Cet extrait de 1994 donne la parole à Robert Lafont, 15 ans avant sa disparition, au sujet de son activité inlassable qui a fait de lui une des personnalités majeures de l’écriture, de la pensée et de l’action occitanes contemporaines. Il y évoque son œuvre d’écrivain, de chercheur et théoricien, ses engagements dans les luttes sociales qui ont marqué l’Occitanie (mineurs de Carmaux-Decazeville dans les années 1960, paysans du Larzac des années 1970, mineurs de Ladrecht et des Cévennes des années 1980).



Intervient également Danielle Julien, écrivaine qui a consacré sa thèse de doctorat à l’œuvre de Robert Lafont et qui souligne la force de vie de l’écrivain. L’écrivain Philippe Gardy, certainement parmi ses disciples le plus prolifique en matière de critique littéraire, souligne l’originalité et la cohérence de l’univers esthétique créé par Lafont, d’une œuvre littéraire à l’autre, et l’articulation entre cette œuvre littéraire et l’œuvre du chercheur.

Enseignant de lettres classiques, Robert Lafont intègre en 1964 l’université Paul-Valéry de Montpellier où il forme des générations d’étudiants qui deviendront pour beaucoup des écrivains, penseurs, femmes et hommes d’action qui marqueront la culture et le mouvement occitan contemporain.

Comme linguiste on lui doit la codification de l’occitan provençal selon la norme classique, la fondation des études sociolinguistiques autour de la notion de diglossie et une théorie de la linguistique, la praxématique. Historien et critique de la littérature occitane, il s’est fait remarquer dès les années 1950 avec son essai Mistral ou l’illusion (1954) et publie une Nouvelle histoire de la littérature occitane qui reste une référence. Comme historien de la littérature il a considérablement contribué à la redécouverte de la richesse et de l’ampleur de la littérature occitane, de l’importance de la lyrique des troubadours mais aussi de l’épopée médiévale dont il établit une origine occitane, de la littérature baroque de l’époque moderne qu’il révèle véritablement.



L’écrivain Robert Lafont a traité tous les genres. Il est l’auteur de 17 pièces de théâtre éditées dont beaucoup ont été montées avec le metteur en scène et comédien André Neyton, du Centre dramatique occitan de Toulon. Il publie 25 romans ou recueils de nouvelles. Le roman La Vida de Joan Larsinhac (ed. IEO, 1951) qui raconte les tourments d’un étudiant pendant la dernière guerre est fondateur d’un nouveau possible pour une littérature occitane contemporaine. Chacun de ses romans défriche des genres encore inexplorés en occitan, roman autobiographique (Lei Camins de la saba, ed. IEO, 1965), récit camarguais qui inverse les codes et thèmes du genre (Lei Maire d’anguilas, ed. IEO, 1966), fiction apocalyptique (L’Icòna dins l’iscla, ed. IEO, 1971, premier récit de fin du monde d’une longue série). Le grand roman La Festa traverse l’Europe et les siècles en trois volumes parus entre 1983 (ed. Obradors, Fédérop et Le chemin vert)  et 1996 (ed. Fédérop et CMP). Lafont possède aussi une veine philosophique à la Voltaire, dont procèdent, par exemple, Insularas (ed. IEO, 1996), Contes libertins e faulas amorosas (ed. Trabucaire, 2000), Lo Fiu de l’uòu (ed. Atlantica et Institut occitan, 2001), Lo Cèrcadieu (ed. Reclams, 2007) et Lei Miraus infidèus (ed. IEO, 2002). Il est également l’auteur d’une importante œuvre poétique.



Comme penseur et homme d’action, Robert Lafont s’impose dès 1945 comme l’un des cadres principaux du mouvement occitan : membre de la direction de l’Institut d’estudis occitans (IEO) de 1950 à 1962, cofondateur du Comité occitan d’études et d’action (COEA) en 1962 qui ouvre la voie à un occitanisme ancré dans les luttes et réalités socioéconomiques, il crée et anime de nombreuses revues de pensée et de création contemporaine, L’Ase negre, Viure, Dire, Lengas, Amiras, Revista Occitana, il est l’un des grands théoriciens du colonialisme intérieur et de la régionalisation. Après l’avènement de la gauche au pouvoir en 1981 et la désillusion qui lui fait suite dans le mouvement occitan, il intègre la pensée occitaniste dans une perspective européenne, devenant un des acteurs importants de l’émergence d’une coopération renforcée entre collectivités et territoires de l’arc nord-méditerranéen (à l’occasion notamment de l’Eurocongrès 2000), où l’ancienneté des relations historiques et culturelles entre l’espace occitan et l’espace catalan représente, selon lui, une chance pour une dynamique sociale et économique rééquilibrée entre l’Europe du Nord et l’Europe méditerranéenne.