Antraigues et Jean Ferrat

18 novembre 1980
04m 41s
Réf. 00010

Notice

Résumé :

Jean Ferrat est venu s'installer en Ardèche à Antraigues. Le reportage évoque son attachement à la vie du village, à sa communauté. Son ami, l'artiste Jean Saussac, parle d'une osmose entre le chanteur et l'Ardèche.

Date de diffusion :
18 novembre 1980
Source :
Antenne 2 (Collection: MIDI 2 )
Personnalité(s) :
Thèmes :

Éclairage

La séquence proposée constitue un extrait de Midi 2, magazine de la mi-journée diffusé sur Antenne 2. Jean Ferrat (Jean Tenenbaum, dit ; Vaucresson,1930 – Aubenas, 2010) est venu y présenter son nouvel album, Ferrat 80, sur lequel figure notamment la chanson Le bilan où il dénonce la dictature stalinienne, en réaction aux propos du premier secrétaire du Parti communiste français, Georges Marchais qui, dans un article de l'Humanité du 13 février 1979, avait qualifié de « globalement positif » le bilan de l'URSS et des pays de l'Est. Ce n'est cependant pas cette chanson polémique qui est évoquée ici, mais un autre titre de l'album, Mon pays était beau, souvent présenté comme une suite de La Montagne, l'une de ses chansons les plus connues enregistrée en 1964. C'est donc de la relation de Jean Ferrat à l'Ardèche, le département de Rhône-Alpes où il s'est installé définitivement en 1973, dont il est question.

L'extrait s'ouvre sur un portrait sensible et poétique de Jean Ferrat esquissé par son ami Jean Saussac. Formé entre 1945 et 1948 à l'Académie de Montparnasse, à Paris, Jean Saussac (Paris, 1922 – Antraigues, 2005), parallèlement à son œuvre prolifique de peintre, fresquiste, mosaïste et illustrateur, a été décorateur de cinéma (Le vieux fusil de Robert Enrico, 1975) et surtout de théâtre, à la Gaîté Montparnasse, au Vieux Colombier à Paris et à la Comédie de Saint-Étienne, alors dirigée par Jean Dasté. C'est là qu'il fait la connaissance de Gabriel Monnet (Montmédy, 1921 - Montpellier, 2010), comédien et metteur en scène d'origine ardéchoise, qui le présente à Jean Ferrat. Jean Saussac lui fait découvrir l'Ardèche et le village de ses ancêtres, Antraigues-sur-Volane, au printemps 1964. Ferrat a raconté à plusieurs reprises son premier séjour à Antraigues, où il s'arrête brièvement au cours d'une tournée ; il y revient pendant l'été et, séduit par le site, achète une maison en ruine au bord de la rivière. Pendant les travaux, il séjourne à Lo Podello, sur la place de la Libération, cœur du village et théâtre de mémorables parties de boules qui ont fait comparer Antraigues à Saint-Paul-de-Vence, voire au Saint-Tropez de la grande époque. Lo Podello, tenu par Hélène Baissade, peintre et poète, est beaucoup plus qu'un restaurant, c'est un lieu de rencontre, de débat, d'exposition, un centre culturel permanent devenu mythique ; ce n'est pas par hasard que Saussac a choisi d'y être filmé pour ce reportage. C'est à Lo Podello que, pendant l'été 1964, Jean Ferrat compose La Montagne, en une demi-heure disait-il ; il la propose à son épouse Christine Sèvres (Jacqueline Christine Boissonnet dite ; Paris, 1931 – Marseille, 1981), comédienne et chanteuse. Elle ne l'interprètera en définitive pas, offrant ainsi à Ferrat l'un de ses plus grands succès.

Lorsque qu'il achète sa maison, Jean Ferrat est déjà connu : son premier succès, Ma Môme, a été enregistré en 1959, et son premier album, en 1961, a reçu le prix de la SACEM. A Antraigues, il rejoint de nombreux artistes, amis de Saussac qui a su leur faire partager son attachement à son village : Jacques Brel, Catherine Sauvage, Pierre Brasseur y possèdent déjà leur maison, bientôt suivis par Francesca Solleville. Isabelle Aubret y résidera, Lino Ventura, Claude Nougaro entre autres y séjourneront. Ce sont les grandes heures d'Antraigues, les années où Brel, Brasseur, Ferrat, Catherine Sauvage se produisent aux Nuits d'Antraigues, créées par Saussac en 1966, comme plus tard aux banquets républicains, grands rassemblements festifs contre le racisme et l'intolérance.

A l'origine de l'indéfectible amitié des « deux Jean » figure une conscience politique commune. En 1943, Jean Saussac s'est engagé dans les Francs-Tireurs et Partisans d'Antraigues (FTP), mouvement de Résistance armée créé en 1941 par le Parti communiste français. Contrairement à Ferrat qui, adhérent à la CGT dans sa jeunesse, fut « compagnon de route » et habitué de la Fête de l'Humanité, Saussac, lui, est membre du Parti, ce qui ne l'empêche pas de dénoncer ses dérives ; c'est sous l'étiquette communiste qu'il se présente à la mairie d'Antraigues, terre de ses ancêtres parmi lesquels figure le député conventionnel François-Joseph Gamon. Il sera maire de la commune de 1965 à 1977, soutenu pour le domaine de la culture par Jean Ferrat, conseiller municipal de 1970 à 1983. Ils partagent une même vision de l'Ardèche, que l'un chante et l'autre peint, certes pragmatique, puisqu'ils y vivent la plupart du temps, cependant l'image qu'ils en produisent est également idéologique. Antraigues-sur-Volane (577 habitants en 2008, 2 000 en 1860), situé dans la vallée de la Volane, sur la coulée basaltique du volcan de la Coupe d'Aizac, à quatorze kilomètres au nord d'Aubenas, est représentatif de la partie centrale du département où l'industrie textile s'est installée au début du XIXe siècle : on y a compté jusqu'à six usines à soie (moulinages). Cependant ce n'est pas cette terre d'industrie, qui employait les femmes de la commune, qu'ils mettent en scène. L'Ardèche de Ferrat comme de Saussac, c'est un pays de terrasses et de châtaigneraies, une terre de paysans belle et contestataire, rude et désertée (la densité démographique est passée de 120 habitants au km2 au milieu du XIXe siècle à 52 de moyenne aujourd'hui), enclavée (comme le remarque Ferrat, l'Ardèche ne bénéficie plus de desserte ferroviaire depuis 1970) et appauvrie culturellement et économiquement par la société de consommation. Elle sera bientôt un terrain d'expérimentation des néo-ruraux, artisans de la renaissance rurale entamée dans les années 1970 : Pierre Rabhi, créateur de Terre et Humanisme et théoricien de l'agroécologie, s'installe à Lablachère, à 40 kilomètres au sud d'Antraigues, dès 1960.

Florence Charpigny

Transcription

Présentateur
On reprendra le débat une autre fois. Jean Ferrat, rejoignez-nous. Je voudrais simplement, maintenant dire qu’il n’y avait pas que ce disque, il n’y avait pas que cette chanson dans le disque. Il y a d’autres thèmes qui sont moins politiques, peut-être aussi.
Journaliste
Oui, il y en a qui sont politiques, il y en a qui sont sociales, qui traitent du problème des vieillards que l’on met dans les maisons de retraite. Il y aussi des chansons très poétiques où il demande une embellie. Par exemple, on se rend compte que peut-être à cinquante ans l’homme Jean Ferrat a besoin d’une petite clairière pour respirer de temps en temps malgré ses luttes et ses combats. Il y a d’autres chansons qui concernent l’érotisme. On en a entendu une hier soir dans le journal de 20 heures. Il y a une chanson qui concerne aussi les droits de l’homme, une autre qui concerne le pays qui est en état de désertification. Votre pays c’est Antraigues. On n’en a pas encore parlé d’Antraigues, de la façon dont vous vivez, dont vous créez là-bas. Est-ce que vous êtes bien intégré à ce pays d’Antraigues ? Vous vous sentez vraiment Ardéchois ?
Jean Ferrat
Ecoutez, ça fait 16 ans que j’ai fait connaissance avec ce pays. J’y ai des attaches très profondes, et je suis aussi élu municipal. Et parce que je pensais que c’était une bonne chose pour être vraiment au courant de la vie des gens, des hommes de ce pays.
Présentateur
Est-ce que vous êtes, vous qui êtes parisien… Vous êtes de la banlieue parisienne, Jean Ferrat. Est-ce que vous êtes toujours le chanteur qui s’est installé au village, qui a installé sa belle maison, ou bien vous êtes quelqu’un du village ?
Jean Ferrat
Ecoutez, c’est difficile pour moi de répondre, ce serait à des gens d’Antraigues qu’il faudrait poser la question. Je ne pense pas que je suis disons le parachuté type.
Présentateur
La question, figurez-vous Jean Ferrat, on l’a posé à l’ancien maire du village. C’est sans doute celui qui vous a fait venir, qui vous a déterminé à venir et à vous engager là-bas. On va écouter, lui, la réponse qu’il a. Et puis on va voir votre village par la même occasion.
Jean Saussac
La commune d'Antraigues ressemble à beaucoup d’autres communes des Cévennes. Située dans un lieu très à pic et rocailleux, avec plein d’eau au pied de ses rochers, avec des pentes abruptes et des petites murettes qui retiennent la terre de ces pentes où ont été plantées des pommes de terre, du seigle, des châtaigniers.
Journaliste
Est-ce que les jeunes restent à Antraigues ?
Jean Saussac
Il y a eu l’exode. L’exode qui déjà date de longue date. La guerre de 14-18 a fait une saignée terrible. Ils étaient tous en première ligne, ces Ardéchois. Ensuite les crises de la soierie de 1933 à 1935-1936, ils ne pouvaient plus vivre ici. Ils sont partis s’engager au PLM ou dans la gendarmerie. Et la dernière guerre, vous vous en doutez, n’a rien arrangé. Donc il y a eu l’exode. Je peux vous citer en mémoire un chiffre. Il y a en 1900-1910, il y avait 1 500 habitants dans ce chef lieu de canton et maintenant on est 500. Il en manque 1 000. Ça veut dire les deux tiers. Disons que maintenant, apparemment après un petit mouvement qui s’est dessiné dans ce village, quelques jeunes se maintiennent pour des raisons non pas tellement économiques mais disons psychologiques. Je crois qu’il y a une espèce de dégoût des conditions de vie urbaine qui les maintient un peu par force ici d’ailleurs. Si Ferrat est venu ici après le hasard de notre rencontre, un hasard heureux pour moi en tout cas et j’espère pour lui, c’est que Ferrat a dû se reconnaître dans ce pays. Ferrat qui est un ami et que je prends pour précisément une anti-vedette de la chanson, alors c’est une super vedette qui a toutes les qualités de discrétion, de modestie et peut-être un peu une apparente rudesse. C’est finalement le portait de l’Ardèche que je fais en faisant le sien. Il me semble que c’est son pays, c’est sa terre, c’est sa géologie et c’est sa botanique.
Présentateur
On ne peut pas dire que ça ne soit pas un de vos amis, Jean Ferrat.
Jean Ferrat
Oui.
Présentateur
Vous avez une anecdote pour résumer la situation de l’Ardèche, on sait que c’est un de ces départements qui se dépeuplent. Vous avez d’ailleurs fait une chanson là-dessus il y a quelques années. Je voudrais que vous nous racontiez cette anecdote.
Jean Ferrat
Eh bien écoutez, l’Ardèche est le premier département où il n’y a plus eu du tout de ligne de voyageurs de chemin de fer. On a dit à ce moment là, il y aura des cars. Et effectivement il y a eu des cars. Et puis dernièrement, j’ai appris qu’il y avait un car qui arrivait pas loin, qui partait de Valence, qui est la grande ligne de communication des trains etc. et qui arrivait dans le coin vers 8 heurs du soir et ce car a été supprimé. Et pour arriver dans le pays maintenant, il faut prendre un car à 4 heures de l’après midi à Valence. Sans ça les gens ne peuvent pas revenir.
Présentateur
Oui, c’est assez clair.