L'histoire de Trois places pour le 26 commence un soir de 1968, à Hollywood, dans une voiture ayant à son bord les couples Demy-Varda et Montand-Signoret. Après le succès des Parapluies de Cherbourg (1963) et des Demoiselles de Rochefort (1966) qui ont donné une touche française à ce genre si américain qu'est la comédie musicale, Demy pense poursuivre sa carrière aux Etats-Unis. Ce soir-là, il ne sait pas encore que ses espoirs vont tourner court. Montand, lui, est une star internationale depuis qu'en 1960, il a été le partenaire chantant et dansant de Marilyn Monroe dans Le Milliardaire. Tandis que la voiture roule, ces deux grands amoureux de la comédie musicale esquissent les contours de celle qu'ils se promettent de faire ensemble...
Demy rentre en France peu après. Il tourne Peau d'âne, refait une parenthèse anglo-saxonne avec Le Joueur de flûte, puis se lance dans L'Evénement le plus important depuis que l'homme a marché sur la lune. Il n'en oublie pas pour autant le projet.
En 1974, le scénario est prêt. A ce moment-là l'histoire - qu'il titre Les Folies passagères - n'est pas centrée sur la vie de Montand. Le personnage ressemble plutôt à Demy, qui lui prête plusieurs de ses traits, dont son origine nantaise. Pourtant, même si l'histoire se passe à Nantes, elle est déjà, pour l'essentiel, celle que l'on retrouvera dans Trois places pour le 26 : un artiste de music-hall qui revient dans la ville de ses débuts pour y jouer un spectacle, les retrouvailles avec la femme qu'il y a jadis aimée, et l'intrusion d'une jeune débutante qui s'avère, sans qu'il le sache, être sa fille.
Pendant deux ans, Demy cherche un producteur. En vain. Il va ensuite de déconvenues en déconvenues avec Une chambre en ville (1982), succès critique mais échec public et financier cuisant et Parking (1985) que même ses plus fervents admirateurs estiment partiellement raté. Cependant, Montand ne l'oublie pas. Après son interprétation triomphale du Papet dans Jean de Florette et Manon des sources, il sait que Claude Berri, producteur et réalisateur du doublet, ne peut pas lui refuser grand chose. Il lui demande donc de produire la comédie musicale rêvée quinze ans plus tôt. Et Berri accepte !
Le personnage central devient-il « Montand le légendaire » à sa demande ? Ou est-ce une idée de Demy ? En tout cas, Trois places pour le 26 est désormais une triple mise en abyme : Montand joue Montand qui joue un show racontant la vie de Montand ! Et plusieurs éléments de sa biographie sont convoqués pour l'occasion : l'origine de son pseudonyme (la mamma qui lui criait toujours depuis la fenêtre : « Ivo monta ! »), son travail comme ouvrier frappeur aux Chantiers de la Méditerranée, les premiers contrats dénichés par le brave Berlingot, le soutien du producteur Audiffred, la fuite à Paris pour échapper au STO, la liaison avec Piaf, la rencontre avec Simone Signoret au célèbre restaurant La Colombe d'or de Saint Paul de Vence...
Pendant les extérieurs qui sont tournés, comme il se doit, à Marseille, la ville donne d'innombrables marques d'affection à l'enfant revenu au pays. Les copains de la communale viennent voir Montand et lui donnent des nouvelles de ce quartier de la Cabucelle qu'il a quitté quelque 50 ans plus tôt. L'émoi est à son comble quand la production demande des volontaires pour remplir l'Opéra et jouer, sous la caméra de Demy, en contrechamp de la star, le rôle du public qui l'acclame debout. Plus de 2 000 personnes répondront à cet appel, qui ne pourront pas toutes entrer, et qui n'auront guère à se forcer pour lancer les bravos qu'on leur demande. Pour les remercier, un Montand visiblement bouleversé improvisera Les feuilles mortes a capella. Moment mémorable... Il n'est donc guère surprenant que l'acteur soit émouvant dans ce rôle où il prouve de surcroît qu'il n'a rien perdu, en dépit de ses 67 ans, de ses qualités de showman.
Pourtant, Trois places pour le 26 n'a finalement rencontré qu'un demi-succès. Le thème de l'inceste qui rodait en filigrane dans plusieurs des films précédents de Demy et que le cinéaste assumait ici ouvertement, a déconcerté les fans de Montand et les amoureux de la comédie musicale, peu habitués à ces transgressions. Quant à la musique de Michel Legrand, elle ne s'accordait sans doute plus au goût du jour...
Bibliographie :
Camille Taboulay, Le cinéma enchanté de Jacques Demy, Les Cahiers du Cinéma, 1996
Filmographie :
Jacques Demy, Trois places pour le 26, 1988. (disponible en dvd)