Réchauffement climatique : l'asphyxie des coquillages
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Résumé
Le réchauffement climatique a également des conséquences dramatiques sur l'élevage des coquillages. L'étang de Thau qui fournit 10% de la production française de moules et d'huîtres est particulièrement touché par la hausse de la température de l'eau et le manque d'oxygène.
Date de publication du document :
21 déc. 2022
Date de diffusion :
09 oct. 2019
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Contexte historique
ParBiologiste Marin, Ostréiculteur
Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) nous alerte depuis des années sur l’évolution du climat et l’augmentation des températures qui en résulte. La conchyliculture, qui dépend totalement du milieu naturel, subit l’impact de ce phénomène. Tous les organismes vivants, animaux comme végétaux, sont adaptés à une amplitude thermique au-delà et en deçà de laquelle ils ne peuvent survivre. Les moules, en ce qui les concerne, ne peuvent vivre dans une eau à plus de 28°C. Si dans les années 80 il était rare que les eaux de l’étang de Thau dépassent 25°C, il est maintenant courant qu’au cours de l’été elles atteignent les 30°C.
Entre 1970 et 2018, malgré l’augmentation de la température, l’amélioration de l’état de la lagune en matière d'eutrophisation a permis de diviser par six le risque de déclenchement des malaïgues depuis les années 1990. Cependant, les scientifiques d'IFREMER (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) ont montré qu’une hausse de la température estivale de l’air d’1°C multiplie le risque de malaïgue par 3. Il en résulte alors des mortalités massives de coquillages sauvages et en élevage. Au début du reportage, c’est ce que décrit ce conchyliculteur qui a constaté la mortalité de 1200 tonnes de moules en élevage dans l’étang de Thau. Cet apport massif de matière organique, que les bactéries de l’étang ont du mal à dégrader, a provoqué la dernière malaïgue dans l’étang et la mort d’un tiers des huîtres en élevage entre Mèze et Marseillan (2700 tonnes).
Aux pertes de la totalité du stock de moules et du tiers du stock d’huîtres, durant l’été 2018, s’est ajoutée une transformation du fonctionnement écologique de la lagune de Thau. Associé à une année particulièrement pluvieuse (30 à 60% d’excédent de précipitations) un phénomène d’eaux vertes, qui a duré jusqu’en 2019, est survenu dans l’étang. Ce phénomène provoqué par un pico-phytoplancton du genre Picochlorum et jusque-là inédit, a entraîné l’arrêt de croissance des huîtres en élevage pendant plusieurs mois. Cet organisme unicellulaire photosynthétique, d’une taille inférieure à 3 millièmes de millimètre, fait partie des plus petits eucaryotes (cellule possédant un noyau avec un code génétique) connus. Le premier, Ostréococcus tauri, fut décrit lors d’une expérience d’IFREMER en milieu naturel dans l’étang de Thau par les chercheurs de l’Université de Montpellier. Ces organismes sont trop petits pour être consommés par les huîtres qui ne retiennent que les particules de plus de 5 millièmes de millimètre. Picochlorum a la particularité d’être également indigeste. Cet épisode ne s’est pas reproduit les années suivantes, la pluviométrie étant moins abondante.
En l’absence d’espèces pouvant remplacer l’huître du Pacifique, élevée en Europe depuis les années 1970, l’avenir de la conchyliculture dans les étangs méditerranéens (10% de la production française) et particulièrement dans l’étang de Thau, passe par la mise en place du Contrat de filière conchylicole signé en 2021 dont l’une des priorités est l’adaptation et la résilience face aux changements climatiques [1].
[1] «Contrat de filière conchylicole occitanie 2021-2023 », CRCM, [en ligne] (Mise à jour 15/09/2021). Site internet : https://draaf.occitanie.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/contrat_de_filiere_crcm_v8_cle44197e.pdf
Bibliographie
- Franck Lagarde, Ariane Atteia, Angélique Gobet, Marion Richard, Behzad Mostajir, Cécile Roques, Elodie Foucault, Gregory Messiaen, Clarisse Hubert , Nicolas Cimiterra, Valérie Derolez, Béatrice Bec, « Phénomène d’eaux vertes à Picochlorum en lagune de Thau pendant les années 2018 et 2019. Observations environnementales ». Rapport IFREMER, RST.ODE/UL/LERLE 21-15, 2021.
- Valérie Derolez, Nathalie Malet, Annie Fiandrino, Franck Lagarde, Marion Richard, Vincent Ouisse, Béatrice Bec, Catherine Aliaume, Fifty years of ecological changes: Regime shifts and drivers in a coastal Mediterranean lagoon during oligotrophication [Cinquante ans de changements écologiques : changements de régime et conducteurs dans la lagune méditerranéenne pendant l'oligotrophisation], Sci Total Environ, 2020.
Transcription
(Cliquez sur le texte pour positionner la vidéo)
Véronique Gaglione
Sur l’étang de Thau, le soleil est toujours généreux, parfois un peu trop pour les coquillages.Hervé Collomb est conchyliculteur et c’est peut-être une de ses dernières saisons.Depuis deux ans ses moules meurent sur leurs cordes, trop de chaleur, l’eau manque d’oxygène, le coquillage ne résiste pas.
Hervé Collomb
Regardez, il manque 80% de moules.Le peu qui reste… entendez le bruit… ça tient plus, tout est mort.
Véronique Gaglione
La lagune est un milieu fermé, fragile, sensible au changement climatique.La température de l’eau a approché les 30 degrés ces deux derniers étés, beaucoup trop pour les moules.Et déjà les huîtres, pourtant plus résistantes, commencent à souffrir.Ici, Jean-Jacques Berlhe produisait ses plus belles huîtres, blanches et bien pleines.Mais ça, c’était avant.
Jean-Jacques Berlhe
Cette table aurait dû être vendue au mois de juillet.
Véronique Gaglione
Elles grossissent moins vite !
Jean-Jacques Berlhe
Elles grossissent beaucoup moins vite.Et là l’eau s’est rafraîchie, il y a eu quelques pluies la dernière fois.On voit qu’elles sont en pleine pousse, on dirait que ça veut redémarrer.J’espère que ça va redémarrer.Mais bon, les trois mois de retard de pousse on ne les récupèrera pas.
Véronique Gaglione
Les 450 exploitations de l’étang de Thau sont en danger.La lagune a été placée sous haute surveillance.Des scientifiques de l’IFREMER effectuent des relevés et des prélèvements tous les 15 jours.
Franck Lagarde
Température 22,2, salinité 41,2.
Véronique Gaglione
L’eau est de plus en plus chaude, de plus en plus concentrée en sel.Ces conditions ont favorisé la prolifération d’une toute petite algue jamais encore répertoriée sur l’étang.Le picochlorum, un microplancton responsable de l’amaigrissement des huîtres.
Franck Lagarde
Les huîtres n’ont pas les enzymes pour digérer ce phytoplancton.Sa petite taille fait qu’il est mal filtré, il est mal retenu et il est pas digéré.
Véronique Gaglione
Donc elles ne grossissent pas.
Franck Lagarde
Donc pendant la période où effectivement le picochlorum est là en grande quantité dans l’eau, l’huître ne trouve pas son énergie pour grossir.
Véronique Gaglione
Le picochlorum, c’est cette algue microscopique grand gagnant du réchauffement climatique.Les analyses ont montré qu’il s’adapte aux variations de température et de salinité.Il est inoffensif pour l’homme, il est terriblement résistant.
Ariane Atteia
On est arrivé à des concentrations à un milliard de cellules par litre, au plus fort de la crise au mois de janvier 2019.
Véronique Gaglione
Ce qui est énorme.
Ariane Atteia
C’est énorme.Pour l’étang de Thau, ça n’avait jamais été observé.
Véronique Gaglione
La solution est peut-être à chercher ailleurs, hors de l’étang.Voici une cordée de moules qui a grossi en pleine mer, rapportée dans l’étang pour finir sa croissance.Le résultat est déjà spectaculaire.
Jean-Jacques Berlhe
Voilà la différence, c’est les mêmes cordes, les mêmes moules mises en même temps.Celles-là depuis six mois à la mer et celles-là depuis six mois à l’étang.Donc vous pouvez voir la différence de grosseur.Là vous voyez la moule en pleine pousse, noire, lisse, et un taux de chair exceptionnel.
Véronique Gaglione
Après les moules, les huîtres seront les prochaines victimes du réchauffement, il faut faire vite, certains conchyliculteurs ont déjà cessé leur activité.Une poignée de professionnels se tourne donc vers la mer mais l’investissement est beaucoup plus cher pour une production durable.
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