Histoire des bals musette

14 juillet 1999
10m 59s
Réf. 00705

Notice

Résumé :

Le 14 juillet l'accordéon est le roi de la fête. Célébration d'un instrument populaire qui traverse époques et frontières malgré ses détracteurs. Alternant archives musicales et interviews des amoureux et virtuoses de l'accordéon, ce document retrace la carrière du piano à bretelles depuis ses débuts et l'explosion du musette dans les dancings de la rue de Lappe comme le Balajo, où dans les guinguettes des bords de Marne.

Type de média :
Date de diffusion :
14 juillet 1999

Éclairage

Un Français ne peut pas écrire sur la migration des danses sans parler de celles de style musette. Issu de la rencontre des Italiens et des Auvergnats débarqués à Paris, le bal musette naquit au début du XXe siècle, principalement rue de Lappe, dans le quartier de la Bastille. Son créateur serait Emile Vacher, qui créa le Bal musette, appelé avant cela « bal à la musette » ou « bal des bougnats », les vendeurs de charbon. On voit très bien, là, la rencontre, dès le XIXe siècle, de deux pratiques de bal, et de valses en particulier, au son de la musette et de la cornemuse, celle des Français et celle des Italiens. Progressivement, l'accordéon remplaça la musette, s'adjoint des percussions et une basse, la valse détrônant définitivement la bourrée auvergnate. Et la France entière dansa et danse encore au son de l'accordéon qui en devint l'emblème très français, avec des artistes de renom comme ceux cités dans l'extrait vidéo.

Dans le style musette, les couples dansent serrés, probablement parce que les lieux, pourtant nombreux dans le quartier, étaient exigus. Il faut remarquer à cette occasion que la valse (toujours système de deux fois trois pas sur deux fois trois temps) évolua donc : les grandes enjambées caractéristiques des bals viennois furent remplacées par de très petits pas sur place. Mais, comme entendu dans le reportage du bal des débutantes de Vienne, les couples de musette ajoutaient, à la difficulté de l'étroitesse du lieu, le sens de rotation : ils valsaient, eux aussi, à « l'envers », c'est-à-dire à gauche. Pourquoi ? C'est une façon de montrer une capacité plus grande à danser que le public moyen, parce que le sens de rotation à gauche est le sens le plus difficile sur une piste de danse, où les couples se déplacent eux-mêmes dans le sens inverse des aiguilles d'une montre autour de la salle, c'est-à-dire à gauche. Un vrai défi ! Chaque rotation fait alors elle-même plus de 360°.

Mais une autre facette chorégraphique caractérise la valse musette : c'est la fameuse « toupie », qui est une autre des conséquences de l'étroitesse des lieux bondés (comme le rock qui s'est automatiquement dansé « en ligne » dans les caves de Saint-Germain-des-Prés à son époque). Dans cette toupie, il s'agit de danser, très rapidement évidemment, à gauche « comme de bien entendu », le sens le plus difficile, mais dans la plus grande économie possible de mouvement. Les poses de pieds se réduisent alors à des pas glissés, avec un seul appui véritable sur trois temps, ce qui produit un fondu fascinant lorsque l'on voit les couples, aux bras très repliés pour économiser l'espace, se dérouler adroitement entre les autres couples. Evidemment, cette pratique a aussi donné lieu à des concours, les meilleurs des meilleurs pouvant danser sur un guéridon ! Paraît-il !

Mais, dans le bal musette, il y a aussi la java, petite-fille de la mazurka (toutes deux à trois temps, mais avec trois pas dans la java, et deux pas dans la mazurka). Du point de vue musical, on trouve encore un métissage ingénieux : ce que les musiciens appellent la « division ternaire », qui vient du swing. La valse peut s'écrire très simplement à trois temps, et, éventuellement six demi-temps. La java s'écrit de la même façon, mais elle est supposée être interprétée différemment, avec, pour les connaisseurs, des triolets. En voici une représentation illustrée :

C'est grâce à cela que les danseurs reconnaissent, à l'oreille, une java. Précisons de ce point de vue, que la fameuse Java Bleue, n'est, sur ce point, pas du tout une java, mais une simple et très belle valse.

On trouve enfin, dans le musette, aujourd'hui le tango (revendiqué « musette »), le paso doble (système marché, un pas par temps), le slow (système balancé à un pas lent par temps, ou système à trois petits pas d'un côté puis trois petits pas de l'autre), le boléro français (trois pas encore), etc...

Christian Dubar

Transcription

(Musique)
Journaliste
C’est dans le quartier de la Bastille, à Paris, qu’est né le bal musette. Il ne reste de cette époque que le nom d’une célèbre rue qui abrita le temple du musette.
(Musique)
Francis Lemarque
J’ai vécu dans cette rue pleine de musique, pleine de lumière, comme un petit gamin libre. Et je collais mon nez contre les vitrines de tous les bals musettes et je regardais les Apaches qui dansaient avec leur giguelettes au son de l’accordéon, c’était merveilleux.
(Musique)
Roger Vandercruche
Quand j’ai connu la rue de Lappe, il y avait sept bals. Il y avait la Boule Rouge, il y avait Bousca, il y avait l’Auvergnat, il y avait le Musette. Alors, vous aviez les filles en, en presque Well P, quoi, comme on dit, en bas avec les jarretières et les combinaisons, hein. Il n’y avait pas de, rien, hein. Mais on était videurs, dès qu’il y avait une fille qui se faisait un peu trop chatouiller et qu’elle ne voulait pas, elle vous appelait et puis ça sortait. Il n’y avait jamais de police, il n’y en a jamais eu, d’ailleurs.
(Musique)
Jo Privat
Ceux qui étaient rue de Lappe, on savait que c’était des voyous, ils ne se planquaient pas. Il y en a tellement d’autres qui se planquaient. Il est certain que les voyous qui venaient ou les macs qui assuraient, ils n’allaient pas danser dans un salon de thé, tu comprends ? Ils allaient pour les Champs Elysées pour…. Et puis, il y avait des boîtes, des boîtes à cocon ou des boîtes à ma mère, où que les vielles venaient danser, où il y avait des petits julots qu’on appelait les julots casse-croûtes ; ils allaient inviter des vielles pour se faire payer un casse-croûte, un sandwich, c’était une façon de manger, quoi.
(Musique)
Intervenant 1
On ne pouvait pas non plus parler de l’histoire de l’accordéon sans parler du Balajo. Alors, le Bal à Jo, d’abord, a été très symbolique du musette, et puis des petits voyous et des nanas qui venaient gambiller là la valse à l’envers et la java.
(Musique)
Intervenant 2
Du Balajo, les tables et les tabourets étaient vissés dans le sol pour éviter que la bagarre ne prenait des proportions.
(Musique)
Aimable
Quand j'avais une bagarre chez moi, j’allais chercher Jo et Jo, il venait me remplacer. Comme ça, ça changeait de tronche, hein, et puis, j’allais jouer à la place de Jo. Et quand il avait une bagarre chez lui, c’est moi qui allais jouer à sa place.
(Musique)
Jo Privat
Alors, entre la rue au Maire et la rue de, rue des Vertus, rue des Vertus, tu parles d’un blase, il n’y avait que des putes, c’est marrant comme nom quand même ! C’est vraiment tiré par les cheveux ! C’était à peu près la même clientèle qui rôdait là, quoi, c’étaient les mêmes clients qui venaient.
(Musique)
Jo Privat
Enfin, je reconnais que j'aimais ce milieu-là puisque je suis né dans un quartier de voyous à Ménilmontant, bon, je ne vais pas nier mes origines, tu comprends. Et ça me faisait plaisir, et je j’avais pu discuter avec ce genre de truands que de parler avec un gars, le toulzard de chez Renault, qui faisait ses 10 heures par jour, là, le pauvre mec en sortant, il n’avait rien à raconter, tu comprends.
(Musique)
Intervenant 1
Sur son histoire, il disait que il avait été élevé dans un bordel par sa tante, un bordel à Belleville et que sa tante lui avait offert son premier accordéon.
Jo Privat
J'allais pas user d’artifice pour peu pour dire une maison de tolérance, elle tenait un bordel, un peu, un bridge, comme tu veux, appelle ça comme tu veux. Et alors, il y avait un client qui y allait tout le temps, c’était Emile Vacher, qui était le roi, le précurseur de tous les bals musettes, qui avait la grosse cote à l’époque. Mais c’était une grosse vedette, tu vois, comme maintenant, ça serait autant que, il aurait des affiches et il aurait un avion personnel. Alors, ma tante m’a fait passer une audition quoi, pour que. Et quand il m’a entendu jouer, Vacher a dit, merde, c’est vraiment dommage que ce môme, qu’il joue dans les cours et qu’il fasse les restaurants. Il m’a pris avec lui comme partenaire.
(Musique)
Marcel Azzola
Il était devenu l’accordéoniste des gitans et des manouches quand il y avait une fête, c’était Jo Privat qui était sollicité, parce que il avait déjà, je veux dire, la sympathie des gens du voyage du fait que il ne les repoussait pas. Avec ces gens, l’on pouvait faire de la musique, une musique très agréable, c’était le jazz européen ou le jazz français.
(Musique)
(Bruit)
(Musique)
Journaliste
Avec un accordéon, une valse musette, un bord de Marne, une bonne friture, nous voici dans le monde des guinguettes.
(Musique)
Journaliste
Du Canotier au Petit Robinson, en passant par Chez Gégène, c’est là que les plus grands accordéonistes ont fait danser le populo du samedi soir et du dimanche après-midi.
(Musique)
Journaliste
Aujourd’hui, les guinguettes ont retrouvé leurs couleurs d’antan. Au Martin Pêcheur, par exemple, les générations se succèdent et se mélangent avec la même ferveur. Il n’est pas obligatoire de savoir danser, l’important, c’est de s’amuser, car comme le disait Jo Privat, la guinguette, c’est un art de vivre !
(Musique)
Francis Bauby
Ben, les guinguettes, aujourd’hui, il faudrait que ce soit remboursé par la Sécu, parce que les gens, quand ils ressortent de là, excusez-moi de l’expression, ils sont moins cons, voilà.
(Musique)
Francis Bauby
Si on accueille beaucoup de jeunes au Martin Pêcheur, c’est parce que aujourd’hui, les jeunes retrouvent notre culture en fait. On allume les lampions, on fait la fête. C’est un lieu qui est une alternative pour tous, qui donne…. Un lieu d’échange où on peut se parler, où on peut se regarder, où on peut danser, où on peut s’aimer, on peut faire la fête. Il n’y a pas d’autre lieu comme ça. Ça a toujours existé, c’est vraiment le cœur des français.
(Musique)
Journaliste
Bien ancré au cœur des parisiens, les guinguettes firent leur apparition au début du siècle. Ouvriers et employés venaient alors goûter au plaisir du repos hebdomadaire. Cette époque restera gravée dans nos mémoires grâce à cette belle équipe composée de Gabin, Vanel, Viviane Romance, qui nous fait encore rêver à ces week-ends bucoliques quand on se promène au bord de l’eau.
(Musique)
Intervenant 2
Pendant les week-ends, c’était un public populaire de partout, en semaine et dans l’après-midi, il y a beaucoup de messieurs accompagnés chacun de plusieurs dames qui se reposaient un peu de leurs activités nocturnes, vous voyez ? Alors, elles dansaient surtout entre elles, parce qu’ils étaient très jaloux, les messieurs, et eux, ils jouaient aux cartes.
Jo Privat
La clientèle suivait la cadence de l’accordéoniste. Tu vois, il y avait des drogués de la valse à musette, quoi, c’est du champagne en intraveineuse, la valse à musette.
(Musique)