La Provence dans la guerre 1939-1945

La Provence dans la guerre 1939-1945

Par Jean-Marie GuillonPublication : 2008

# Présentation

Cette courte période marque profondément la mémoire collective, en Provence comme ailleurs. La principale originalité de la région vient de sa situation de région frontière et de région méditerranéenne. De là, ce qui la distingue des autres régions de France : les menaces que l'Italie fasciste fait peser, les liens avec l'Afrique du Nord, l'importance de la flotte de Méditerranée basée à Toulon, le caractère stratégique du port de Marseille, une position qui la fait donc choisir comme deuxième lieu de débarquement par les alliés.

     

Introduction

Durant la première phase de la guerre - la "drôle" de guerre - entre septembre 1939 et juin 1940, le front est loin. Cependant l'Armée des Alpes reçoit nombre des mobilisés de la région. L'inquiétude vient des menaces aériennes. Les ressortissants du Reich - Allemands et Autrichiens - sont internés en septembre 1939, puis à nouveau au printemps 1940, dans la tuilerie des Milles près d'Aix. L'affaire serait compréhensible s'il ne s'agissait pas pour la plupart de réfugiés antinazis ! Sont internés aussi les communistes étrangers, puis les militants français soupçonnés de participer à la reconstitution du PCF. Les députés communistes sont arrêtés en octobre et les élus locaux sont déchus de leur mandat.

L'absence de combat, les premières difficultés rendent le climat vite délétère. Il est aggravé en mai par les nouvelles venues du front, par l'afflux de réfugiés (nord de la France, Belgique, Menton). L'entrée en guerre de l'Italie le 10 juin replace la région en "zone des armées". La xénophobie provoque des tensions, les Italiens présumés fascistes sont internés à leur tour. Le front s'est ouvert dans les Alpes. Les attaques aériennes italiennes visent Toulon et les installations militaires du secteur (13 et 15 juin), puis Marseille qui est bombardée le 21 (143 morts). L'Armée des Alpes contient l'offensive italienne dont les gains se limitent à une partie de Menton. La région ne connaît donc ni invasion, ni exode, ni occupation.

# Du triomphe de Vichy aux occupations, 1940-1944

La région possède une importance particulière pour Vichy. C'est par elle que passe la liaison avec l'Empire colonial, avec l'Afrique du Nord et avec l'extérieur en général. Marseille est le seul grand port qui reste sous sa souveraineté. Toulon est la seule base militaire qui donne une apparence de réalité à cette souveraineté. Ajoutons que la région possède avec le bassin de bauxite de Brignoles (le premier d'Europe) un atout stratégique convoité. Elle n'en reste moins à l'écart des opérations de guerre jusqu'en novembre 1942, même s'il arrive que quelques bombes s'égarent et donnent l'occasion à la propagande de fustiger les Anglo-Américains.

# Révolution nationale et collaboration en Provence

Après la signature de l'armistice, le gouvernement du maréchal Pétain s'installe à Vichy. C'est là que le 10 juillet 1940 commence une "révolution par en haut" qui voit le Parlement donner les pleins pouvoirs au Maréchal. Celui-ci instaure un régime autoritaire, hiérarchique, imbibé d'idéologie militaire et de traditionalisme, l'Etat Français. Huit parlementaires provençaux parmi lesquels six socialistes SFIO (quatre Varois dont le président du Conseil général Sénès, Félix Gouin député des Bouches-du-Rhône, et Louis Gros sénateur maire d'Avignon), un radical-socialiste et un élu de droite (Jean Hennessy député des Alpes-Maritimes) font partie des 80 parlementaires (sur 846) qui, en votant "Non", refusent la mort de la République.

Illusions et confusion marquent l'été 1940, tandis que nombre de réfugiés regagnent la zone désormais occupée et que beaucoup d'autres qui ne peuvent ou ne veulent y retourner - Juifs, étrangers, Alsaciens-Lorrains, réfugiés de Menton - cherchent à subsister. Certains veulent quitter le pays. Dans un climat de xénophobie et d'antisémitisme - en particulier sur le littoral -, la législation qui vise les Juifs est appliquée par étapes, avec, en particulier, le recensement de juin 1941, l'aryanisation des biens qui le suit, les rafles de la fin août 1942 (près de 700 arrestations dans la région niçoise), pendant lesquelles le camp des Milles sert à parquer les raflés en instance de départ vers les camps extermination, via la zone occupée. La répression change de dimension à partir de l'automne 1940. Les internements administratifs touchent toutes les catégories considérées comme "indésirables". Le tribunal militaire de Marseille et son homologue maritime de Toulon répriment les filières et organisations clandestines naissantes. Le Fort Saint-Nicolas surtout, la prison maritime de Toulon dans une moindre mesure, voient passer le Gotha de la Résistance naissante. Francs-maçons, fils d'étrangers, etc. perdent leurs emplois dans l'administration. Toute opposition paraît avoir disparu. Une épuration politique forte vise les élus. Elle commence par les principales villes tenues par la gauche, en général socialiste (Avignon, Aix, Draguignan, etc.). Des municipalités choisies par les autorités les remplacent. Les nouveaux édiles proviennent des élites économiques et sociales (patrons, officiers ou fonctionnaires en retraite, exploitants agricoles, professions libérales). Nice, où la municipalité Médecin est maintenue presque à l'identique, fait exception. Un peu partout, rue et places sont débaptisées lorsqu'il s'agit de "mauvais" Français (Salengro, Jaurès, Robespierre, Zola, etc.) et rebaptisées de noms plus "convenables", ceux de la France catholique traditionnelle et des illustrations militaires anciennes ou récentes. Le nom du Maréchal est évidemment attribué aux lieux les plus nobles (quai de l'Hôtel de ville à Marseille). L'omniprésente Légion française des combattants, sous couvert de rassembler les anciens combattants, joue un rôle fondamental de contrôle politique, de propagande, de mobilisation de l'opinion. Sa section départementale des Alpes-Maritimes apparaît comme une sorte de modèle. Joseph Darnand et son équipe de militants, souvent issus de l'extrême droite, entendent faire prévaloir leur conception de la Révolution nationale contre les "mous" qu'ils trouvent trop nombreux à Vichy. Compagnons de France et Chantiers de jeunesse, disséminés notamment dans les zones de forestage (Lubéron, Ventoux, etc.) - servent à contrôler la jeunesse. L'Église cherche à profiter des circonstances pour retrouver son influence (enseignement, mouvements de jeunesse). Mais une partie du haut clergé local - Mgr Delay à Marseille, Mgr Rémond à Nice - sont troublés par les rafles de Juifs de l'été 1942, alors que l'archevêque d'Aix reste un partisan inconditionnel du régime.

Les manifestations les plus solennelles et les rassemblements les plus spectaculaires ont lieu à l'occasion des voyages du Maréchal. Marseille et Toulon sont parmi ses premières destinations les 3 et 4 décembre 1940. Le voyage de Marseille, dans une atmosphère de ferveur patriotique très significative des illusions que la population nourrit, est particulièrement important puisqu'il inaugure l'ordonnancement des grands déplacements (rassemblement des anciens combattants, serment, etc.,).

Après Aix le 23 juillet 1941 et Arles, le Maréchal revient à Avignon le 10 octobre 1942. Ces réactions de foule et le culte qui entoure éventuellement la personne du Maréchal sont révélateurs du maréchalisme ambiant. Fêtes religieuses (avec retour des processions) et folkloriques bénéficient de l'appui des autorités (messe et danses en costume provençal étant rituellement présentes dans les cérémonies officielles).

# Collaboration et collaborationnisme

Passées les premières semaines, l'opinion qui n'a jamais été aussi à l'affût de l'actualité comprend que la guerre durera. Elle se réjouit de la résistance britannique et repousse majoritairement la collaboration dès Montoire. Très vite l'écoute de la BBC se répand dans tous les milieux et complète les informations qui proviennent de Sottens (la radio suisse romande). L'anglophilie et un gaullisme d'opinion sont répandus dès 1941. L'entrée en lice des Américains, après celle, forcée, des "Russes", réjouit. Autrement dit, très tôt la propagande du régime ou celle des occupants ont peu de prise sur l'opinion, beaucoup moins en tout cas que celle des Alliés et de la France libre. C'est là le rôle décisif et neuf de la radio, qui ne connaît pas les frontières. À partir de la fin de 1942, l'opinion vit dans l'attente d'une libération que l'on croit toujours plus proche qu'elle ne le sera en réalité. Les événements d'Italie puis de Corse sont suivis avec espoir dans la région. Mais les Anglo-Saxons déçoivent et, de plus en plus, les milieux populaires admirent l'effort soviétique (bataille de Stalingrad, septembre 1942-février 1943).

La collaboration d'État proposée par le régime est pourtant justifiée par la presse et la radio officielle. C'est la croyance en un Vichy "protégeant" un pré carré français. C'est cette option qui conduit au sabordage de la flotte de Toulon le 27 novembre 1942 puisque les chefs de la Marine, fidèles à Vichy et au Maréchal, ont refusé de rejoindre l'Afrique du Nord. Au-delà de ses conséquences (une centaine de bâtiments coulés, vingt-sept morts, un échec pour Hitler), le sabordage de Toulon est un événement militaire et politique dont la portée est internationale.

Ce refus de choix est l'une des critiques que les groupes fascisants, qui penchent pour une collaboration plus active, font au régime de Vichy. Ils sont ici dominés par le PPF grâce à ses bases marseillaises (Simon Sabiani) et niçoises. C'est le PPF, lié à la voyoucratie locale, qui fournit une partie des agents de la Gestapo à Marseille. Il aide surtout les Offices de placement allemand dans leur traque des réfractaires. Un autre apport important au collaborationnisme provient de l'aile "dure" du régime de Vichy, souvent issue de l'Action Française, déçue par une Révolution nationale trouvée insuffisante. De cette fraction, qui dit défendre l'Occident contre les "Barbares", sort le Service d'ordre légionnaire (SOL), puis la Milice, créés à l'initiative de Darnand. Bouches-du-Rhône et Alpes-Maritimes sont les départements où le SOL, vite considéré par la population comme des SA ou des SS, compte le plus d'adhérents (autour de 1 700). La Milice deviendra le satellite policier et militaire des occupants.

# Pénuries et difficultés diverses

La façade méditerranéenne est la région la plus affectée par les nouvelles conditions économiques. Traditionnellement importatrice de denrées de base (céréales, produits laitiers, viande, etc.), elle se trouve dépendante du fonctionnement de transports de plus en plus perturbés au fil des mois, soit par l'usure du matériel, soit par les contraintes de la guerre (transport de troupes par exemple), soit par la guerre elle-même (sabotages et bombardements en 1943 et surtout 1944). Marseille, Toulon et Nice sont parmi les villes qui souffrent le plus des pénuries, ce qui a des effets dramatiques sur le plan sanitaire. Bouches-du-Rhône, Alpes-Maritimes et Var voient leur mortalité s'accroître. La tuberculose reprend vigueur et le rachitisme affecte nombre d'enfants.

Dans toute la région, la distribution des maigres contingents de produits rationnés est irrégulière. Matières grasses, fromages, lait, viande ne sont pas toujours disponibles. Les périodes de soudure entraînent des difficultés encore plus grandes d'approvisionnement en fruits et légumes (printemps et automne). Ce sont avec la fin des hivers les moments les plus durs. Marché "noir" et marché "gris" alimentent des trafics d'ampleur variable (achats à la campagne introduits en fraude, etc.). La pauvreté s'étend dans des proportions inédites. Ersatz et légumes de substitution (topinambour et rutabaga) font leur apparition à partir de 1941.

La rupture de tout trafic avec l'Afrique du Nord en novembre 1942 paralyse le port de Marseille. Avec l'occupation, les prélèvements des troupes, les destructions de champs cultivés sur le littoral et les réquisitions locales de main d'oeuvre s'ajoutent aux perturbations des transports pour rendre le ravitaillement encore plus aléatoire. Mines de bauxite, chantiers navals, arsenal de Toulon, etc. travaillent sous le contrôle direct des Allemands. Les entreprises de travaux publics et du bâtiment profitent largement des commandes qu'ils lancent par l'intermédiaire de l'Organisation Todt, pour la construction d'installations militaires de grande ampleur ("mur de la Méditerranée").

# Les contraintes de la guerre

Vichy avait cru extraire le pays de la guerre en cours et préparer sa "régénération". Mais la politique de collaboration aboutit à l'inverse. Les demandes de main d'oeuvre par l'Allemagne aboutissent à la Relève. Elle commence en juin 1942 avec l'appel au volontariat. Les villes de la région sont parmi celles qui envoient les plus forts contingents de volontaires de toute la zone Sud en 1942 (plus de 7 700 dans les Alpes-Maritimes, sans doute autant dans les Bouches-du-Rhône). Avec la loi du 4 septembre 1942, commencent les réquisitions d'ouvriers dans les entreprises, que relaie l'instauration du Service du travail obligatoire (STO) en février 1943 qui impose le travail en Allemagne aux jeunes gens des classes 19 à 22. Les départs atteignent leur apogée en juin-juillet, mais les refus sont tellement massifs que la machine est bloquée durant l'été. Les réfractaires au travail obligatoire - comme on les appelle - vont se cacher dans les fermes, les chantiers forestiers, les massifs montagneux. Jusqu'en novembre 1942, seule une partie de Menton, que les Italiens tentent d'italianiser, est occupée. À partir du 11 novembre, à la suite du débarquement américain en Afrique du Nord, les Allemands arrivent jusque sur les bords de la Méditerranée et les Italiens les rejoignent par l'Est. Seule la fiction du camp retranché de Toulon "libre" perdure jusqu'au 27 novembre et l'opération Lilas qui échoue à prendre la flotte.

Désormais, l'essentiel de la Provence est occupé par la IVe Armée italienne jusque dans les Bouches-du-Rhône (au niveau d'Aix) et le Vaucluse (sauf la vallée du Rhône). Les Allemands se réservent le contrôle direct des parties vitales (Marseille, la bauxite du Var, l'arsenal de Toulon). Les attentats de la Résistance servent de prétexte à l'évacuation, puis à la destruction du quartier du Vieux Port de Marseille entre le 24 janvier et la mi-février 1943. Plus de 1 600 personnes sont dirigées sur Compiègne en vue de la déportation.

Plusieurs vagues d'arrestations de Juifs suivent à l'initiative des nazis. La principale a lieu en septembre 1943, dans les Alpes-Maritimes, où l'occupation italienne avait offert un relatif refuge. Plus de 2 000 sont arrêtés et déportés. Au total, on peut évaluer à plus de 5 500 le nombre de personnes qui ont été déportées par les Allemands depuis la Provence (dont plus de 2 500 pour les seules Alpes-Maritimes). Parmi elles, environ 3 500 sont des Juifs.

La guerre s'installe donc directement dans la région. Les Italiens commencent sans grande méthode la mise en défense du littoral. Les travaux sont repris avec beaucoup plus de détermination par les Allemands à partir de septembre 1943 (construction de murs antichars, de blockhaus, de bases sous-marines à Toulon et Marseille, etc.). Ils déploient le long du littoral des unités qui comportent de nombreux soldats polonais, tchèques, arméniens et autres soviétiques. Ils lancent à diverses reprises des actions contre les maquis à partir de l'automne 1943 (Ventoux, Maures). Mais la chasse aux résistants est surtout le fait d'unités militaires spéciales et des diverses polices de l'Occupant, dont les principales dépendent de la Gestapo régionale (le Sipo-SD) installée à Marseille au 425, rue Paradis). À noter que la police secrète fasciste, l'OVRA, avait sévi dans la zone d'occupation italienne avec des méthodes comparables.

La région acquiert donc une importance géostratégique nouvelle. Cette position lui vaut d'être régulièrement bombardée à partir de l'automne 1943. Les attaques alliées visent principalement les installations militaires et les installations ferroviaires. L'agglomération de Toulon connaît huit bombardements entre le 24 novembre 1943 et les opérations de la Libération (faisant plus d'un millier de morts), les autres villes sont surtout touchées à partir du moment où se prépare le débarquement en 1944 : Arles, Avignon et les ponts du Rhône (Avignon, en particulier le 27 mai avec aux environs de 500 morts), Cannes-La Bocca, Marseille avec l'effroyable bombardement du 27 mai (1 200 immeubles détruits, près de 2 000 morts, autour de Saint-Charles), Arles, etc.

Cette menace aérienne conduit à l'évacuation d'une partie de la population des villes et les Allemands imposent celle du littoral, d'où un afflux de réfugiés dans l'arrière-pays et parfois dans des départements désignés comme lieu d'accueil (Haute-Loire, Drôme, etc.). Les plages sont minées, les champs susceptibles de servir de lieux d'atterrissage parsemés d'"asperges de Rommel", les maisons et les cultures sont détruites. À l'approche de l'été, les bombardements se multiplient. La résistance est en plein essor.

# Une région en résistance, 1940-1944

Bien entendu, il n'y a pas d'images sur la Résistance, phénomène clandestin par excellence. Or celle-ci a été plus précoce et plus importante dans la région qu'on ne le croit généralement.

# Résister sous Vichy 1940-1942

Les appels du général de Gaulle sont connus très vite. Marseille devient la première "capitale" de la Résistance organisée en zone non occupée, bien relayée par Nice, les localités du littoral (Toulon, Cannes, Antibes) et Avignon. Les mots d'ordre de la BBC ont des répercussions (campagne des V tracés sur les murs au printemps 1941). Marseille voit la première manifestation patriotique d'importance de la zone sud le jour de l'invasion de la Yougoslavie (rassemblement et bouquets de fleurs au monument commémoratif à Alexandre Ier).

Les initiatives plus ou moins spontanées caractérisent encore cette période où les partisans du combat cherchent surtout à quitter la métropole. Dans la mise en place de ces filières, le rôle de Marseille est essentiel. La ville sert de refuge aux directions de nombreuses organisations repliées de Paris, en particulier celles des organisations d'assistance juive ou des organisations protestantes (Quakers, etc.). Tout un pan de semi-résistance tourne autour de l'aide aux réfugiés, antinazis, intellectuels menacés, juifs et étrangers. Marseille est le départ de "filières" comme celle du Comité américain de secours de l'envoyé d'Eleanor Roosevelt, Varian Fry, chargé de venir en aide aux intellectuels et artistes repliés dans le Sud.

Des embryons d'organisation se mettent lentement en place : Mouvement de libération nationale créé par le capitaine Frenay, Liberté autour d'un noyau démocrate-chrétien, groupes socialistes (autour de Félix Gouin à Marseille, puis d'André Boyer et Gaston Defferre), premiers réseaux de renseignement travaillant pour les Britanniques (le réseau franco-polonais F2). Les communistes sont régulièrement décapités par la répression policière, mais se réorganisent et font l'apprentissage des méthodes clandestines. Autour d'eux s'agrègent ce qui devient peu à peu les grands mouvements clandestins (Combat, Libération, Franc-Tireur, front national), les syndicats et partis clandestins, tandis que les réseaux d'action et de renseignement se diversifient considérablement, liés aux services britanniques qui organisent des liaisons maritimes dans l'Estérel et à Cassis. On renoue avec la manifestation de rues : manifestations de ménagères dès l'hiver 1942, manifestations patriotiques parfois spectaculaires comme le 14 juillet 1942 (Avignon, Toulon, et surtout Marseille où, sur la Canebière, deux manifestantes sont tuées par le PPF) et du 11 novembre.

Sous l'impulsion de Jean Moulin, préfet d'ascendance provençale et de tradition républicaine, missionné par le général de Gaulle pour rattacher la Résistance de zone Sud à Londres, parachuté près de Saint-Andiol (Bouches-du-Rhône) au début janvier 1942, les mouvements non communistes font allégeance à la France Libre puis se regroupent sous l'appellation des Mouvements unis de la Résistance (MUR) durant le premier semestre de 1943. Ils sont appuyés par des réseaux politiques (socialistes surtout) ou spirituels (francs-maçons, catholiques de Témoignage chrétien) et ont pour prolongement "militaire", l'Armée secrète (AS). Dans ce processus, la Provence (désignée comme la R2) est en pointe. Des groupes de combat sont mis sur pied : les Groupes francs liés aux mouvements précédents, les Francs tireurs et partisans, français ou étrangers (FTPF ou FTP-MOI) issus du PCF clandestin. Mais le centre de gravité de la Résistance de zone sud s'est déplacé de Marseille à Lyon.

# Résister sous l'Occupation

Avec les réquisitions de main d'oeuvre pour l'Allemagne et l'occupation, la Résistance rassemble ceux qui sont directement menacés. Le maquis lui donne une assise juvénile et populaire et lui permet de se diffuser en milieu rural. Les premiers maquis de la région sont créés dès février-mars 1943 (Ventoux, Maures). Le phénomène s'étend au printemps et recouvre l'ensemble des zones montagneuses (Alpes du Sud). La plupart de ces maquis ne sont pas armés et ne sont destinés qu'à intervenir au moment du débarquement. Seuls les maquis FTP entreprennent sabotages et attentats, parallèlement aux actions que les détachements urbains des FTP-MOI, composés de militants italiens, arméniens, juifs étrangers, roumains, bulgares, espagnols, souvent anciens des Brigades internationales, effectuent à Marseille ("Compagnie" Marat), Nice, Arles et Toulon. Une partie de l'armée - qui fonde l'Organisation de résistance de l'armée (ORA) - est passée dans la résistance en liaison avec Alger et le général Giraud. Avec la CGT réunifiée en avril 1943 et les premiers comités de Libération (celui du Var dès le printemps 1943), la marche vers une unité toute relative de la Résistance est entamée sous l'égide des MUR. L'automne 1943 est une césure importante à plusieurs titres pour l'opinion comme pour les occupants car l'impact de la libération de la Corse est considérable.

Les MUR suscitent la plupart des institutions clandestines destinées à prendre le pouvoir à la Libération. Max Juvénal Maxence, avocat socialiste aixois, responsable de Combat, a été nommé à leur tête. Mais la Résistance communiste les concurrence et réclame une place dans le futur pouvoir. Elle s'appuie sur l'activité soutenue des FTP et surtout sur les luttes revendicatives qui ont lieu dans les mines du bassin de Gardanne et les entreprises de la métallurgie provençale (de Port-de-Bouc à Cannes-La Bocca, en passant par Marseille, La Ciotat, La Seyne). Les "métallos" peuvent même organiser une grève régionale le 22 mars 1944. Ce mouvement social culmine avec les impressionnantes grèves de Marseille qui débutent le 25 mai, avant d'être brisées par le bombardement du 27.

Au printemps 1944, les MUR mettent en place les Forces françaises de l'intérieur (FFI) qui doivent regrouper tous les éléments armés (AS, FTP, ORA). Mais les parachutages d'armes qui ne deviennent relativement nombreux qu'à partir du printemps 1944 (avec pour épicentre la région d'Apt) restent insuffisants et mal répartis. Plusieurs missions militaires sont parachutées pour préparer la libération. Celle-ci commence en fait le 6 juin et non le 15 août. Conformément aux consignes et à la croyance générale en un débarquement en Méditerranée immédiatement après le 6 juin, des centaines d'hommes, peu ou pas armés, rejoignent les emplacements de maquis ou de guérilla et forment même des "zones franches" (plateau de Valensole, vallée de l'Ubaye). Certaines localités sont provisoirement libérées (Manosque, Forcalquier, Valréas, Vaison, etc.). Guérillas et maquis sont parfois attaqués par les occupants qui réagissent violemment à partir du 10 juin dans toute la région. On peut estimer à 500 environ le nombre des victimes de cette répression entre juin et août 1944, en particulier dans la région d'Aix (notamment maquis de La Roque d'Anthéron-Sainte-Anne : une centaine de morts au moins). La guérilla se poursuit dans les Basses-Alpes en particulier, devenu le centre de l'activité maquisarde, mais la Résistance est atomisée entre de multiples commandements. Elle est affaiblie par la trahison qui permet à la "Gestapo" de Marseille de faire des coupes sombres (arrestation du CDL des Basses-Alpes à Oraison et de divers responsables à Marseille) qui seront fusillés les 18 juillet et 12 août près de Signes, dans le Var (trente-huit morts). Les Allemands ont repris alors l'offensive contre les insurgés des Alpes du Sud (réoccupation de Barcelonnette) en liaison avec les opérations de reconquête du Vercors. Malgré tout, la Résistance reste très active (attentats, sabotages du réseau routier, manifestations, grèves, etc.), notamment autour du 14 juillet.

L'action préalable des réseaux de renseignement a eu sa part dans le succès du débarquement du 15 août sur les plages varoises, qui est effectué par la 7e Armée américaine avec l'appoint d'éléments français et d'une division aéroportée déployée à l'arrière des Maures (vallée de l'Argens). La Résistance, partout présente, aide avec ses faibles moyens. L'avancée des troupes est rapide. Draguignan et ses états-majors sont pris le 17, Brignoles le 19, date à laquelle les hommes de l'Armée B du général de Lattre de Tassigny, arrivés à partir du 16, assurent la relève des Américains aux approches de Toulon. Pendant que les uns poussent sur l'axe central vers Aix et Avignon (contrôlées le 21 et le 25), les autres doivent s'emparer du port de guerre et de Marseille.

La libération de la Provence se déroule en deux temps :

  • L'arrière-pays est libéré pour l'essentiel entre le 15 et le 24 août, bien plus vite que prévu puisque les détachements alliés poussent des pointes jusqu'à Grenoble, Montélimar, la frontière italienne. Ce sont les renseignements reçus avant le débarquement qui ont conduit à la mise sur pied d'une colonne mobile (Task Force Butler) qui part de Draguignan, avance en terrain libre ou libéré, pour atteindre la route Napoléon, Digne, Gap et surtout les limites de l'Isère le 19, avant d'être dirigée vers la vallée du Rhône - Montélimar - pour peser sur le repli allemand. Plusieurs garnisons sont circonvenues sans difficulté tant le moral est bas. C'est ainsi que les 850 hommes de Gap se rendent le 20 aux FFI et à un détachement américain. Mais l'affaire n'a pas été facile partout, même si ce sont souvent des troupes en repli que les Américains chassent devant eux. Il faut faire face à des contre-attaques. Certaines, menées à partir de la frontière italienne, ont récupéré du terrain, en Haute-Ubaye par exemple, et Briançon, libérée le 24, reprise le 29, n'a été reconquise que le 6 septembre par les FFI et les troupes nord-africaines.

  • La bataille des villes côtières constitue un deuxième temps. Elle est conduite par les troupes françaises, à forte composante coloniale. Elle commence le 20 août et aboutit le 28 avec la chute simultanée, après de rudes combats, de l'agglomération de Toulon/La Seyne et de Marseille, au moment même où les résistants font le coup de feu dans Nice. Libération plus facile que prévue puisque celle de Toulon était prévue à J + 20, Marseille à + 40 et Lyon à + 90 dans les plans initiaux. La principale caractéristique de la libération de la Provence est d'avoir connu plusieurs insurrections urbaines avant l'arrivée des soldats réguliers ou le départ des occupants. Des combats comparables se déroulent simultanément dans Marseille où, sous la pression des communistes et de la CGT qui appelle à la grève générale insurrectionnelle, le CDL a lancé le mot d'ordre d'insurrection le 19. En dépit de la faiblesse de l'armement, malgré les divisions, c'est dans une ville "debout" que les hommes du 7e RTA pénètrent le 23, deux jours après que la Résistance se soit emparée de la Préfecture pour y installer le CDL. Plus d'une centaine de résistants et un millier de soldats réguliers (marocains pour la moitié) ont trouvé la mort dans les combats. Certes la destruction des quais et des ouvrages d'art, minés au préalable, ne peut être évitée, sauf ponctuellement, ni à Toulon, ni à Marseille, mais, du moins, aucun des deux ports ne peut être transformé en "poche" comme sur l'Atlantique.

Ce n'est pas l'un des moindres succès de la Résistance toute entière, intérieure et extérieure, que d'avoir entraîné le pays derrière elle. L'enthousiasme est partout, donnant l'illusion que la guerre est finie.

Pourtant la désillusion s'installe vite, car les conditions de vie, surtout dans les villes grandement détruites, sont très dures. Les pénuries persistent, tout est à reconstruire, les sacrifices consentis sont considérables. La Résistance au pouvoir assure la remise en route des services essentiels, la reconstruction, l'épuration. La population prend conscience du drame des camps de la mort avec le retour des déportés. Beaucoup passent par Marseille avec des prisonniers de guerre et requis du travail obligatoire libérés par les troupes soviétiques ;

Marseille est un point d'appui essentiel pour l'approvisionnement de l'armée américaine qui combat en Lorraine et en Alsace, avec, à ses côtés, l'armée de Lattre, devenue la Première Armée française. Les régiments FFI y sont progressivement incorporés. Certaines unités combattent sur les Alpes, où la guerre se poursuit. Les combats sont sporadiques durant l'hiver, se limitant à des coups de main et des duels d'artillerie. Les troupes françaises prennent la relève des Américains dans les Alpes-Maritimes en mars 1945 et passent à l'offensive début avril. L'offensive générale lancée fin avril permet de franchir les cols et de passer en Italie. C'est alors que la capitulation du 8 mai intervient, suscitant partout de nouvelles manifestations de joie.

Les élections municipales (29 avril et 13 mai 1945), les premières à connaître le vote des femmes, amorcent le retour à la démocratie. La Résistance, qui rejoint les partis (SFIO, PCF et MRP) plutôt que de se rassembler dans les mouvements issus de la clandestinité, est généralement plébiscitée. L'espoir de refonder une République neuve, juste, tournée vers le souci des intérêts collectifs et la solidarité, est largement présent. Il s'exprime en particulier le 14 juillet 1945.

Mais la IVe République se construit dans la division des forces issues de la Résistance et dans un contexte international troublé. Le général de Gaulle quitte le pouvoir en janvier 1946 et c'est le député-maire d'Istres, Félix Gouin, qui lui succède. Cependant le traité de paix avec l'Italie signé le 10 février 1947 clôt, dans une certaine mesure, le conflit entre les deux pays voisins. Il amène des rectifications de frontière principalement dans les Alpes-Maritimes. C'est alors que Tende et La Brigue, après référendum le 12 octobre, sont rattachées à la France.

Le souvenir de la guerre, de la Résistance, de la Libération va être entretenu par les associations d'anciens, déportés, résistants ou militaires, par des cérémonies et par des monuments commémoratifs dont le nombre s'accroît au fil du temps. Les premiers ont été souvent consacrés au souvenir des martyrs locaux, mais aussi à celui du Débarquement. C'est cet événement que le général de Gaulle entend consacrer en 1964 pour le 20e anniversaire de la Libération.

Quelques mois après, c'est à travers un fils de Provence (et du Languedoc), Jean Moulin, qu'il rendra hommage à la Résistance en faisant déposer ses cendres au Panthéon.

# Bibliographie

# Région

  • Paul Gaujac, La Bataille de Provence 1943-1944, Paris, Ed. Lavauzelle, 1984.
  • Robert Mencherini dir., Provence-Auschwitz. De l'internement des étrangers à la déportation des juifs 1939-1944, Aix-en-Provence, PUP, 2007.
  • Provence historique, "La Provence de la Résistance à la Libération", tome XLIV, fasc. 178, oct.- déc. 1994.

# Départements et villes

  • Robert Bailly, Histoire d'Avignon et des Avignonnais pendant la dernière guerre, septembre 1939-septembre 1944, Avignon, Barthélémy, 1986.
  • Renée Dray-Bensoussan, Les Juifs à Marseille (1940-1944), Paris, Les Belles Lettres, 2004.
  • Jean-Marie Guillon, Le Var, la guerre, la Résistance 1939-1945, Toulon, CDDP, 3e édition 1994.
  • Pierre Guiral, La Libération de Marseille, Paris, Hachette, coll. "La Libération de la France", 1974.
  • Marseille (revue municipale) n° 172 spécial, "La Libération août 1944", 1995.
  • Jean-Louis Panicacci, Les Alpes-Maritimes de 1939 à 1945, Nice, Serre, coll. Actual, 1989.