L'industrie du cycle : Manufrance
Notice
Les ouvriers de l'industrie du cycle Manufrance s'inquiètent. La concurrence est rude. Cependant les industriels pensent que le secteur se porte bien grâce aux grandes surfaces qui deviennent des lieux importants de distribution.
Éclairage
L'industrie du cycle était une des composantes fondamentales du tissu industriel de la région Rhône-Alpes, particulièrement celui de la région stéphanoise, longtemps considérée comme « capitale du cycle » jusqu'à un article du Monde le Ier septembre, 1965 actant son déclin. Énoncée dans le reportage télévisé de 1978, la mise en cause des pratiques de commercialisation de Manufrance, pratiquant des prix très bas pour vendre ses stocks de cycles - et qui utilise comme produit d'appel dans son magasin de Grenoble une célébrité du cyclisme professionnel, Raymond Poulidor -, semble être un combat d'arrière-garde. Mais il témoigne aussi de la rivalité entre les différentes entreprises incapables de s'entendre entre elles pour organiser dans le bassin industriel une production qui est complémentaire. La remarque devient amère quand on sait que Manufrance sera mise, deux ans plus tard, en liquidation judiciaire.
Ce sont les frères Gauthier qui installèrent la première fabrication de bicyclettes dans la ville en 1886 ; l'année plus tard, Etienne Mimard et Pierre Blachon créent la marque Hirondelle qui équipe quelques années plus tard les policiers (ils y gagneront avec leur pèlerine noire leur surnom « d'Hirondelles »). À l'initiative d'Étienne Mimard (un des patrons de la Manufacture des armes et cycles de Saint-Étienne devenue Manufrance après la mort de son patron en 1944) est fondée en 1897 la Chambre syndicale du cycle qui compte 39 adhérents à sa création et 1930 maisons en 1924. Ces chiffres disent la structure de l'industrie du cycle composée de multiples entreprises artisanales. Leurs fondateurs, souvent des ouvriers qualifiés ou des contremaîtres de la mécanique, entretiennent la tradition et les manières de faire du milieu artisanal de la métallurgie. Seulement six entreprises atteignent plus de 500 salariés. Du point de vue du calendrier, le cycle dont la fabrication s'étale de février à mai est complémentaire de l'arme livrée pour la saison de la chasse en septembre. Mais la réputation de la main d'œuvre masculine qualifiée du bassin s'accompagne de la réalité du recrutement de femmes et de filles (que l'ont voit sur l'image monter les rayons des roues de bicyclettes) considérées comme non qualifiées malgré leur dextérité et leur savoir-faire.
Une trentaine de maisons fabriquaient après la Seconde Guerre mondiale des bicyclettes complètes (40 000 en moyenne/an pour les plus gros constructeurs : Ravat jusqu'en 1956, Automoto jusqu'en 1962 et Manufrance). Mais la spécialité de Saint-Étienne reste la fabrication de pièces détachées dans des PME voire TPE familiales plus soucieuses de production que de vente ou d'investissement, ayant recours à l'autofinancement et refusant le crédit, conservant des machines obsolètes pour ne pas embaucher de techniciens.
Malgré la reprise de 1945-1949, la crise est profonde entre 1950 et 1957 (diminution des heures travaillées et hausse du chômage) du fait de la concurrence du cyclomoteur, de l'effondrement du marché indochinois, de l'arrivée de produits tchèques moins chers, du recul de la demande avec le départ des jeunes hommes en Algérie. La reprise est lente jusqu'en 1968 et le bike boom dû au marché américain à partir de 1971 est de courte durée (jusqu'en 1973). L'industrie stéphanoise du cycle ne profite pas des deux chocs pétroliers (1973 et 1979) car la production est concurrencée par la production japonaise à moindre coût du fait de son organisation rationalisée. La part de la production stéphanoise dans la production française est de fait en baisse depuis la Seconde Guerre mondiale : 15 000 salariés et plusieurs centaines de producteurs en 1923, 3000 salariés dans 50 entreprises seulement en I973. Cependant certaines d'entre elles se maintiennent un temps en s'adaptant, avec la fabrication du vélo féminin et les tricycles pour enfants. Mais l'effondrement du système apparaîtra général en 1981. L'inadaptation à un marché mondialisé et à des règles du jeu qui ont changé et l'incapacité à remettre en cause une organisation traditionnelle fondée sur la concurrence entre les « maisons » expliquent l'effondrement de l'industrie stéphanoise du cycle.
Bibliographie :
(articles consultables en ligne sur le site de Persée)
- M. Devun, «L'industrie du cycle à Saint-Etienne », Revue de géographie alpine, 1947, vol. 35, n° 1.
- André Vant, «L'industrie du cycle dans la région stéphanoise », Revue de géographie de Lyon, 1974, vol.49, n° 2.
- André Vant et Jacqueline Dupuis, «L'industrie stéphanoise du cycle ou la fin d'un système industriel localisé », Revue de géographie de Lyon, 1993, vol. 68, n° 1.