’est même une technique beaucoup plus ancienne qui est dérivée des coptes Egyptiens. Et pas évoluée tout simplement parce qu’on a toujours nos fils de chaîne, cette contrainte. Les fils de chaîne sont tendus entre les deux rouleaux.
Journaliste
Ce métier à tisser dit de basse lisse car placé à l’horizontal permet une réalisation de qualité exemplaire. Le lissier travaille toujours à la lumière du jour et sur l’envers de la tapisserie. Pour vérifier son travail, petite astuce.
Philippe Playe
On est obligé de vérifier avec un miroir sous la chaîne. On regarde si le dessin correspond à ce qui est derrière, notre modèle.
Annaïck Le Guen
Dans les mauves, plus particulièrement, plus on les fonce, plus ça grise. Et ce que le peintre a bien précisé, c’est qu’il voulait des couleurs intenses…
Journaliste
Tout commence par l’échantillonnage. A l’aide du carton, c'est-à-dire, le dessin original de l’artiste, le lissier choisi ses couleurs de laine. Une étape décisive pour donner au textile l’illusion de la peinture.
Annaïck Le Guen
Dans l’échantillonnage, c’est important que ça soit très équilibré. On mêle tant, deux brins de violet, un brin de bleu ou l’inverse, je vais pouvoir décliner un chiné en rangeant mes trois brins qui seront sur ma flûte de façon différente, en mettant le clair dessus, le clair au milieu ou le clair dessous. Et ça suffira, dans une surface travaillée à donner des vibrations sans changer la couleur.
(Bruit)
Journaliste
Vient ensuite le calque. L’orignal est agrandi aux dimensions de la tapisserie. Chaque zone colorée est retracée.
Gérard Michot
Le calque sert à voir un motif, un dessin sous la chaîne pour pouvoir se servir de… pour avoir un guide pour faire l’exécution de la tapisserie.
Philippe Playe
Je vais appliquer mon dessin, c'est-à-dire le calque de l’oeuvre qui est derrière mais à l’échelle de la tapisserie qui est un dessin inversé du modèle puisque je travaille sur l’envers.
Odile Geillé
Est-ce que je fais passer le blanc, là ? Un petit peu, quand même ?
Gérard Tartas
Le lissier est avant tout un interprète. C’est un petit peu, si vous voulez, comme un musicien devant sa partition qui interprète selon sa sensibilité.
Journaliste
Mais le lissier ne doit pas oublier que le compositeur, c’est l’artiste. L’interprète doit rester fidèle à l’esprit de la création.
Odile Geillé
Un jour, on est bien, on avance bien, tout va bien. Et le lendemain, on ne sait pas pourquoi, on est obligé de défaire, de… Ça ne marche pas, quoi, en fait. Et c’est un métier que j’aime beaucoup parce qu’il y a beaucoup d’humain là-dedans, en fait. Il y a du sensitif, du sensible, de l’émotion aussi.
Journaliste
Des émotions qu’Odile va vivre longtemps. Il lui faudra beaucoup de persévérance.
Odile Geillé
Il me faudra au moins 2 ans et demi, 3 ans puisque la tapisserie fait presque 10m², en fait.
Journaliste
Après avoir tissé plusieurs kilomètres de fil de laine, la tapisserie d’Odile, comme celle des autres lissiers de Beauvais, ira enrichir la collection nationale. Dans cette galerie nationale de la tapisserie se tient actuellement une exposition. Avec des pièces remarquables, elle retrace 10 ans de travaux des manufactures parisiennes comme les Gobelins ou la Savonnerie mais aussi celle de la manufacture de Beauvais. Alors cette expo devrait mieux faire connaître la manufacture de la capitale de l’Oise, car à l’inverse d’Aubusson, on en entend un peu moins parler. Pourquoi monsieur Masselin ?
Alain Masselin
Oui, effectivement. Aubusson travaillant pour le secteur privé, alors que les manufactures d’Etat, les Gobelin et de Beauvais, travaillent pour le mobiler national, les collections, d’Etat, pour le ministère de la culture. Et l’ensemble de ces productions, depuis 300 ans, sont destinées à tous les édifices publics français : ministères, ambassades, consulats.
Journaliste
Alors ici, à Beauvais, est-ce que vous faites de la copie d’ancien ?
Alain Masselin
Non, l’objectif des manufactures de Beauvais ou des Gobelins et de travailler d’après des artistes contemporains comme l’ont fait nos prédécesseurs depuis 300 ans.
Journaliste
Vous travaillez donc pour les générations futures ?
Alain Masselin
On travaille pour les générations futures comme ont pu le faire nos prédécesseurs au XVIIIe d’après Jean-Baptiste Oudry et Boucher.
Journaliste
Créée en 1664 par Colbert, la manufacture de la tapisserie de Beauvais ne travaille pas que pour le roi. Située sur la route des Flandres, elle doit concurrencer cette région du nord aux tapisseries très prisées au XVIIe siècle. Malgré l’interdiction faite par Sully d’acheter à l’étranger, la clientèle privée se fait rare à Beauvais. Les tapisseries sont vendues à perte. La situation n’est pas brillante. Mais sous Louis XV, tout change. Le célèbre peintre Jean-Baptiste Oudry devient le dessinateur officiel de Beauvais. La manufacture prospère. Après la Révolution, elle est rattachée à l’Etat, et Napoléon commande de nombreuses tapisseries pour les châteaux et palais de l’empire. Et pendant la seconde Guerre mondiale, les bâtiments sont bombardés. Les métiers et les tapisseries de Beauvais sont transférés dans la Creuse, en zone libre. Puis la manufacture continue son activité à Paris. En 1989, elle revient à Beauvais, dans les murs des anciens abattoirs municipaux. Aujourd'hui, 16 lissiers y perpétuent la tradition des tapisseries en laine, parfois agrémentée de soie. Les pièces d’exception, elles, sont cousues au fil d’or.