# Présentation
Depuis qu'un certain train entra un certain jour en gare de La Ciotat, on tourne en Provence Alpes Côte d'Azur plus que dans toute autre région de France, Ile de France exceptée. La perspective est quelque peu écrasante pour qui tente de rendre compte de cette production pléthorique ! D'autant que les archives qui en portent témoignage se comptent, elles aussi, par centaines dans les fonds de l'INA. Fort heureusement, de par son sujet même, un parcours de cinéma n'a nul besoin d'être rigoureusement balisé. Il peut bifurquer pour le seul plaisir de l'anecdote, revenir en arrière en raison de passions parfaitement avouables, sauter d'un grand classique à une curiosité, baguenauder d'un film-culte à un nanar. On l'aura compris : ce parcours sera une balade.
# Quelques histoires de cinéma, côté sud
Le terme de balade, revendiqué en introduction, s'applique on ne peut mieux à ce premier chapitre ! Il serpente en effet, de-ci de-là dans l'histoire du cinéma, à travers des documents relatifs à des films qui ont pour point commun d'être le fruit d'histoires singulières. En plus d'avoir été tournés dans le Midi, bien entendu !
Par un heureux hasard, une archive de 1961 permet de commencer... par le commencement ! Car à l'occasion du 66e anniversaire de la première séance publique du Cinématographe Lumière, un reporter et son cameraman ont eu a bonne idée de se rendre « en pèlerinage » à La Ciotat, et de filmer quasiment à l'identique, la fameuse Arrivée du train ! tournée par Louis Lumière en 1895.
Date de la vidéo: 26 déc. 1961
Durée de la vidéo: 01" minutes 22 secondes01M 22S
Un jour un train arriva en gare de la Ciotat
Cette courte archive a été tournée à La Ciotat le 26 décembre 1961, pour célébrer, à 48 heures près, le 66e anniversaire de la toute première séance publique du Cinématographe Lumière. Le reportage s'ouvre sur un plan qui reproduit L'arrivée du train tandis que le commentaire précise qu'il s'agit d'un « geste pieux ». On parcourt ensuite les lieux qui marquent le souvenir laissé par les célèbres frères et leurs films à La Ciotat.
Étape suivante : une archive superbe de Jean Renoir commentant un de ses films les plus méconnus, Toni, tourné en 1935 aux Martigues (comme on disait alors). Premier film français à prendre des immigrés comme personnages principaux et à appliquer de surcroît les méthodes qui seront plus tard celle du néoréalisme, Toni est une œuvre essentielle dont le souvenir, conservé dans cette archive, est précieux.
Date de la vidéo: 12 nov. 1957
Durée de la vidéo: 07" minutes 28 secondes07M 28S
Renoir se souvient de Toni
Lors du numéro de La Joie de Vivre qui lui est consacré, le 12 novembre 1957, Jean Renoir reconnaît le caractère pionnier de Toni, qu'il a tourné à Martigues, en 1935, entièrement en décors naturels. On assiste ensuite à la reconstitution d'une scène-clé du film, opposant Blavette et Andrex.
On saute ensuite aux années 1950. D'abord avec deux documents relatifs à L'Eau vive.
Ce n'est pas tant la qualité artistique de ce film bien oublié qui mérite aujourd'hui l'attention, mais la manière tout à fait unique dont il a été produit. L'Eau vive est en effet une incroyable opération de communication, entièrement financée par Électricité de France (EDF) pour populariser, à travers tout le pays, l'aménagement gigantesque de la vallée de la Durance ! Que Jean Giono lui-même se soit laissé embarquer dans cette épopée à la gloire de la fée Électricité en dit long sur l'esprit des Trente Glorieuses !
Date de la vidéo: 16 juin 1956
Durée de la vidéo: 03" minutes 12 secondes03M 12S
Giono et le barrage
Enregistrée le 16 juin 1956, cette archive annonce que Jean Giono prépare un film qui s'intitulera L'Eau vive et précise qu'il sera tourné sur les rives de la Durance « qui se dépoétise sous la volonté industrielle de l'homme ». On assiste d'abord à la répétition d'une scène dans une cour de ferme des Hautes-Alpes. On y voit notamment Blavette et Pascale Audret, « la découverte de Giono ». Curieusement, le réalisateur du film, François Villiers, n'est jamais cité, bien qu'il apparaisse à l'image. Le reportage montre ensuite les ultimes (et lourds) préparatifs avant le premier tour de manivelle, puis le tournage lui-même, de nuit, au bord de la Durance.
Date de la vidéo: 21 mars 1957
Durée de la vidéo: 06" minutes 46 secondes06M 46S
Répétition de L'Eau vive au quai d'Orsay
Ce document est tourné le 21 mars 1957, neuf mois après le précédent, à Paris, dans le Palais d'Orsay. On y voit d'abord les comédiens Henri Arius, Pierre Moncorbier, Jean Panisse, Hubert de Lapparent et Pascale Audret répéter à la table sous la direction de François Villiers. Jean Giono et son coauteur, Alain Allioux, observent la scène. Insistant à plusieurs reprises sur le caractère insolite de cette production, le journaliste interroge ensuite Giono sur les raisons qui l'ont amené à participer à ce film et sur les conditions très particulières de sa réalisation.
Cette prospérité économique ascendante va toutefois de pair avec une situation politique extrêmement tendue.
Les années 1950 sont en effet marquées par deux faits majeurs : la décolonisation, qui n'avance qu'au prix de violents conflits, en Indochine d'abord puis en Algérie, et la Guerre froide qui oppose capitalisme et communisme, camp occidental et bloc soviétique. Le Rendez-vous des quais, film engagé du Marseillais Paul Carpita, saisi par la police à sa sortie en 1955 pour « trouble à l'ordre public » et retrouvé seulement en 1990, est à cet égard un des plus significatifs de la période.
Date de la vidéo: 28 févr. 1990
Durée de la vidéo: 07" minutes 31 secondes07M 31S
Censure(s) pour Paul Carpita
En 1990, à quelques heures de la sortie du Rendez-vous des quais en salles, Paul Carpita vient à la télévision régionale retracer le parcours peu banal de ce film, tourné quarante ans plus tôt à Marseille, en partie clandestinement, sur fond de la « Grande grève » des dockers contre la guerre d'Indochine, avant d'être saisi par la police au cours d'une projection, « pour trouble à l'ordre public ». Ce n'est que trois décennies plus tard qu'il sera retrouvé. Le cinéaste évoque également les conditions de tournage, l'appui décisif des Studios Pagnol lors de la postproduction, et l'objectif qu'il poursuivait en faisant ce film. Le journaliste cite de son côté les critiques dithyrambiques qui accompagnent le Rendez-vous des quais depuis sa résurrection. Des extraits du film illustrent le sujet.
Avec l'archive afférente à Cocteau et à son Testament d'Orphée, on arrive à la césure entre les années 1950 et 1960. Le film, qui a, lui aussi, une histoire peu banale - il n'a pu se faire que grâce à toute une chaîne d'amitiés dont le maillon essentiel a été François Truffaut - est désormais un classique incontournable. Il a en outre popularisé le site des Baux-de-Provence dans le monde entier.
Date de la vidéo: 12 sept. 1959
Durée de la vidéo: 02" minutes 15 secondes02M 15S
Cocteau signe son testament aux Baux
Dans cette archive du 12 septembre 1959, on assiste aux ultimes préparatifs avant le premier tour de manivelle du Testament d'Orphée, aux Baux. On voit d'abord Jean Cocteau en train de vérifier le plan de travail à la terrasse de L'Oustau de Baumanière, pendant que le commentaire explique ce que va être le film : « un dernier poème visuel légué à tous les jeunes qui lui ont fait confiance, avec l'espoir d'atteindre quelques âmes fraternelles ». Le projet est ensuite plus amplement détaillé devant le décor extérieur qui servira le soir même, lors du tournage de la première séquence. Le reporter égraine le nom de toutes les personnalités qui participeront au film tandis qu'on voit Daniel Gélin donner une interview et Cocteau boire en compagnie de Gitans « qui tiendront une place importante dans le film ». Le document s'achève sur des plans d'ambiance, la nuit, au moment du premier clap.
Arrive donc, dans la foulée, la Nouvelle Vague, et plus exactement, en ce qui concerne l'archive retenue, Jean-Luc Godard. Comme ses anciens complices des Cahiers du Cinéma, le cinéaste a, lui aussi, cédé au tropisme de la Côte d'Azur et est venu y tourner son film le plus emblématique, Pierrot le fou. L'archive reflète bien les réactions de beaucoup de journalistes et de spectateurs, fort déstabilisés par sa « manière » !
Date de la vidéo: 23 oct. 1965
Durée de la vidéo: 02" minutes 14 secondes02M 14S
Pierrot le fou met cap au sud
Ce document est réalisé en novembre 1965, à l'occasion de la sortie en salles de Pierrot le Fou, dixième film de Jean-Luc Godard. Avant que ne commence l'interview du réalisateur, le journaliste indique, dans un luxe de précautions oratoires, que le film a été accueilli à Marseille « par des mouvements divers ». Et ajoute : « Godard nous a habité à produire des films assez particuliers ; l'interview sera donc un peu particulière». Dans l'entretien proprement dit, des images du film sont parfois introduites sur les propos de Godard. Celui-ci donne des explications sur le titre et le nom du personnage, fait quelques considérations sur la vie, le soleil et les nuages, et conclut en résumant l'histoire qu'il qualifie de « très simple ». Après un bruit d'explosion, le document se termine sur un montage « à la Godard » à partir de l'affiche.
Coïncidence heureuse, c'est Melville - que Godard admirait beaucoup - qui lui succède dans l'ordre chronologique. L'archive proposée a en effet été enregistrée en 1966, pendant le tournage du Deuxième souffle ; un jalon majeur du polar « à la française », signé par un cinéaste des plus extravagants, sur la base d'un roman écrit par un ancien condamné à mort !
Date de la vidéo: 26 févr. 1966
Durée de la vidéo: 03" minutes 52 secondes03M 52S
Melville trouve son deuxième souffle
Ce document, enregistré en février 1966 à Marseille, s'offre une mise en scène très « melvillienne » pour rendre compte du tournage du Deuxième souffle. On assiste d'abord aux préparatifs d'un plan qui sera effectué à la grue. Tandis qu'on aperçoit le réalisateur Jean-Pierre Melville et l'acteur Mel Ferrer (qui ne jouera finalement pas dans le film) le commentaire évoque « une histoire de truands dure et violente ». Puis, dans un bar où ils sont accoudés façon gangsters, Melville, Lino Ventura et Paul Meurisse répondent tour à tour aux questions du journaliste. Le cinéaste souligne les problèmes posés par un scénario où s'entrecroisent pas moins de douze personnages. Ventura et Meurisse parlent de leur rôle respectif.
Dernière étape enfin : une escapade aux Studios de la Victorine à Nice, dont l'histoire est jalonnée de morts annoncées et de résurrections rocambolesques. Un mot qui conviendrait d'ailleurs à toutes les histoires de ce chapitre...
Date de la vidéo: 13 avr. 1984
Durée de la vidéo: 01" minutes 50 secondes01M 50S
Les studios de la Victorine
Dans le journal régional du 13 avril 1984, le journaliste se fait l'écho d'une information annoncée officiellement le jour même : le gouvernement a décidé d'attribuer une subvention de près d'un million et demi de francs pour la rénovation et la modernisation des Studios de la Victorine, à Nice. Cette annonce donne lieu à un sujet illustré sur « l'histoire prestigieuse » de ces studios, leurs heures de gloire puis leurs heures sombres. Le commentaire se termine sur une note prudente : « Silence, on va peut-être tourner ».
Date de la vidéo: 13 févr. 1995
Durée de la vidéo: 01" minutes 59 secondes01M 59S
L'insubmersible Victorine
Ce reportage est tourné en février 1995, à un moment où La Victorine va très mal : aucun long-métrage n'y a été tourné en 1993, un seul en 1994, précise le commentaire. Il ne reste que sept employés permanents, dont le projectionniste du studio qui exprime ici ses craintes et ses espoirs. Après un rappel des périodes fastes, appuyé par des extraits des Enfants du paradis et d'une interview de Truffaut préparant La Nuit américaine, on nous montre les bâtiments à l'abandon tandis que le commentaire précise en conclusion que le studio ne vivote plus que grâce aux tournages de pub, mais qu'il espère l'arrivée d'un repreneur.
# Incontournable Marcel Pagnol
Près d’un siècle après la sortie de Marius sur les écrans en 1931, l'image des Méridionaux donnée par Marcel Pagnol reste toujours très prégnante. Faut-il s'en réjouir au nom d'un génie dont l'universalité n'est guère contestable ? D'une popularité qui saute sans effort d'une génération à l'autre ? Ou le déplorer en raison de la triplette « galéjade, pastis et jeu de boules » qu'il a contribuée à populariser et qui s'est parfois révélée pesante pour les Marseillais? Toujours est-il que l'auteur de la Trilogie marseillaise (Marius, Fanny et César) a tellement marqué l'histoire du cinéma « made in Provence » qu'il demande un chapitre à lui tout seul !
On serait tenté d'écrire : au début était le verbe pagnolesque, cet art de raconter, dans lequel les gens du Midi se reconnaissent spontanément. Car au-delà de l'accent ou du vocabulaire, il est porteur d'une tournure d'esprit, d'une façon d'exprimer les choses typiquement, profondément, méridionales. C'est un peu de cet art que montre la première des archives sélectionnées dans ce chapitre. On y voit Marcel Pagnol enjoliver les faits de manière à hisser la banalité de la vie à hauteur de légende.
Date de la vidéo: 12 nov. 1965
Durée de la vidéo: 02" minutes 25 secondes02M 25S
Moi Pagnol, né le même jour, au même endroit, que le cinéma...
« Le cinéma et moi sommes nés le même jour au même endroit » a répété de multiples fois Marcel Pagnol. Il le redit dans ce document tourné en 1965... Même si ce n'est pas tout à fait vrai ! Il évoque aussi certains de ses projets avortés comme la Cité du cinéma qu'il voulait créer à La Buzine, c'est-à-dire Le Château de ma mère.
La seconde archive de ce chapitre, montrant la triste fin des studios Pagnol dans un incendie, permet d'évoquer un visage du personnage souvent occulté par la fantaisie pagnolesque : sa volonté d'indépendance ! Pagnol a été un des rares cinéastes de son temps, si ce n'est le seul, à s'être donné les moyens d'une totale liberté. Production, distribution, exploitation, laboratoires et, in fine, studios. Il a voulu être son propre maître à tous les stades de la chaîne de fabrication du cinéma, afin que les considérations commerciales ne viennent pas interférer dans la création artistique. En soi, la démarche était totalement inédite. Elle l'était même doublement puisque le cœur de ce dispositif, les studios, se trouvait non pas à Paris mais à Marseille ! C'est cette attitude farouchement auteuriste qui lui a valu le respect de la Nouvelle Vague et qui est, aujourd'hui encore, saluée par les tenants du cinéma indépendant.
Date de la vidéo: 01 févr. 1962
Durée de la vidéo: 50 secondes50S
Pagnol en ses studios
Le document est un reportage « à chaud » sur l'incendie qui, le 1er février 1962, a détruit les Studios de Marseille, anciennement Studios Marcel Pagnol, rue Jean Mermoz. Sur les images des bâtiments dévorés par les flammes, le commentateur évoque le passé glorieux de ces locaux ainsi que les grands comédiens qui y travaillèrent. A noter, pour la petite histoire, que contrairement à ce qui est affirmé ici, la Trilogie n'y a pas été tournée.
Les archives rassemblées ci-dessous permettent d'évoquer le rayonnement de son œuvre à la fois dans le temps et l'espace.
Dans l'espace d'abord, puisque dans un des documents proposés, Pagnol lui-même commente, non sans malice, les principales adaptations de la Trilogie qui ont été faites un peu partout dans le monde et sous les formes les plus diverses, tandis qu'en parallèle, une autre archive montre les préparatifs de tournage de la version américaine de Fanny sur le Vieux Port.
Date de la vidéo: 17 mai 1960
Durée de la vidéo: 01" minutes 49 secondes01M 49S
Tournage de la version américaine de Fanny
Ce reportage d'ambiance est tourné sur le Vieux Port de Marseille le 17 mai 1960, lors du premier tour de manivelle de Fanny, version américaine. Pour l'occasion, Marcel Pagnol a organisé la venue en train d'un certain nombre de personnalités du cinéma (alors rassemblées à Cannes à l'occasion du Festival). Au milieu des techniciens qui s'affairent, on reconnaît le réalisateur Joshua Logan et les principaux acteurs. Le journaliste souligne le caractère international du casting, puis évoque le décor : la Malaisie que la caméra nous montre, ancrée devant le Quai de la Mairie, et le Bar de la Marine reconstitué, nous dit-il, près du Fort Saint-Jean. Après avoir précisé que les Marseillais ont déjà adopté l'équipe, il rapporte la déclaration de Logan à la presse : « Fanny est une gloire marseillaise et nationale. Je voudrais en faire une gloire mondiale ». Ce reportage allègre se termine sur des images enregistrées la veille, au cours de la réception de bienvenue, avec Marcel et Jacqueline Pagnol au centre de la fête.
Date de la vidéo: 12 nov. 1965
Durée de la vidéo: 02" minutes 03 secondes02M 03S
Le tour du monde de Fanny
Interrogé dans le cadre de l'émission Les trois coups, Marcel Pagnol évoque avec beaucoup d'humour les différentes versions de Fanny qui ont été faites dans le monde entier, tant au théâtre qu'au cinéma, depuis la version italienne relocalisée à Gênes et boudée par le fascisme, jusqu'au musical monté à Broadway.
Dans le temps ensuite, grâce au rôle joué par Claude Berri en 1985. Il faut en effet se souvenir que durant la décennie qui a suivi la mort de Pagnol, en 1974, on n'osait quasiment plus toucher à son œuvre. Le cinéaste-écrivain se trouvait donc, en quelque sorte, confit dans sa légende. En adaptant Jean de Florette et Manon des sources avec des moyens conséquents (et un grand succès !) Berri n'a pas levé un tabou, mais une crainte. Il a prouvé qu'on pouvait faire du Pagnol sans Pagnol, et que le public d'aujourd'hui adhérait toujours à cet univers.
Date de la vidéo: 08 mars 1986
Durée de la vidéo: 02" minutes 12 secondes02M 12S
Tournage du film Jean de Florette avec Yves Montand
Tourné à Sommières (Gard) pendant l'été 1985, ce reportage montre les préparatifs avant le tournage d'une scène de foule de Jean de Florette. On découvre le décor, qui reconstitue avec minutie Aubagne dans les années 20. Le réalisateur Claude Berri surveille l'ensemble et paraît satisfait. Le commentateur souligne le gigantisme de l'entreprise ( « 9 mois de tournage, un budget de 85 millions de francs ») avant d'évoquer la distribution et le choix de Daniel Auteuil pour succéder à Rellys dans le rôle d'Ugolin. Le document se termine sur une interview d'Yves Montand qui égraine ses souvenirs personnels de Pagnol et dit le plaisir que lui procurent les dialogues du film.
Date de la vidéo: 24 oct. 1986
Durée de la vidéo: 06" minutes 14 secondes06M 14S
Berri réactive la gloire de Pagnol
Ce document est enregistré le 24 octobre 1986 lors de la présentation à la presse de Manon des sources. Sont d'abord interviewés Daniel Auteuil et Emmanuelle Béart, qui insistent tous deux sur leur amour de Pagnol, « leur auteur de chevet avec Giono », et leur légitimité à incarner des personnages du Midi (Emmanuelle Béart mentionne notamment qu'elle est née et a grandi à Gassin et qu'elle a passé son enfance dans les collines). On voit ensuite Jacqueline Pagnol aux côtés de Claude Berri. Après avoir précisé que « Pagnol n'a pas été trahi », elle dit la satisfaction que lui procure cette nouvelle version. Berri, lui, évoque la chance qui a accompagné cette entreprise.
Que soient apparus, parallèlement à cet engouement toujours renouvelé, des fils désireux de tuer le Père - on se rapportera, à ce sujet aux propos de Guédiguian présentant Marius et Jeannette - c'est sans doute assez sain !
# Un cinéma régional, pour quoi faire ?
Au milieu des années 1970, un vent nouveau souffle sur le cinéma depuis les régions. En Bretagne, avec René Vauthier, à Toulouse, à Grenoble, on veut en finir avec une centralisation qui limite, voire qui empêche, la découverte et l'expression de jeunes talents, et plus encore, qui uniformise la création selon des standards parisiens.
A Marseille, c'est le cinéaste René Allio qui va porter de cette exigence. Le succès de plusieurs de ses films - La Vieille dame indigne, Les Camisards, Moi Pierre Rivière - lui donne une assise certaine. Il pense donc que le moment est venu de défendre auprès des pouvoirs publics une idée qui lui tient particulièrement à cœur : la création d'une structure régionale de production.
En 1978, pendant qu'il tourne Retour à Marseille, il obtient des instances régionales un premier financement pour créer, en novembre 1979, un embryon de centre sur le domaine de Font-Blanche, à Vitrolles y tenir un colloque sur la notion d'espace culturel méditerranéen. (Car, idée alors pionnière, c'est déjà tout l'espace méditerranéen qui est convoqué et revendiqué, et non le seul territoire provençal.) Mais à Paris, le projet est sèchement refusé. Il faut attendre l’élection de François Mitterrand en 1981 à la présidence de la République pour que les choses changent. Portée par Gaston Defferre, ministre de l’Intérieur et maire de Marseille, les premières lois de décentralisation votées en 1982 préconisent l'essor de structures en prise avec la création locale tandis que le rapport Bredin recommande d'aider le cinéma en région. Autant d'éléments qui incitent Jack Lang, alors ministre de la Culture, à visiter Font-Blanche, et à activer, dans la foulée, l'engagement financier de l'État.
Ainsi sur les rails, le Centre Méditerranéen de Création Cinématographique (CMCC) devient à la fois un lieu de création et de réflexion. Les « commençants » (comme Allio les appelle) y trouvent des moyens techniques (salles de montage, bureaux, salle de projection), des outils (caméras, matériel de prise de son, etc..) mais aussi un espace d'échange et de confrontation d'idées. C'est d'ailleurs cet aspect que mettent en avant Jean-Pierre Daniel et Alain Ughetto, les jeunes réalisateurs que l'on voit dans l'archive proposée ici [1].
[1] Alain Ughetto et Jean-Pierre Daniel connaîtront des destins bien différents. Le premier a continué dans le cinéma d'animation. Il a notamment obtenu un César en 1985 pour son court-métrage La Boule. Le second partira créer L'Alhambra, salle originale dans les quartiers nord de Marseille qu'il dirigera jusqu'à sa retraite. On lui doit par ailleurs la redécouverte du Rendez-vous des quais.
Date de la vidéo: 29 déc. 1981
Durée de la vidéo: 03" minutes 48 secondes03M 48S
Le centre cinématographique de Fontblanche
Ce sujet, diffusé le 29 décembre 1981, présente le Centre Méditerranéen de Création Cinématographique (CMCC) créé en novembre 1979 par René Allio sur le domaine de Font-Blanche à Vitrolles. Le commentaire précise qu'il s'agit d'une « initiative courageuse » avant d'en énumérer les objectifs : la création et la promotion d'œuvres régionales. Deux jeunes réalisateurs en résidence au CMCC, Jean-Pierre Daniel et Alain Ughetto, expriment leurs sentiments sur cette expérience. Leurs propos sont entrecoupés d'extraits de films qu'ils ont réalisés dans ce cadre. On voit ainsi quelques plans du court-métrage Les voyages du Château, de Jean-Pierre Daniel, et de L'Echelle, film d'animation d'Alain Ughetto.
Date de la vidéo: 28 févr. 1990
Durée de la vidéo: 04" minutes 37 secondes04M 37S
Paul Carpita présente Le Rendez vous des quais
Le 28 février1990, à quelques heures de la sortie du Rendez-vous des quais en salles, Paul Carpita vient présenter son film aux Actualités régionales et en explique l'histoire peu banale. Il a été tourné quarante ans plus tôt à Marseille, en partie clandestinement, sur fond de la « Grande grève » des dockers contre la guerre d'Indochine, avant d'être saisi par la police au cours d'une projection, « pour trouble à l'ordre public ». L'interview s'interrompt pour permettre la diffusion de deux extraits du film, l'un au ton très militant, l'autre plus léger, presque pagnolesque. Le réalisateur évoque ensuite la résurrection de ce Rendez-vous des quais grâce à l'obstination de Jean-Pierre Daniel, le directeur de L'Alhambra Ciné Marseille, qui l'a retrouvé dans les Archives du film de Bois d'Arcy.
Allio impose une seule règle : que les films conçus au CMCC soient certes régionaux de par leur naissance, mais universels de par leur résonance. Les films portés - et coproduits - par le Centre seront, de ce fait, extrêmement variés. Parmi les longs-métrages de fiction, on peut citer deux films en occitan, Le Montreur d'ours de Jean Fléchet et Histoire d'Adrien de Jean-Pierre Denis, Caméra d'or au festival de Cannes en 1980, ainsi que Rouge midi, le second film de Robert Guédiguian ou encore Le Grain de sable de Pomme Meffre. Le producteur Paul Saadoun ou le cinéaste Philippe Faucon y font également leurs premières armes.
Comment cette expérience est-elle perçue au plan national, depuis Paris ? En général, comme anecdotique. Quand elle n'est pas tout bonnement ignorée. Fort heureusement, certains « professionnels de la profession » saisissent pleinement l'enjeu que représente, pour l'ensemble du cinéma français, l'émergence de cette production venue des régions. Parmi eux, le critique Henry Chapier, de grande notoriété médiatique.
Dans l'archive présentée ici, le compte-rendu qu'il fait de Rouge Midi, film de Robert Guédiguian qui s'est fait avec l'aide du CMCC - démontre une clairvoyance rare en son temps. L'argumentaire qu'il développe pour défendre cette création régionale pourrait d'ailleurs être repris mot pour mot, à l'identique, aujourd'hui encore.
Date de la vidéo: 12 juil. 1985
Durée de la vidéo: 02" minutes 52 secondes02M 52S
Quand Chapier prenait position pour le cinéma régional
Le 12 août 1985, à l'occasion de la sortie de Rouge Midi en salle, la présentatrice de Soir 3 en résume l'intrigue, puis lance un extrait de ce deuxième film du Marseillais Robert Guédiguian. Elle se tourne ensuite vers Henry Chapier, le critique attitré de la chaîne, avec cette question : « Est-ce qu'on peut imaginer un cinéma régional comme celui des Italiens ? ». Celui-ci répond par une analyse brillante du film et souligne les perspectives ouvertes par ce type de film. A noter que le nom de Guédiguian incrusté en bandeau sur l'extrait est mal orthographié.
Malheureusement, l'expérience de Font-Blanche tournera court. En 1984, l'échec du Matelot 512, film d'Allio dans lequel le Centre a engagé beaucoup d'argent, a des répercussions terribles : retrait en cascade des banques et des pouvoirs publics et, in fine, mise en liquidation du CMCC. Un violent traumatisme pour le cinéaste et pour tous ceux qui espéraient en une création régionale !
Quant aux instances territoriales, rudement échaudées, elles se refuseront ensuite opiniâtrement à financer toute nouvelle structure de production. Le Conseil régional, par exemple, préférera opter pour un tout autre système d'intervention : un fonds de soutien à la création et à la production qui aide chaque année un certain nombre de films retenus par un comité d'experts.
# Camargue, chevaux et caméras
La Camargue possède une singularité et des traditions si fortes que le cinéma n'a pas manqué d'en faire ses choux gras. Dès sa naissance, et relayant en cela la littérature, notamment celle de Mistral et autres félibres, il s'est mis à raconter une foule d'histoires avec gardians, chevaux et taureaux. Des « westerns camarguais » en somme, parfois pimentés, Saintes-Maries-de-la-Mer oblige, d'une touche gitane (tel La Caraque blonde, avec la pulpeuse Tilda Thamar, en 1953).
En fait, ce genre a deux papas : Joe Hamman et le marquis Folco de Baroncelli. Le premier était un Français qui, après avoir vécu aux États-Unis, avait rejoint la troupe de Buffalo Bill dans la tournée européenne du Wild West show. Le second possédait une des plus importantes manades de Camargue. Ils s'étaient rencontrés justement lors d'une représentation du Wild West Show en 1905, à Nîmes, et avaient vivement sympathisé. Un an plus tard, quand Hamman a commencé, à la fois comme acteur et comme réalisateur, à faire des westerns - les premiers en France - il a eu très rapidement l'idée d'aller les tourner en décors naturels chez son ami le manadier, qui a mis aussitôt ses gardians à disposition.
Durant toute la période muette, ces westerns camarguais vont connaître un grand succès en France et même aux États-Unis, où la dextérité des cavaliers et la beauté des paysages sont très appréciées.
Avec l'arrivée du parlant, la production devient beaucoup plus irrégulière. Au fil des décennies, on peut citer Roi de Camargue, signé en 1934 par le réalisateur Jacques de Baroncelli (le frère de Folco) ou Le Gardian dans lequel Tino Rossi caracole comme il peut (1945). En 1960, Yves Allégret installe encore Eddie Constantine et Raymond Pellegrin au milieu des chevaux et des taureaux pour les besoins de Chien de pique. Enfin, trois ans plus tard, c'est D'où viens-tu Johnny ?, sujet croquignolet de la première archive de ce chapitre. Ce film avec Johnny Hallyday sera quasiment le dernier western camarguais...
Date de la vidéo: 08 déc. 1963
Durée de la vidéo: 04" minutes 51 secondes04M 51S
Johnny ajoute une nouvelle page au western camarguais !
Le 8 décembre 1963, à l'occasion de la sortie de D'où viens-tu Johnny ?, « starring » Johnny Hallyday, le scénariste et dialoguiste du film, l'Arlésien Yvan Audouard est interviewé dans l'émission Discorama. Celui-ci raconte, non sans malice, comment il a été amené à écrire un western camarguais pour « le héros national des teen-agers ». Il précise que Johnny s'est « très bien acclimaté » à la Camargue et à ses moeurs, qu'il n'a pas eu peur des taureaux, et qu'il a été totalement adopté par le petit monde des razeteurs et des gardians. « C'est la grande victoire camarguaise de Johnny », conclut-il.
Les films célébrant plus spécifiquement le caractère indomptable de la Camargue, pour en faire un symbole absolu de liberté, disparaissent eux aussi à l'orée des années 1970. Dans cette veine, deux films sont pourtant passés à la postérité. Le premier, c'est, bien sûr, Crin blanc qui, depuis 1953, émeut toujours autant les plus jeunes. Et qui bénéficie encore d'une bonne cote auprès des cinéphiles. Lors de sa re-sortie en 2007, le critique du New York Times le classait parmi les dix plus beaux films pour enfants du monde. Le second est Heureux qui comme Ulysse, un des grands rôles de Fernandel, ce dont l’archive rend bien compte.
Date de la vidéo: 25 nov. 1969
Durée de la vidéo: 05" minutes 36 secondes05M 36S
Heureux qui comme Fernandel
Dans cet extrait de l'émission Pour le cinéma du 25 novembre 1969, l'image nous montre les préparatifs d'un tournage tandis que le commentaire off explique que nous sommes à Roussillon, dans le Vaucluse, où le réalisateur Henri Colpi dirige Fernandel dans Heureux qui comme Ulysse. Fernandel qui vient ensuite résumer l'histoire pour la caméra ; il transforme ce banal exercice en véritable récit qu'il conte avec son talent habituel. Certaines images du film viennent parfois se superposer à ses paroles. Le reportage revient ensuite sur Henri Colpi qui explique comment il dirige le comédien. Il souligne que le film permettra de découvrir « un Fernandel inhabituel ».
Depuis les années 1990, par un curieux retournement de situation, ce n'est plus le cinéma « du samedi soir » mais l'art et essai qui aime à prendre la Camargue comme toile de fond. Exemple : Walk the walk de Robert Kramer en 1995, ou encore, la même année, Les Sables mouvants, qui marquait le retour du vétéran Paul Carpita au cinéma. En 2002, le Lulu de Jean-Henri Roger avait pour héros un transsexuel qui tenait un bar à la mode aux Saintes. Les temps, en Camargue comme ailleurs, avaient décidément bien changé ! En 2021 est toutefois sorti sur les écrans l’épique gipsy-western Tom Medina du réalisateur et scénariste Tony Gatlif, qui s’inspire ici de sa propre expérience de placement judiciaire dans un foyer à l’adolescence en Camargue au cours des années 1960, et laisse largement transparaître sa double origine kabyle et gitane. Cette ode renouvelée à la nature sauvage et fantastique de la Camargue, à la vie et à la liberté, sur fond de quête d’identité, laisse par ailleurs largement affleurer la question du rapport à l’autre et des discriminations.
# Sea, Sex and Sun sur la côte d'Azur
Au détour de 1830, l'aristocratie anglaise prend l'habitude de venir en villégiature entre Hyères et Menton. Cette migration, initialement hivernale, s'accomplit au nom des effets bénéfiques qu'elle est censée avoir sur la santé. En réalité, la Côte d'Azur cesse très vite d'être un simple espace géographique, fut-il régénérateur, pour devenir un fantasme, la projection d'un désir, un pays chimérique où l'on vient chercher ce qu'on ne trouve pas chez soi : des cieux ensoleillés, une mer toujours bleue, les plaisirs du farniente, la libre expression des corps et de la sensualité. Comme Gainsbourg le formulera plus tard : sea, sex and sun...
Les années 1950 constituent de ce point de vue une période-charnière. Avant cette date, le mythe azuréen est essentiellement véhiculé par la littérature, plus précisément par des écrivains qui se font les chroniqueurs, parfois désillusionnés, d'une vie de luxe, partagée entre fêtes et mondanités, et dont le génial archétype reste, avec Tendre est la nuit, Scott Fitzgerald. Mais, à l'exception de cinéastes singuliers comme Eric Von Stroheim - qui trouve dans la principauté monégasque un extravagant décor pour ses Folies de femmes (1921) - ou Jean Vigo, qui entend faire, dès 1930, le « procès d'un certain monde » dans À propos de Nice, le cinéma regarde encore ce territoire comme un réservoir d'histoires provençales. Et se consacre volontiers aux légendaires héros du cru (Maurin des Maures, 1932 ou Gaspard de Besse, 1935).
Changement radical à partir de 1950 ! Le « provençalisme » sombre dans l'oubli, avec comme dernier avatar le solaire Déjeuner sur l'herbe de Jean Renoir en 1959, tandis que le mythe du sea, sex and sun prend un extraordinaire essor. Face à un phénomène qui touche encore les classes privilégiées et les artistes en vue (Picasso dans sa période Vallauris, Cocteau qui décore la villa Santo Sospir à Saint-Jean Cap-Ferrat en 1950 et la chapelle de Villefranche en 1957) mais qui s'étend déjà aux milieux plus modestes, le cinéma ne se contente pas d'accompagner le mouvement ; il lui sert de caisse de résonance et d'amplificateur. La mythification de la Côte d'Azur par le cinéma prend, de ce fait, un double visage.
On a tout d'abord, héritée de la littérature, une première catégorie d'histoires qui se déroulent dans la jet set, ou du moins, chez les riches oisifs. Il s'agit, pour l'essentiel, de marivaudages cruels et souvent dangereux auxquels se libre la « jeunesse dorée » ou de stratégies cyniques élaborées par des playboys calculateurs. Le prototype du genre est, bien entendu, Bonjour tristesse d'Otto Preminger, adaptation cinématographique du premier roman éponyme et best-seller de la jeune Françoise Sagan. L'archive relative à ce film donne une idée assez exacte de ce qu'il a pu représenter à l'époque.
Date de la vidéo: 26 sept. 1957
Durée de la vidéo: 05" minutes 24 secondes05M 24S
Bonjour tristesse : un été au pays de la jet set
En septembre 1957, le chroniqueur François Chalais se rend à Cannes pour assister au tournage d'une séquence de Bonjour Tristesse. Cette adaptation du best-seller de Françoise Sagan est mise en scène par le réalisateur américain Otto Preminger, qu'il interwieve, et interprétée par Jean Seberg, Deborah Kerr, David Niven et Mylène Demongeot que l'on aperçoit pendant cet extrait en train de répéter une scène dans le décor du casino. Preminger raconte comment, pour les besoins de son film précédent (Sainte Jeanne) il a découvert Jean Seberg. Il évoque ensuite la bataille qu'il a menée pour obtenir les droits d'adaptation et l'intérêt que représente pour lui Bonjour tristesse en tant que « portrait de la jeunesse d'aujourd'hui ». Il termine en expliquant pourquoi il était important de venir sur place capter « l'ambiance des vrais endroits ».
Cette veine sera particulièrement prolifique. Elle inspirera aussi bien la Nouvelle Vague - Éric Rohmer pour La Collectionneuse ou Claude Chabrol pour Les Biches - que de solides faiseurs du cinéma grand public, comme Jacques Deray pour La Piscine en 1968 avec Alain Delon et Romy Schneider.
L'autre face du mythe est plus plébéienne. Et plus solaire ! Incarnée - notre seconde archive montre bien de quelle façon ! - par Brigitte Bardot dans Et Dieu créa la femme, elle impose une nouvelle image de la femme. En effet, si la liberté de mœurs a, de tous temps, été l'apanage des classes privilégiées, elle est ici revendiquée par un personnage issu d'un milieu modeste, une emblématique « fille de son temps » dont le comportement choque sans doute le bourgeois, mais qui ne peut plus être assimilée aux « garces » ou aux « filles légères » du cinéma d'avant-guerre.
Date de la vidéo: 19 déc. 1982
Durée de la vidéo: 02" minutes 24 secondes02M 24S
Et Bardot inventa Saint-Tropez...
Dans cette archive de décembre 1982, Brigitte Bardot évoque ses souvenirs du film Et Dieu créa la femme, tourné 27 ans plus tôt. Sur les images de la fameuse séquence du mambo, le commentateur rappelle tout d'abord que c'est grâce au succès de scandale remporté par le film aux Etats-Unis que Brigitte Bardot est devenue un mythe. L'actrice raconte que le film a pu se financer grâce à l'adhésion de Curd Jürgens au projet et rend hommage au comédien allemand.
Avec ce film, le mythe azuréen atteint véritablement son zénith. Présentée comme une attitude franche, saine et naturelle, en rupture avec l'hypocrisie sociale, la liberté sexuelle devient indissociable des éléments (le soleil, la mer...) et du paysage. À sa suite, dans la vie comme à l'écran, des hordes de jeunes gens viendront jeter leur gourme à Saint Trop', tous attributs sexuels dehors. On verra même des gendarmes essayer d'y mettre bon ordre ! Les plages de Saint-Tropez servent aussi, à la génération suivante, d’écrin au film de Christopher Frank, L’année des méduses, sorti en 1984, avec une Valérie Kaprisky en adolescente sensuelle et sans scrupules, en concurrence amoureuse avec sa mère incarnée par Caroline Cellier.
# Marseille entre réalité, mythe et caricature
Les historiens du cinéma ont répertorié plus d’un demi-millier de longs-métrages de fiction ayant Marseille, au moins partiellement, comme toile de fond. Cela fait d'elle, Paris exceptée, la ville la plus filmée de France, y compris à grande vitesse à travers la saga Taxi initiée en 1998 par le producteur Luc Besson. L'attirance reste aujourd’hui toujours aussi manifeste tout en se mondialisant. Le tournage dans la cité phocéenne du film américain Stillwater, sorti en 2021, avec Matt Damon et Camille Cottin en est une illustration parmi d’autres.
D'où vient cette attirance ? Des conditions climatiques qui permettent d'y tourner une grande partie de l'année ? Certainement. Du fonds d'aide à la création et à la production que le conseil régional a mis en place ? Sans doute. Mais, pour être de poids, ces deux arguments jouent pour l'ensemble de la région Provence Alpes Côte d'Azur. Ce qui attire les cinéastes spécifiquement à Marseille, c'est la ville elle-même. Son identité forte. Sa propension naturelle à fabriquer à la fois de la réalité et de la légende. Une particularité assez idéale pour stimuler l'imaginaire des créateurs ! Quand, en avril 1896 Louis Lumière fixe les toutes premières images de la ville sur du film, il mêle déjà la « carte postale » à une vision plus authentique : celle d'une ville industrieuse où l'on travaille dur. À sa suite, réalisateurs et scénaristes resteront dans ce balancement entre mythe(s), réalité(s) et caricature(s).
Le mythe le plus ancien, repris de la littérature de gare, est celui du « port des rêves brisés ». Dans les films qui y sacrifient, Marseille exsude les histoires de filles perdues, d'hommes à la dérive, de rixes dans les ruelles sordides, de trafics en tout genre, de bouges enfumés, et apparaît comme « le » territoire des perdants magnifiques, des êtres condamnés par le destin. Particulièrement sollicitée au temps du muet (Fièvre de Louis Delluc, 1921 ; Cœur fidèle de Jean Epstein, 1923 ; En rade d’Alberto Cavalcanti, 1927) cette image du « port de nulle part » resurgit régulièrement par la suite. Elle est illustrée ici par l'archive afférente à La Lune dans le caniveau, film réalisé par Jean-Jaques Beineix en 1983.
Date de la vidéo: 30 oct. 1982
Durée de la vidéo: 03" minutes 11 secondes03M 11S
Dans le port de nulle part avec Beineix
A l'automne 1982, Jean-Jacques Beineix est à Marseille pour les extérieurs de La Lune dans le caniveau. Le Journal régional du 30 novembre rend compte d'une nuit de tournage dans la cokerie de Fos-sur-mer. Pour réaliser «un plan qui, précise la journaliste, ne durera que douze secondes », Beineix a demandé un dispositif dantesque, nécessaire à ses yeux pour créer l'ambiance du « port de nulle part », dans lequel se déroule l'histoire. Il ajoute que le prix d'un film n'a de l'importance que « parce qu'il permet de faire de belles images ». La journaliste souligne que ce long-métrage, très attendu par le public et la critique, est une entreprise à haut risque tandis que Gérard Depardieu et Nastassja Kinski, les deux vedettes du film, répètent leur scène.
Aussi souriant et bon enfant que le précédent était noir et mélancolique, un deuxième mythe naît dans les années 1930, hérité de la scène, et imposé par Marcel Pagnol avec sa Trilogie. Ce « genre marseillais » comme l'appelle l'historien Pierre Échinard, consiste, selon lui, à « jouer sur un registre gai les situations du mélo populaire ». À propos de cette image qui donne, à son meilleur, une stature universelle à la ville, mais qui la fait parfois sombrer dans la pire des caricatures, on se rapportera au chapitre Pagnol de ce Parcours.
Au cours de ces mêmes années 1930, apparaît un autre archétype, bien différent du bistrotier ou de la poissonnière de Marius : le gangster marseillais. Avec lui, la ville devient le royaume cinématographique de la pègre, une Chicago à la française. C'est dans les années 1960 et 1970 que ces caïds occupent les écrans avec le plus de régularité et de succès. Borsalino, film de Jacques Deray réunissant Alain Delon et Jean-Paul Belmondo, est sorti tout spécialement des archives pour en témoigner !
Date de la vidéo: 10 déc. 1969
Durée de la vidéo: 02" minutes 13 secondes02M 13S
Le caïd marseillais, version Borsalino
En octobre 1969, la télévision régionale dépêche un reporter sur le tournage de Borsalino, dans le quartier du Panier, à Marseille. Après avoir assisté au tournage d'une scène de « franche explication » entre les deux héros du film, interprétés par Delon et Belmondo, celui-ci interviewe Jacques Deray. Le réalisateur déclare apporter un soin particulier à la reconstitution du Marseille des années 30 et affirme que la ville sera l'autre vedette du film.
Plus récemment le film La French de Cédric Jimenez, sorti en 2014, avec Jean Dujardin dans le rôle du juge Pierre Michel tragiquement disparu et Gilles Lellouche dans celui de Gaëtan Zampa, nous replonge dans ce milieu du grand banditisme à la charnière des années 1970 et 1980 à une époque où Marseille constituait encore une importante plaque tournante du trafic de stupéfiants entre la France et les États-Unis. Dès 1971, le réalisateur américain William Friedkin avait proposé sa French Connection, recevant cinq oscars.
Enfin au début des années 1980, surgit une nouvelle image, qui incorpore - selon les cinéastes - une dose plus ou moins importante de réalisme social : la Marseille métissée du melting pot et de l'immigration. Deux archives, l'une relative au Grand frère de Francis Girod film de 1982 et l'autre à Bye bye de Karim Dridi, sorti en 1995, permettent de voir comment s'est forgée et a évolué cette représentation plus récente de la ville. Karim Dridi continue par la suite son exploration de la réalité sociale et de l’enclavement de la banlieue nord de Marseille avec Khamsa en 2008, en grande partie tourné dans un camp de gitan, et Chouf en 2016, portrait intimiste et fataliste du petit monde des dealers de cité.
Date de la vidéo: 13 sept. 1982
Durée de la vidéo: 06" minutes 31 secondes06M 31S
Marseille, ville métisse : Le Grand frère de Francis Girod
En septembre 1982, Francis Girod est interviewé dans le Journal de France 3-Limoges à propos du Grand frère, tourné à Marseille un an plus tôt. Il explique que cette adaptation d'une Série Noire lui a permis de traiter à la fois les problèmes de la « deuxième génération » et une histoire romanesque d'amour et d'amitié « dans le Marseille de la Casbah ». il conclut en disant qu'il s'agit là d'« un film d'espoir et de combat ». Souad Amidou, qui joue le rôle féminin principal, est interviewée à sa suite. Elle se dit concernée par le problème du racisme et pense que ce film peut faire avancer les choses. Les deux entretiens s'accompagnent d'extraits du film.
Date de la vidéo: 26 août 1995
Durée de la vidéo: 02" minutes 14 secondes02M 14S
Marseille, ville métisse : Bye Bye de Karim Dridi
Le 26 août 1995, Soir 3 consacre un sujet au film de Karim Dridi, Bye bye. Après diffusion d'un premier extrait, accompagné du résumé du film en off, le réalisateur déclare avoir voulu sortir des clichés. Le commentaire parle, lui, d'« un film tendre et réaliste dans cet univers unique du quartier du Panier avec ses tentations et ses violences, mais aussi ses amours et ses volontés d'intégration ». Le film, conclut Dridi, s'adresse à tous ceux qui veulent découvrir la communauté maghrébine en dehors des à priori, et « aux gens de la communauté elle-même qui ont envie de se voir représentés avec dignité ».
Cédric Jimenez continue lui aussi à cheminer dans une Marseille séduisante et inquiétante avec en 2021 la sortie sur les écrans de Bac Nord, film adapté de faits réels, où il retrouve Gilles Lellouche pour un polar nerveux et tendu filmé à hauteur de flic. La même année, les quartiers nord sont aussi le cadre du film remarqué de la Marseillaise Hafsia Herzi intitilé Bonne Mère, titre qui ne se réfère pas à Notre-Dame de la Garde mais au courage et à l’abnégation d’une femme ordinaire qui se sacrifie pour subvenir aux besoins de ses enfants. Voici pour finir la vision « endogène » de quatre autres enfants de la cité phocéenne.
Confronté à sa jeunesse marseillaise à l'occasion du tournage de Trois places pour le 26, le comédien Yves Montand avoue son émotion et son désarroi.
Date de la vidéo: 16 nov. 1988
Durée de la vidéo: 09" minutes 26 secondes09M 26S
Face à sa légende, Montand prend Trois places pour le 26
Ce document est enregistré à Marseille en novembre 1988 lors de l'avant-première nationale de Trois places pour le 26, un film de Jacques Demy qui transpose en comédie musicale la vie d'un des plus illustres enfants de la ville, Yves Montand, avec ce dernier dans son propre rôle. Interrogé par le journaliste de France 3-Marseille, le comédien définit le film comme « un clin d'œil » à la comédie musicale. Il parle ensuite, de façon assez touchante, de ce qu'il a ressenti, en revenant sur les lieux de son enfance et de sa jeunesse, la frustration et la gêne éprouvées devant d'anciens copains de la communale venus lui rendre visite et qu'il n'a pas reconnus. Il conclut en disant tout le bien qu'il pense de sa jeune partenaire, Mathilda May. Cette interview est entrecoupée par les propos de Demy commentant les réactions de Montand face à ce rôle si particulier. Le reportage est illustré par quelques prises de vue effectuées quelques mois plus tôt pendant le tournage de la scène d'ouverture en gare Saint-Charles.
Le scénariste Sébastien Japrisot, lui, explique le « fétichisme » (tel est le terme qu'il emploie) qui l'incite à mettre une séquence marseillaise dans tous ses scripts. En guise de porte-bonheur !
Date de la vidéo: 04 mai 1972
Durée de la vidéo: 06" minutes 36 secondes06M 36S
Docteur Japrisot et Mister Rossi
Ce reportage est réalisé en mai 1972, lorsque René Clément vient à Marseille tourner des séquences de La course du lièvre à travers les champs, en compagnie de Jean-Baptiste Rossi, alias Sébastien Japrisot, qui en a écrit le scénario. On voit Clément en train de régler une scène qui sera, en fait, le prélude du film, l'histoire proprement dite, apprend-on, ayant déjà été tournée au Canada avec Jean-Louis Trintignant, Robert Ryan, Lea Massari et Aldo Ray dans les rôles principaux. Mais l'essentiel du reportage est consacré à Japrisot, qui retrouve Marseille à l'occasion de ce tournage. Devant la caméra, il explique qu'il met toujours quelque chose de sa ville natale dans ses scénarios « parce que ça lui porte bonheur » ; il évoque son enfance dans le quartier de Saint-Mauront, ses études dispersées, son premier roman, Les Mal partis, auquel il demeure « très attaché », et repousse à plus tard - quand il sera « plus calme » - son retour à la littérature.
Quant aux réalisateurs Robert Guédiguian et René Allio, ils ont construit une grande partie de leur œuvre sur leur sentiment d'appartenance à la ville. Pour être aussi profond chez l'un que chez l'autre, celui-ci s'exprime de façon différente et complémentaire, d'où, sans doute, l'estime réciproque que les deux hommes se témoignaient.
René Allio est, de tous les cinéastes marseillais, le seul à avoir donné une dimension mémorielle à sa vision de la ville. Les deux archives présentées ici, relatives à La Vieille dame indigne et à Transit, en sont une bonne illustration.
Date de la vidéo: 17 janv. 1990
Durée de la vidéo: 06" minutes 15 secondes06M 15S
René Allio adapte Transit au cinéma
En janvier 1990, René Allio vient réaliser Transit à Marseille. Ce reportage rend compte de deux scènes tournées place de Lenche, dans le quartier du Panier. La première est un plan général de foule dans le décor reconstitué d'un marché de plein air en 1940. La seconde, au même endroit, est un plan plus resserré sur les deux personnages principaux, respectivement interprétés par Sebastian Koch et Claudia Messner. Entre les deux prises, René Allio résume le sujet du film, inspiré de faits réels : l'histoire de tous ces artistes et intellectuels, qui, fuyant le nazisme, ont conflué vers Marseille dans l'espoir, vain le plus souvent, de trouver un bateau pour l'Amérique.
Date de la vidéo: 03 juin 1965
Durée de la vidéo: 05" minutes 18 secondes05M 18S
René Allio, la morale de la liberté et les fantômes du souvenir
En juin 1965, La Vieille dame indigne sort sur les écrans. A cette occasion, la journaliste du magazine culturel régional De Soleil et d'Azur interviewe le réalisateur René Allio et ses deux comédiennes : Sylvie, alias la vieille dame indigne, et Malka Ribowska, qui joue sa jeune copine Rosalie. L'entretien ne manque pas de pittoresque car il est réalisé dans un bruit incessant de camions, à l'Estaque, sur le balcon qui est celui de la vieille dame dans le film
Robert Guédiguian, lui, peut être vu comme un croisement réussi entre Pagnol - pour la verve - et Carpita - pour l'engagement politique et social - du moins, pour la partie de son œuvre qu'il a consacrée à la comédie. Ses drames, souvent « fassbinderiens », portant davantage la marque de son autre origine, allemande. C'est sur le sourire que déclenchera l'archive Marius et Jeannette que nous avons voulu terminer à la fois ce chapitre et ce Parcours. Un ultime et irréductible balancement entre mythe, réalité et caricature.
Date de la vidéo: 13 mai 1997
Durée de la vidéo: 03" minutes 42 secondes03M 42S
Les bons contes de Robert Guédiguian
Enregistrée à Cannes, l'émission Ciné Etoiles du 13 mai 1997 rend compte de l'excellent accueil que vient de recevoir Marius et Jeannette, « du Guédiguian tout craché », dit la journaliste, avant d'ajouter qu'il s'agit là du « petit bonheur de la semaine ». Après diffusion d'un extrait, Robert Guédiguian est interviewé. Il explique que cette histoire, volontairement racontée « au premier degré », est un « petit inventaire d'un certain nombre de valeurs fondatrices du peuple de gauche ». Il précise ensuite sa position par rapport à Pagnol, auquel on le compare inévitablement. Après un second extrait, Ariane Ascaride explique de son côté qu'il faut souvent passer par le particulier pour atteindre l'universel et prend l'exemple de Tchekhov qui a conçu son théâtre « à partir de ce qui se passait dans la maison familiale ». Un dernier extrait clôt le reportage.
# Bibliographie
- « Le cinéma à Marseille », Revue Marseille, n° 228, mars 2010.
- Daniel Amogathe, Pierre Échinard, Marseille port du 7e Art, Marseille, Éditions Jeanne Laffitte, 1995.
- Katharina Bellan, Traces de Marseille au cinéma. Histoire, mémoire, topographie d’une ville 1921-2011, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2021.
- Katharina Bellan, Caroline Renard, Marguerite Vappereau (dir.), Le Centre Méditerranéen de Création Cinématographique. Une expérience de décentralisation, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2021.
- Georges Guarracino, L’écran provençal. Histoire et géographie du cinéma en Provence-Côte d’Azur, Saint-Rémy-de-Provence, Équinoxe, 2006.
- Christophe Kantcheff, Guédiguian, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 2018.
- Sylvie Lindeperg, Myriam Tsikounas, Marguerite Vappereau (dir.), René Allio, Le mouvement de la création, Paris, Publications de la Sorbonne, 2017.
- Nicolas Pagnol, Marcel Pagnol de l’Académie française. 1895-1974 L’album d’une vie, Paris, Flammarion, 2011.