La nouvelle station d'Avoriaz
Notice
Le reportage est consacré à la station de sports d'hiver dont Jean Vuarnet est l'initiateur : Avoriaz. Cette station est unique, les voitures y sont interdites, et tout a été conçu pour la pratique du ski. L'architecture a été voulue moderne mais adaptée au site.
Éclairage
Jean Vuarnet, le champion olympique de descente de Squaw Valley en 1960, bénéficie d'un long monologue dans un reportage de Rhône-Alpes actualités, le 28 janvier 1966. Le skieur, né à Tunis en 1933 mais qui a grandi à Morzine, rentabilise en effet son image sportive depuis quelques années sous la forme de diverses initiatives, dont le lancement d'une marque de lunettes qui conquiert rapidement une réputation mondiale et la construction d'une nouvelle station de sports d'hiver à Avoriaz, un modeste alpage que le champion transforme alors radicalement.
Le film, en noir et blanc, s'ouvre sur des rennes broutant dans la neige, avant de s'attarder sur les premiers immeubles construits dans la station. Ces deux séquences pleines de contrastes opposant la nature et l'urbain trouvent leur dénouement avec l'arrivée de Jean Vuarnet, chaussé de ses célèbres lunettes et assis dans un traîneau justement tiré par des rennes. Le message sous-tendu est bientôt explicité par le champion devenu homme d'affaires : l'attelage inédit rappelle en effet que la station repose sur la recherche de dépaysement et l'absence de voitures. Ce dernier principe est alors développé de manière très pédagogique par des commentaires portés sur des dessins où l'on distingue clairement la gestion différenciée des flux de personnes selon leur mode de déplacement, en voiture, à pied ou à ski.
Le long plaidoyer du promoteur d'Avoriaz précise aussi que la priorité a été donnée au ski dans la conception même de la station. Le reportage alterne d'ailleurs les séquences sur les immeubles et les pentes enneigées sans véritable rupture, confirmant ainsi par l'image la continuité et la simplicité d'une circulation des touristes depuis leurs appartements jusqu'aux pistes. La caméra, profitant du téléphérique dont Jean Vuarnet se félicite qu'il soit « le plus rapide du monde », propose quelques vues aériennes qui parachèvent la démonstration d'une proximité entre espace sportif et espace d'habitation et indique, par les premières files d'attente, le succès du concept.
Les caractéristiques d'Avoriaz sont en fait très représentatives des stations dites de troisième génération, qui fleurissent dans les Alpes françaises dans les années 1960 et 1970 et relèvent de la « doctrine neige », ou doctrine Michaud du nom de son fondateur, l'ingénieur général des Ponts-et-Chaussées Maurice Michaud. Ses grandes orientations n'ont jamais fait l'objet d'un texte officiel mais plutôt d'un ensemble de documents et de rapports, qui partent d'une définition type de la clientèle supposée (riche, sportive, urbaine) et d'une minutieuse délimitation des éléments à gérer pour créer une station ex nihilo sur un site auparavant vierge. La construction entière de ces stations est laissée à la responsabilité d'un seul promoteur, Jean Vuarnet dans le cas d'Avoriaz, qui a toute liberté pour y imprimer son empreinte avec l'aide des grands organismes financiers et l'appui des pouvoirs publics. La pente, l'exposition, le climat, l'altitude plus élevée que dans les stations traditionnelles, l'accessibilité, le choix exclusif du ski alpin, la priorité donnée aux résidences secondaires, etc. sont ainsi pensés pour déterminer le lieu d'implantation de la station dans sa version sportive et spécifique. L'architecture des bâtiments, la séparation des réseaux de circulation (voitures, piétons, skieurs), la convergence des pistes vers la « grenouillère » au pied des immeubles ou l'isolement soigneusement orchestré de la station selon le principe du cul-de-sac sont prévus pour des populations habituées aux facilités de la ville, mais avides de soleil et de nature. Dans ces conditions, les sports d'hiver ne touchent alors en France qu'une clientèle à hauts revenus, constituée de cadres et de professions libérales, presque exclusivement urbaine et largement française bien qu'Américains, Japonais, Suisses et Allemands constituent des cibles explicites. Les premiers indices de saturation apparaîtront cependant dès le début des années 1970, provoquant ultérieurement l'émergence de nouveaux types de stations.