Décès de Paul Ricard
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Résumé
Paul Ricard est décédé à l'âge de 88 ans. Il a créé un pastis, connu dans le monde entier. Mais, dans la région, le nom de Ricard n'est pas seulement associé à l'apéritif : l'homme était passionné de sport et a fait construire un circuit au Castellet.
Date de diffusion :
07 nov. 1997
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Paul Ricard meurt le 7 novembre 1997 dans sa quatre-vingt-neuvième année. Il a été un entrepreneur hors normes.
Issu d'une lignée d'artisans commerçants, il est né en 1909, à Marseille, au 4 rue Berthelot, dans le quartier de Sainte-Marthe. Son père Joseph intègre la boulangerie familiale, mais, attiré par la musique, il apprend seul à jouer de la clarinette, suit des cours au Conservatoire et est admis au sein de l'Harmonie municipale de Marseille. À 22 ans, il abandonne le métier de boulanger pour s'établir commerçant en vins. Il s'installe d'abord rue Moulet, ensuite à Sainte-Marthe, rue Berthelot, là où Paul va naître. Celui-ci est marqué par son père et son grand-père. De son grand père avec lequel il reste très proche, il acquiert l'attachement au terroir, en particulier à celui de cette Provence intérieure qu'il parcourt souvent en sa compagnie, et le respect du "travail manuel" qu'il ne dédaignera jamais. De son père, il hérite l'attrait pour les "disciplines artistiques", ce qu'il ne peut satisfaire puisque son père lui refuse l'inscription aux Beaux-Arts. Malgré tout, il s'en accommode et ne cesse de peindre presque jusqu'à l'obsession des paysages et surtout des portraits car, dira-t-il, "quand on fait un portrait, on dialogue avec le personnage, on regarde ce qu'il a dans le coeur et dans le ventre. La peinture, c'est une nourriture de l'esprit".
Paul Ricard, qui est entré au lycée sans grande conviction, obtient de son père, à 17 ans, l'autorisation de rejoindre l'entreprise familiale. Il a comme objectif de créer ensuite sa propre affaire. Il rêve de réussir à la manière d'un Renault ou d'un Citroën, qui ont pris des places prépondérantes dans l'automobile. C'est au cours d'un déplacement à la coopérative du Beausset (Var) pour acheter du vin en vrac que la légende Ricard commence : il rencontre un certain Espanet, "ancien coiffeur reconverti dans le courtage en vins sans compter une spécialisation assez marquée dans le braconnage, le ramassage des champignons et la cueillette des plantes aromatiques [...] qui fabriquait lui-même son pastis avec de l'alcool de bouilleur de cru, du fenouil et d'autres herbes, comme beaucoup de paysans de la région". Alors qu'il se lance dans la commercialisation d'un vin du Var baptisé "Canto-Agasso" ("chante-pie" en provençal) et d'un marc de Provence sous la marque " Cantagas ", il décide, après réflexions et le souvenir d'Espanet aidant, que son secteur de prédilection sera celui du pastis, un apéritif produit clandestinement et circulant sous le manteau dans toute la Provence sous différentes appellations - pastis, pataclé ou lait de tigre. Il installe un laboratoire dans une pièce de la maison familiale et se livre à d'innombrables expériences de distillation, de rectification et de macération. Il teste son produit notamment auprès des patrons de bars à qui il vend son vin et son marc, mais il ne peut le diffuser car sa production n'est pas conforme à la loi de 1922. Celle-ci limite à 150 g de sucre par litre les liqueurs anisées qui ne peuvent devenir limpides qu'avec l'addition de 7 volumes d'eau. Il doit attendre 1932 pour qu'une une nouvelle loi autorise la libre édulcoration. Ricard peut alors commercialiser son apéritif qui titre 40° et termine son louchissement avec 5 volumes d'eau. Il en dessine lui-même l'étiquette, lui donne son nom, fonde une société en commandite. Il visite un à un les patrons de bars, d'abord à Marseille, puis dans l'ensemble du département. Dès 1932, il en vend 250 000 litres. Il s'allie au secrétaire général des cafetiers de Marseille pour obtenir du gouvernement l'autorisation du pastis à 45°. Cette autorisation, obtenue en 1938, permet d'augmenter la dose d'essence d'anis à 2g par litre, au grand dam des ligues antialcooliques dont Ricard sera un éternel pourfendeur.
Pour développer son produit, qualifié de "vrai pastis de Marseille", il utilise l'image porteuse du Midi, forgée par des artistes comme Fernandel, Pagnol, sans oublier Vincent Scotto ou Alibert... Dès 1934, le Ricard est vendu à Lyon par un certain Paul Cognet qui invite Ricard à son mariage. C'est là qu'il rencontre son épouse, la soeur de la mariée, qui lui donnera six enfants, dont le dernier mourra à l'âge de 5 ans.
Après le décès de son père en 1937 et de son frère en 1938, Paul reste seul avec sa mère à la tête de l'affaire, et se consacre au développement de son entreprise selon ses idées. Il prône l'autofinancement, impose à son conseil d'administration une modération du montant des jetons de présence, privilégie l'augmentation du capital par la distribution gratuite d'actions ou l'augmentation régulière de leur valeur nominale car, dit-il, "il y a lieu d'éviter les sorties d'argent des caisses de la Société". Paul Ricard, pragmatique mais très imprégné d'un certain fordisme, s'évertue à être ou à apparaître comme un patron modèle. Il se vante d'anticiper les avancées sociales. Partant du principe que "l'entreprise doit être l'affaire de tous ceux qui la font prospérer et qu'un actionnaire salarié est forcément plus concerné qu'un investisseur dont l'intérêt se limite à la question financière", il distribue des actions à certains de ses employés, si bien qu'en 1960, près du tiers du capital est détenu par le personnel. Cependant, Paul Ricard dirige sans partage, puisque, jusqu'en 1960, il n'existe pas de section syndicale et de comité d'entreprise. Les salariés sont représentés par une "Amicale" qui prend en charge et organise toutes les actions réservées au personnel, les concours de boules, les lotos comme les colonies de vacances. Elle s'occupe aussi du logement des employés. Lorsque cette amicale disparaît en 1960, elle est remplacée par un syndicat indépendant qui, à Marseille, reste en 2008 le seul syndicat présent dans l'entreprise. L'adhésion des personnels à la philosophie de Paul Ricard est telle que, depuis 1932, l'entreprise n'a connu qu'une demi-journée de grève, en 1968.
Paul Ricard a été un formidable "communicant". Dès 1939, par exemple, il parvient à convaincre le directeur de l'agence Havas d'adopter sa conception des affiches et des placards rédactionnels à insérer dans les grands hebdomadaires français dont Paris-Match, le tout pour un coût de 3,5 millions de francs, ce qui est énorme alors dans le secteur de l'alimentation. Il y apparaît photographié, sourire aux lèvres, en train d'expliquer son pastis et la façon de le boire. À la même date, il fait peindre à Marseille, sur un immeuble de sept étages, une gigantesque publicité vantant son pastis. La machine publicitaire est lancée : elle ne s'arrête pas et utilise tous les ressorts du genre. En 1948, la société Ricard est la première à organiser une tournée sur les étapes du Tour de France avec le chanteur marseillais Darcelys. En 1956 avec la crise de Suez et la pénurie d'essence, il imagine la livraison de son pastis à dos de chameau. Par la suite, avec l'interdiction de la publicité pour les alcools anisés de 45°, il met à contribution le secteur sportif ou para sportif, avec la création des "Clubs Taurins Ricard", puis, plus tard, l'organisation du "Concours à pétanque La Marseillaise" qui devient très vite le rendez-vous obligé de tout ce que compte le milieu bouliste. À partir de 1973, il s'intéresse à la voile et soutient Alain Colas dans sa tentative de tour du monde en solitaire, puis parraine Éric Tabarly qui navigue sur le Paul Ricard. Il soutient aussi l'écurie de formule 1 de Ligier. En 1952, il rachète le matériel des studios Marcel Pagnol, fonde une société de production, la société Protis, construit même des studios de cinéma à Sainte-Marthe. Cependant, il faut reconnaître que les films produits par cette société ne sont pas restés à la postérité. Restent les nombreux films publicitaires vantant les mérites de la marque. Il est vrai que Paul Ricard a toujours été un passionné de toutes les techniques audio-visuelles. Il a enregistré, filmé tout au long de sa vie, laissant une multitude de documents - plus de 4 000 - dignes d'intérêts.
Pendant ce temps, l'entreprise prospère et connaît un développement continu. Le nombre de litres qui sort des chaînes d'embouteillage est en constante augmentation : 250 000 litres en 1932, 3 640 000 en 1939, 10 550 000 en 1952, 22 160 000 en 1962, 60 627 000 en 1972. En outre, Ricard diversifie ses productions dans le vermouth (1953), le cognac (1966), le champagne (1970) et encore dans le rhum, le whisky, la vodka....
Pourtant, Paul Ricard ne se contente pas de développer seulement la production et la vente d'alcools. Déjà, pendant la guerre, il a mis en culture le domaine de Méjanes en Camargue pour reconvertir ses activités après la décision de gouvernement de Vichy d'interdire les apéritifs de plus de 16°. Il y développe la culture du riz, y ajoute une manade, une arène.... Il y accueille des personnalités de la tauromachie, du spectacle et des affaires, les assemblées des clubs taurins. Enfin, il ouvre le domaine au public et rêve d'en faire un centre important du tourisme populaire, tout cela devant servir la notoriété de l'entreprise et de son produit, le pastis Ricard. En 1950, il achète pour sa famille et ses collaborateurs l'île de Bendor, à Bandol (Var), mais elle est vite ouverte aux personnalités les plus diverses qui y sont reçues à titre privé, ou dans le cadre de manifestations de prestige. La fonction "mécénat" de l'île est accentuée avec en 1961 et 1964 la création de prix de peinture et de sculpture, et, en 1966, du "Festival de poésie de Bendor". À partir de là, Paul Ricard affirme sa volonté d'imprimer sa marque dans l'espace touristique provençal. En 1958, il achète l'île des Embiez (Six-Fours, Var) pour en faire "un haut lieu du tourisme international, un séjour idéal de repos et de vacances, avec tout ce qu'il faut pour être heureux". Le 1er mai 1963, le port de plaisance est inauguré. Il dessine lui-même les bateaux-navettes reliant l'île au continent et exploités par une société-filiale. L'île, avec son port, son hôtel, ses arènes... est façonnée à son image. En 1966, il y installe l'Observatoire de la mer, futur Institut océanographique Ricard, créé avec et pour Alain Bombard, qu'il a connu en s'opposant au déversement de " boues rouges " au large de Cassis. En 1960, il achète 1 000 ha sur le plateau du Camp, au Castellet (Var), non loin du village de Signes dont il sera élu maire de 1972 à 1980. Son ambition est d'édifier une ville-usine, avec les habitations pour le personnel et tous les services s'y rattachant. N'ayant pas obtenu l'autorisation, ce qui renforce son aversion envers "la Sainte Administration", coupable à ses yeux de tous les maux, il construit alors un aérodrome et, pour "remplir les vides", un circuit automobile. Le circuit du Castellet, ou circuit Paul Ricard, devient très vite un haut lieu mondial des sports mécaniques (voir Le circuit du Castellet). L'inauguration du circuit en 1970 en présence du ministre des Sports donne l'occasion à Ricard de parfaire sa légende, puisque, pour protester contre le refus de l'administration d'homologuer les tribunes, il refuse d'être présent, mais, en pleine cérémonie, prononce un discours virulent contre l'administration, discours relayé par une batterie de haut-parleurs...
En janvier 1969, Paul Ricard a laissé la direction du groupe à son fils Bernard, sans pour autant se désintéresser du devenir de l'entreprise qu'il a fondée en 1932. Il se plaint de n'être pas "consulté sur toutes les affaires", ce qui conduit du reste à la démission de Bernard en 1971. En janvier 1972, il cède à Pernod, son grand rival, la totalité de ses actions - 180 000 - sans en informer quiconque, d'après son fils Patrick. En renforçant ainsi la participation de Pernod dans le groupe Ricard - qui détient déjà 34 % du capital de la société marseillaise -, il pousse les dirigeants Ricard à réfléchir au devenir du groupe qui peut à tout moment passer entièrement sous le contrôle de leur actionnaire minoritaire. À la fin 1974, la fusion entre les deux groupes est réalisée. Pernod-Ricard, présidé par Patrick Ricard, peut entreprendre sa croissance mondiale pour devenir actuellement, après l'acquisition du britannique Allied Domecq, le numéro deux mondial des vins et des spiritueux.
Lassé de ses "combats contre les moulins à vents", Paul Ricard démissionne de son mandat de maire en juillet 1980 et se retire dans sa "thébaïde" de la Tête de l'Evêque, une maison s'allongeant au fur et à mesure de ses foucades, au-dessus du circuit du Castellet et dominant tous les environs jusqu'à la mer.
Bibliographie :
Marie-France Pochna, Paul Ricard, l'homme qui se ressemble, Éditions Pau, 1996.
Paul Ricard, La passion de créer, Paris, Albin Michel, 1983.
Transcription
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