Antraigues et Jean Ferrat
Notice
Jean Ferrat est venu s'installer en Ardèche à Antraigues. Le reportage évoque son attachement à la vie du village, à sa communauté. Son ami, l'artiste Jean Saussac, parle d'une osmose entre le chanteur et l'Ardèche.
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Éclairage
La séquence proposée constitue un extrait de Midi 2, magazine de la mi-journée diffusé sur Antenne 2. Jean Ferrat (Jean Tenenbaum, dit ; Vaucresson,1930 – Aubenas, 2010) est venu y présenter son nouvel album, Ferrat 80, sur lequel figure notamment la chanson Le bilan où il dénonce la dictature stalinienne, en réaction aux propos du premier secrétaire du Parti communiste français, Georges Marchais qui, dans un article de l'Humanité du 13 février 1979, avait qualifié de « globalement positif » le bilan de l'URSS et des pays de l'Est. Ce n'est cependant pas cette chanson polémique qui est évoquée ici, mais un autre titre de l'album, Mon pays était beau, souvent présenté comme une suite de La Montagne, l'une de ses chansons les plus connues enregistrée en 1964. C'est donc de la relation de Jean Ferrat à l'Ardèche, le département de Rhône-Alpes où il s'est installé définitivement en 1973, dont il est question.
L'extrait s'ouvre sur un portrait sensible et poétique de Jean Ferrat esquissé par son ami Jean Saussac. Formé entre 1945 et 1948 à l'Académie de Montparnasse, à Paris, Jean Saussac (Paris, 1922 – Antraigues, 2005), parallèlement à son œuvre prolifique de peintre, fresquiste, mosaïste et illustrateur, a été décorateur de cinéma (Le vieux fusil de Robert Enrico, 1975) et surtout de théâtre, à la Gaîté Montparnasse, au Vieux Colombier à Paris et à la Comédie de Saint-Étienne, alors dirigée par Jean Dasté. C'est là qu'il fait la connaissance de Gabriel Monnet (Montmédy, 1921 - Montpellier, 2010), comédien et metteur en scène d'origine ardéchoise, qui le présente à Jean Ferrat. Jean Saussac lui fait découvrir l'Ardèche et le village de ses ancêtres, Antraigues-sur-Volane, au printemps 1964. Ferrat a raconté à plusieurs reprises son premier séjour à Antraigues, où il s'arrête brièvement au cours d'une tournée ; il y revient pendant l'été et, séduit par le site, achète une maison en ruine au bord de la rivière. Pendant les travaux, il séjourne à Lo Podello, sur la place de la Libération, cœur du village et théâtre de mémorables parties de boules qui ont fait comparer Antraigues à Saint-Paul-de-Vence, voire au Saint-Tropez de la grande époque. Lo Podello, tenu par Hélène Baissade, peintre et poète, est beaucoup plus qu'un restaurant, c'est un lieu de rencontre, de débat, d'exposition, un centre culturel permanent devenu mythique ; ce n'est pas par hasard que Saussac a choisi d'y être filmé pour ce reportage. C'est à Lo Podello que, pendant l'été 1964, Jean Ferrat compose La Montagne, en une demi-heure disait-il ; il la propose à son épouse Christine Sèvres (Jacqueline Christine Boissonnet dite ; Paris, 1931 – Marseille, 1981), comédienne et chanteuse. Elle ne l'interprètera en définitive pas, offrant ainsi à Ferrat l'un de ses plus grands succès.
Lorsque qu'il achète sa maison, Jean Ferrat est déjà connu : son premier succès, Ma Môme, a été enregistré en 1959, et son premier album, en 1961, a reçu le prix de la SACEM. A Antraigues, il rejoint de nombreux artistes, amis de Saussac qui a su leur faire partager son attachement à son village : Jacques Brel, Catherine Sauvage, Pierre Brasseur y possèdent déjà leur maison, bientôt suivis par Francesca Solleville. Isabelle Aubret y résidera, Lino Ventura, Claude Nougaro entre autres y séjourneront. Ce sont les grandes heures d'Antraigues, les années où Brel, Brasseur, Ferrat, Catherine Sauvage se produisent aux Nuits d'Antraigues, créées par Saussac en 1966, comme plus tard aux banquets républicains, grands rassemblements festifs contre le racisme et l'intolérance.
A l'origine de l'indéfectible amitié des « deux Jean » figure une conscience politique commune. En 1943, Jean Saussac s'est engagé dans les Francs-Tireurs et Partisans d'Antraigues (FTP), mouvement de Résistance armée créé en 1941 par le Parti communiste français. Contrairement à Ferrat qui, adhérent à la CGT dans sa jeunesse, fut « compagnon de route » et habitué de la Fête de l'Humanité, Saussac, lui, est membre du Parti, ce qui ne l'empêche pas de dénoncer ses dérives ; c'est sous l'étiquette communiste qu'il se présente à la mairie d'Antraigues, terre de ses ancêtres parmi lesquels figure le député conventionnel François-Joseph Gamon. Il sera maire de la commune de 1965 à 1977, soutenu pour le domaine de la culture par Jean Ferrat, conseiller municipal de 1970 à 1983. Ils partagent une même vision de l'Ardèche, que l'un chante et l'autre peint, certes pragmatique, puisqu'ils y vivent la plupart du temps, cependant l'image qu'ils en produisent est également idéologique. Antraigues-sur-Volane (577 habitants en 2008, 2 000 en 1860), situé dans la vallée de la Volane, sur la coulée basaltique du volcan de la Coupe d'Aizac, à quatorze kilomètres au nord d'Aubenas, est représentatif de la partie centrale du département où l'industrie textile s'est installée au début du XIXe siècle : on y a compté jusqu'à six usines à soie (moulinages). Cependant ce n'est pas cette terre d'industrie, qui employait les femmes de la commune, qu'ils mettent en scène. L'Ardèche de Ferrat comme de Saussac, c'est un pays de terrasses et de châtaigneraies, une terre de paysans belle et contestataire, rude et désertée (la densité démographique est passée de 120 habitants au km2 au milieu du XIXe siècle à 52 de moyenne aujourd'hui), enclavée (comme le remarque Ferrat, l'Ardèche ne bénéficie plus de desserte ferroviaire depuis 1970) et appauvrie culturellement et économiquement par la société de consommation. Elle sera bientôt un terrain d'expérimentation des néo-ruraux, artisans de la renaissance rurale entamée dans les années 1970 : Pierre Rabhi, créateur de Terre et Humanisme et théoricien de l'agroécologie, s'installe à Lablachère, à 40 kilomètres au sud d'Antraigues, dès 1960.