L'exportation des anguilles des étangs languedociens
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Résumé
La pêche des anguilles avec des filets spécifiques, les capétchades, fait vivre de très nombreux pêcheurs sur les étangs et lagunes du Languedoc-Roussillon. Des pêcheurs expliquent leur métier ainsi que le cadre réglementaire auxquels ils sont confrontés, dans un contexte de forte exportation vers l’Italie ou la Hollande.
Date de publication du document :
21 déc. 2022
Date de diffusion :
03 janv. 1972
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Contexte historique
ParSyndicat mixte du bassin de Thau (SMBT)
L’anguille est l’une des principales espèces pêchées dans tous les étangs et lagunes méditerranéens. Elle est capturée dans un filet traditionnel encore largement utilisé de nos jours sur les étangs, la capétchade, comportant un filet droit dit « paradière », que suivent les poissons avant de se prendre dans trois poches ou nasses organisées en forme de cœur, visitées chaque matin. Afin de partager les sites lagunaires entre les pêcheurs, les prud’homies, corporations créées au XVe siècle et rassemblant les patrons pêcheurs dans chaque port méditerranéen, organisent chaque année un tirage au sort des postes de pêche, pour délimiter les zones où chaque professionnel peut placer ses filets. Tous les postes ne sont pas aussi productifs, mais le tirage au sort permet à chaque pêcheur disposant de plus de trois ans d’expérience, d’exercer son activité.
Plusieurs catégories d’anguilles peuvent être pêchées dans les lagunes méditerranéennes : l’anguille verte, non mature, pêchée du 1er mars au 31 juillet et l’anguille argentée, capturée de septembre à décembre. Il n’y a pas de captures de civelles (juvéniles) en Méditerranée. Le cycle de vie de l’anguille n’a toujours pas livré ses secrets : l’hypothèse privilégiée est que sa reproduction se déroule dans la mer des Sargasses (en Atlantique nord) soit à plus de 6 000 km des lagunes languedociennes.
Les capétchades présentent une particularité par rapport aux autres techniques de pêche : elles permettent de maintenir les poissons vivants. L’anguille est ainsi vendue vivante à des mareyeurs spécialisés qui viennent la récolter sur site, auprès des pêcheurs, dans des camions viviers, et qui la stockent dans des bassins dédiés. Certains mareyeurs qui exerçaient déjà dans les années 1960 pratiquent encore leur métier sur le littoral languedocien, à Pérols et à Port-la-Nouvelle. Aujourd’hui, un mareyeur du pays basque vient également s’approvisionner sur place et stocker ses poissons près de l’étang de Thau. Pendant longtemps, ce sont plusieurs centaines de tonnes qui ont été produites et placées en bassins : chaque mareyeur entreposait près de 500 à 700 tonnes par an. Peu prisée des consommateurs régionaux, l’anguille était ensuite exportée soit vers l’Italie où elle pouvait être élevée dans des valli (marais) et mise en conserve, ou vers la Hollande et l’Allemagne, pour être consommée directement fraîche ou fumée.
En 2007, face au constat d’une certaine raréfaction de l’espèce, un règlement de la Commission européenne instaure des mesures de reconstitution du stock d’anguilles. Elles sont relayées par l’État français qui met en place un plan de gestion décliné par façade maritime. Dès 2009, des mesures drastiques limitent le nombre de professionnels autorisés à pêcher cette espèce, ainsi que le nombre d’engins déployés et les périodes autorisées pour la pêche. En 2012 est créée une Autorisation régionale de pêche (ARP) gérée par les services de l’État [1] et de nombreux navires spécialisés dans la pêche de l’anguille sortent de la flotte nationale. En parallèle, les pêcheurs professionnels méditerranéens participent à des études et se mobilisent autour de « relâchers » d'anguilles argentées à l’automne, au moment de la dévalaison, lorsque l’anguille quitte les étangs où elle a grandi pour aller se reproduire. Encadrés par un protocole scientifique et sous la responsabilité du Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins de la région Occitanie, les pêcheurs disposent de quotas de poissons à peser et à relâcher.
À la suite de ces mesures de réduction concernant l’effort de pêche, le nombre de professionnels a considérablement baissé pour atteindre 167 pêcheurs en 2021 en Méditerranée française. Dans le même temps, les prix sont tombés à 7-8 €/kg en 2022, conséquence de l’ouverture des marchés à l’anguille nord-américaine et à l’augmentation significative de la production en élevage dans les pays du Nord de l’Europe (Hollande et Danemark). Les nouvelles réglementations réduisent aujourd’hui l’achat et la vente des anguilles aux seuls pays de la zone euro, privant ainsi les mareyeurs de certains débouchés, notamment en Suisse. Les fermetures régulières de la pêche induisent également des difficultés de commercialisation, car les restaurants doivent supprimer les anguilles de leur carte durant plusieurs mois par an. Le temps des exportations massives d’anguilles méditerranéennes n’est plus dorénavant qu’un souvenir …
[1] La DIRM : Direction interrégionale de la mer en Méditerranée.
Transcription
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(Musique)
Journaliste
Au petit matin, les barques des pêcheurs glissent sur les eaux calmes.Ici c’est l’étang de l’Or entre Carnon et la Grande-Motte.En hiver, souvent, le soleil n’est pas encore levé que ceux qui vivent de l’étang viennent y visiter leurs filets.
(Musique)
Pêcheur 1
Alors nous calons un filet du long par morceaux pour faire un barrage, et à chaque deux morceaux nous mettons un filet en forme de cœur avec trois nasses et tous les jours nous visitons ces trois nasses, des fois il y a quelque chose, des fois il n'y a rien.
Pêcheur 2
Il faut un changement de temps, du bon au mauvais ou même du mauvais au bon, c’est très bon, ça fait bouger les anguilles dans les étangs.
Pêcheur 3
Le temps c’est le truc le plus important pour la pêche.Mais enfin pour le moment ça va quand même quoi.Il faut tâcher que ça continue.
(Musique)
Journaliste
Vers les midi, les pêcheurs regagnent les bords du canal, ils portent des filets gonflés d’anguilles ou des sacs plus légers selon le bonheur de la pêche.C’est la quantité de poissons qui détermine souvent les prix mais aussi la politique de l’acheteur, du mareyeur.
Jean Gaimon
Il y a trop d'anguilles, actuellement par exemple la vente elle ne marche pas.Nous sommes obligés de garder les anguilles chez nous, de les conserver.Pour le moment où ça reprendra.
Journaliste
C’est-à-dire ça évite de faire chuter les prix à ce moment-là.
Jean Gaimon
Ça évite de faire chuter les prix, et ça débarrasse aussi les pêcheurs.
Pêcheur 3
Et le prix ça dépend.
Pêcheur 1
Ça baisse, ça monte, ça dépend.
Pêcheur 3
Nous on se tient au prix des mareyeurs.
(Musique)
Journaliste
C’est le mareyeur qui attend à la berge, ses camions sillonnent les bords de l’étang pour y récolter le poisson.
(Musique)
Pêcheur 3
Maintenant, il y a une bonne période puis peut-être que pendant deux mois on va rester sans rien faire, alors il faut savoir se tenir, c’est toujours pareil.
Journaliste
Depuis peu, le stockage des anguilles se fait à l’intérieur des terres, entre autre près du village de Pérols.Les camions spécialement équipés vont déverser dans les bassins du groupement des exportateurs leurs récoltes quotidiennes.Un système de pompe renouvelle l’eau de chaque bassin environ toutes les 4 heures.Chaque année des dizaines de millions d’anguilles passent ainsi par ces viviers.
(Musique)
Jean Gaimon
Il faut compter environ, je pense dans les 15 centres.
Journaliste
Et combien avez-vous de possibilité de stockage à l’heure actuelle ?
Jean Gaimon
Environ de 400 à 500 tonnes.
Journaliste
Dans ces possibilités il est évident que sont compris aussi les viviers du canal.
(Musique)
Journaliste
Ce sont de vastes cages grillagées que l’on amarre à la berge.Ce fut autrefois le seul moyen de conserver les anguilles.Un moyen qui, parfois, présente des dangers.
Jean Gaimon
Il peut venir une mauvaise eau qui vous tue tout d’un coup.
Interviewer
C’est arrivé ici ?
Jean Gaimon
C’est pas arrivé mais… si c’est arrivé quand même.C’est arrivé il y a quelques années à Palavas par exemple.Toutes les anguilles qui étaient en vivier ont crevé parce qu’il est venu des eaux du Lez qui étaient très mauvaises et qui ont tout empoisonné.Ça passe un jour, le lendemain c’est fini mais ce jour-là si vous avez des anguilles en vivier ça crève.
Journaliste
Le marché des anguilles, un marché d’exportation dont on peut se demander s’il est en expansion.
(Musique)
Jean Gaimon
C’est difficile à dire.Pour le moment, il a été en expansion depuis que nous avons débuté parce qu’il faut le dire il y a une dizaine d’années de cela les routes n’étaient pas ce qu’elles sont, les camions n’étaient pas aménagés comme ils le sont actuellement.On ne pouvait pas se permettre d’apporter les anguilles aux distances où on les apporte actuellement, vous voyez ?Actuellement on apporte des anguilles à quelquefois 1300, 1400, 1500 kilomètres d’ici.
(Musique)
Jean Gaimon
En Italie, on fait des conserves, en Allemagne ou en Hollande on fume.
Journaliste
En tout cas l’Italie, l’Allemagne et la Hollande sont aussi des pays grands consommateurs d’anguilles, d’anguilles fraîches.Alors on peut se demander pourquoi le consommateur du Languedoc-Roussillon a tendance à bouder cette production locale considérée pourtant comme un poisson des plus fins par les connaisseurs.
(Musique)
Jean Gaimon
Je crois que c’est plutôt un peu la faute des ménagères vous savez ?Puisqu’il faudrait qu’elles les pèlent, qu’elles les nettoient.C’est beaucoup plus long que de couper une tranche de merlan et de le mettre dans une poêle vous voyez ?
Journaliste
Alors les ménagères italiennes n’ont pas peur de faire ça ?
Jean Gaimon
Ah mais peut-être c'est-à-dire que vous voyez en Italie ou en Belgique,les commerçants les pèlent eux-mêmes et les vendent toutes prêtes.
Journaliste
Grâce à l’exportation, se spécialiser dans l’anguille est devenu intéressant pour le pêcheur.
Pêcheur 1
Je vais vous dire une chose, j’ai tenu mon fils à l’école jusqu’à maintenant pour ne pas qu’il fasse le travail.Puis il s’est marié et je suis obligé de le prendre avec moi, il va faire le travail.
Journaliste
Ça lui plaît.
Pêcheur 1
Ça lui plaît.Plus que l’école.
Pêcheur 2
Il y a beaucoup de jeunes qui ont envie de faire ce métier, seulement il y a un problème, c’est la place dans les étangs qui est réduite quoi !En plus, on nous prend beaucoup de place aussi pour les constructions en comblant pour faire les routes et des choses comme ça, pour faire un nouveau port.Donc c’est un problème qu’il y a actuellement dans la pêche.
Journaliste
La production de l’anguille qui a quintuplé en 10 ans est une source de revenus intéressante.Mais il fallait choisir et dans la balance, le développement économique par le tourisme pesait d’un plus grand poids même si l’aménagement touristique limitait davantage les places de l’étang.
Pêcheur 2
Un jeune actuellement ne peut pas pêcher au poste, un poste c’est un morceau d’étang qui est tiré au sort chaque année par tous les pêcheurs, une réunion des pêcheurs et on n’a le droit de pêcher que dans ce poste.
pêcheur 5
Chaque année le nombre de pêcheurs augmente.Alors nous sommes obligés chaque année de serrer les postes, mais il arrivera un certain moment qu’on soit… Il y en a que… On ne pourra plus rien faire quoi !
(Musique)
pêcheur 5
Vous avez ce poste par exemple là, le premier c’est un des meilleurs quoi.Justement cette année c’est moi qui l’ai tiré, mais enfin, sur 24 postes qu’il y a dans l’étang il faut compter qu’il y en a 5 de bons vous voyez.Et puis les autres, ils vivent mais c’est dur, c’est ce qui s’est passé cette année.Mon frère a tiré un poste là-bas cette année lui, s’il avait été vraiment seul, cela aurait été difficile pour gagner sa vie.
Pêcheur 2
Tant qu’on n’a pas 3 ans de pêche, qu’on n’a pas 21 ans et qu’on n’a pas fait le service militaire on n’a pas le droit de tirer au poste.Alors comme moi actuellement j’ai fait le service militaire, j’ai 21 ans, seulement je n’ai pas 3 ans de pêche et je ne peux pas tirer au poste alors c’est un inconvénient.
Journaliste
La pêche à l’étang, un métier qui attire beaucoup de jeunes mais dont les possibilités sont réduites face à une demande accrue.Quel sera demain le visage du pêcheur de l’étang de l’Or, la question reste posée.
(Musique)