Le métier de canut
Notice
A Lyon, il reste 13 canuts utilisant des métiers à tisser à bras. Pierre Rocher, fidèle à la tradition révolutionnaire et artisanale de sa corporation, nous montre son atelier et nous parle de son métier.
Éclairage
Ce reportage diffusé en juillet 1969 est assez caractéristique des productions de l'ORTF. Le reportage est assez long (plus de 10 minutes), le protagoniste principal a du temps pour exprimer son point de vue, sa parole n'est presque pas coupée et prend le pas sur le commentaire. Le montage est assez lent et les plans sont longs : pour les réalisateurs, la parole de ce canut mérite d'être entendue. Ce document s'inscrit dans une collection intitulée « Ouvrir les yeux : les inattendus de la vie quotidienne ».
Contrairement à ce que dit le commentaire, dans les années 1830, les canuts n'étaient pas au nombre de 2000, mais bien plus nombreux. La soierie lyonnaise est organisée selon un modèle de type pré-industriel que les observateurs sociaux du XIXe siècle ont souvent appelée la fabrique dispersée. Dans ce système, les fabricants ou soyeux financent la fabrication des pièces et en assurent la commercialisation. Il y aurait à Lyon, à cette époque quelque 1400 négociants-banquiers. Ce sont eux qui fournissent le travail aux chefs d'ateliers, des maîtres tisserands, au nombre de 8000. Ce sont eux les canuts. Ils sont propriétaires de leurs métiers à tisser, parfois appelés, en lien avec le bruit que provoque leur métier en action, les bistanclaques. Ces chefs d'ateliers ou canuts emploient environ 30 000 compagnons qui sont leurs salariés, le plus souvent nourris et logés par le maître tisserand. Le canut est donc dans une position ambivalente de patron vis-à-vis des compagnons et de dépendant vis-à-vis du soyeux. Ce dernier se fonde sur le tarif pour le rémunérer et ce sont les divergences sur le tarif qui sont à l'origine des insurrections de 1831 et de 1834.
Les canuts dépendent des soyeux qui leur fournissent matière première et travail mais ils sont propriétaires de leurs outils de travail, et en particulier des métiers à tisser à bras, métiers qui peuvent être spécialisés pour différents types de production et dont les largeurs sont variables. Le fonctionnement de ces métiers a été transformé par les inventions du lyonnais Joseph-Marie Charles Jacquard (1752-1834), qui au début du XIXe siècle, équipe le métier d'un mécanisme qui permet de sélectionner les fils de chaîne en s'appuyant sur un programme décrit par des perforations sur des fiches. Cela permet à un seul ouvrier d'actionner seul le métier alors qu'il avait besoin auparavant de plusieurs aides. Le document évoque de manière subreptice cette mutation technologique d'importance en insérant dans le discours de l'artisan interviewé une vue de la statue de Jacquard installée sur la place de Croix Rousse depuis 1898. On la voit à peine plus d'une dizaine de secondes. A vrai dire, la statue qui est filmée est la statue en pierre qui a été édifiée en 1947 (celle en bronze a été fondue pendant la Seconde Guerre mondiale).
Après les insurrections du XIXe siècle, la fabrique lyonnaise devient beaucoup plus rurale, ce qui va entraîner une diminution du nombre des canuts dans la ville. Plus tard, l'invention de la soie artificielle marque une étape importante dans le déclin de la soierie traditionnelle.
La soierie traditionnelle, très coûteuse, ne survit que grâce aux commandes « des décorateurs, des princes et des marchands de cochons (sic) (pense-t-il marchand de canons ?) » et par des commandes de prestige destinées aux musées nationaux et à la rénovation des grands monuments historiques. Sont évoqués par exemple les brocards qu'a tissés Pierre Rocher pour la restauration des portières de la chambre du roi, à Versailles, à raison de trois centimètres par jour...
Dans cet entretien sur la vie d'un des derniers artisans de la soierie traditionnelle, sont évoquées les sociabilités traditionnelles des canuts leur amour de l'opéra. Est soulignée leur intransigeance en matière d'interprétation depuis le poulailler de l'opéra de Lyon. Sont aussi évoquées des pratiques comme celles de la Saint Lundi - ne pas travailler le dimanche et le lundi.
Ce travail sur les souvenirs de l'artisan fait la part belle au pittoresque plus qu'au précis ou à l'exact. La mémoire de ce canut est en grande partie construite par des lectures que par la transmission familiale. A la différence des canuts du XIXe siècle qui ne choisissaient pas leur métier – le fils de canut devenait canut et épousait souvent une fille de canut – il s'agit davantage ici du portrait d'un artisan d'art dont la mémoire préserve des savoir-faire menacés et dont les parents n'avaient pas de liens avec la soierie.
Voir le site Echo de la Fabrique de l'ENS sur les journaux canuts.