Lambert Wilson joue dans Créanciers de Strindberg

29 septembre 2005
05m 44s
Réf. 00073

Notice

Résumé :

En 2005, Hélène Vincent met en scène Créanciers d'August Strindberg au Théâtre de l'Atelier. La pièce représente le combat à mort d'un trio amoureux. Lambert Wilson joue Adolphe, le premier mari délaissé qui vient réclamer des comptes. Invité du journal de 13h, il évoque l'intelligence du personnage écrit par Strindberg et la vision de la femme développée par ce dernier. Extrait du spectacle.

Date de diffusion :
29 septembre 2005
Source :

Éclairage

Créanciers est une courte pièce écrite par August Strindberg en 1888. Adolphe, peintre et sculpteur, est marié à Tekla, une jeune femme écrivain qui revendique sa liberté. Il fait la rencontre de Gustav, dont il ignore qu'il a été marié à Tekla avant d'être quitté par celle-ci. Taisant son identité, Gustav révèle à Adolphe le véritable visage de Tekla. Spectateur dissimulé de la confrontation entre Gustav et Tekla, Adolphe meurt terrassé. Dans ce combat en trois temps, le passé revient hanter le couple. Chacun semble le débiteur et le créancier de l'autre, si bien que le règlement des comptes ne peut aboutir qu'à l'anéantissement général des protagonistes.

En 2005, Hélène Vincent met en scène la pièce dans une traduction d'Alain Malraux et Paul Walsh. Le spectacle est représenté au Théâtre de l'Atelier. La scénographie et les costumes ont été créés par Tim Northam. Jean-Pierre Lorit interprète le rôle d'Adolphe, Lambert Wilson celui de Gustav et Emmanuelle Devos celui de Tekla. Élise Lucet reçoit le comédien Lambert Wilson dans le journal de 13h (France 2) du 29 septembre 2005. Celui-ci évoque son plaisir de travailler avec Hélène Vincent, également comédienne. Il met en avant son désir de changer de registre en interprétant des personnages plus « mûrs » qui correspondent davantage à son âge réel. Créanciers se présente, selon lui, comme un véritable jeu de masques dominé par la figure de l'homme jaloux, blessé et délaissé, tel que le fut Strindberg notamment à la fin de son premier mariage avec la comédienne Siri von Essen. Dans cette œuvre est vivement critiquée la posture de la femme émancipée, tandis que l'Histoire, rappelle Lambert Wilson, la verra progressivement s'affirmer dans la société. Le comédien remarque à quel point il peut être difficile pour une femme d'exister dans un univers masculin tel que le monde de la création théâtrale.

Marie-Isabelle Boula de Mareuil

Transcription

Présentatrice
Et voici maintenant, l’invité des cinq dernières minutes.
(Musique)
Présentatrice
Et l’invité des cinq dernières minutes, c’est Lambert Wilson. Bonjour, merci d’être avec nous.
Lambert Wilson
Merci de m’avoir invité.
Présentatrice
On vous a invité justement parce que vous êtes à l’affiche avec Emmanuelle Devos et Jean-Pierre Lorit d’une pièce de Strindberg, Créanciers. On ne va pas raconter toute l’histoire, il faut absolument voir la pièce au théâtre de l’Atelier, très bonne pièce. Vous jouez le personnage de Gustave, un misogyne qui tente de défaire un couple plus moderne, on peut le dire. Qu’est-ce qui vous a attiré vers ce rôle qui est si différent de ce que vous êtes ?
Lambert Wilson
Ce qui m’a attiré d’abord, c’était la possibilité de travailler avec Hélène Vincent, la metteur en scène ; parce que c’est une actrice extraordinaire et que je soupçonnais qu’elle serait une directrice d’acteurs formidable, ce qu’elle a été. En plus, c’était pour moi la possibilité de changer d’emploi, parce que c’est un rôle beaucoup plus mûr. C’est un rôle qui n’est pas un rôle romantique. C’est un rôle de professeur de lycée, un professeur de langue morte qui est investi d’une mission, qui est de se venger effectivement d’une femme. Et je trouvais que c’était pour moi la possibilité de changer de registre.
Présentatrice
Vous êtes misogyne, vous êtes pervers, et vous êtes manipulateur.
Lambert Wilson
Non, mais je pense qu’il est manipulateur, c’est clair. Mais misogyne, ce n'est pas la clé du personnage. Ce qui est important, c’est surtout que c’est un homme qui a une blessure profonde parce qu’il a été abandonné. On n’entre pas dans les détails de la pièce, il est très intelligent, il est... c’est comme un joueur d’échecs. Il est très manipulateur, il a une stratégie. Et en même temps, il est d’une puissance dramatique qui est à la hauteur de celle des personnages shakespeariens. C’est un personnage qu’on pourrait imaginer dans un drame shakespearien.
Présentatrice
Il se dévoile au fur et à mesure de la pièce ce personnage ?
Lambert Wilson
Oui !
Présentatrice
Moi, j’ai été extrêmement frappée de votre capacité à changer de visage justement au fur et à mesure de la pièce. Puisqu’au départ, vous êtes plutôt lisse on va dire, en tout cas très aimable, après beaucoup moins.
Lambert Wilson
Parce qu’en fait, le personnage se dissimule. Il est effectivement, il se cache et il cache ses intentions. Et j'ai voulu aller jusqu’au bout à la limite, j’ai envie de dire de ma vieillesse entre guillemets. Je pense que c’est un personnage qui est, à la fin de la pièce, détruit et vieilli. Et c'était la gageure pour moi, c’était de présenter ce nouveau visage qui peut-être m’ouvre la porte de rôles plus forts et voilà plus intenses.
Présentatrice
En tout cas, ça fonctionne parfaitement, vous jouez avec Emmanuelle Devos. Je pense que ça a dû être très intéressant pour vous de jouer ce texte avec une femme libre.
Lambert Wilson
Ben, c'est-à-dire que c’est la première pièce qui va montrer à la fin du XIXème siècle une héroïne émancipée. C’est ça qui était révolutionnaire chez Strindberg, c’est qu’il a montré Tekla ; une femme qui choisit sa liberté, et particulièrement ce qui était totalement révolutionnaire, sa liberté sexuelle. C'est-à-dire qu'elle en parle, elle parle de son droit à l’initiative d’une certaine façon, ce qui était le privilège des hommes. Et c’est un très beau personnage, et ce qui est curieux c’est que Strindberg a écrit la pièce en voulant se venger des femmes ; parce qu’il vivait un drame personnel avec sa première femme Siri dont il a divorcé. Et curieusement, l’histoire a réhabilité, non pas les hommes, mais le personnage de la femme. C'est-à-dire qu’en fait, on s’est rendu compte que c’est elle qui a raison, c’est elle qui est libre, c’est elle qui a le cœur plus large que ceux des hommes.
Présentatrice
Alors, on va tout de suite en découvrir un extrait. Vous êtes justement sur scène avec Emmanuelle Devos, et c’est un peu l’explication finale. On regarde.
Lambert Wilson
Tu n’as fait que prendre, et tout ce que tu as pris, tu l’as gaspillé. Alors, qu’est-ce que tu espères ? Que je dise, pardonne-moi parce que tu m’as brisé le cœur. Pardonne-moi parce que tu m’as déshonoré. Pardonne-moi parce que pendant sept ans, j’ai été la risée de mes élèves.
(Musique)
Lambert Wilson
Regarde-moi, crois-tu qu’on puisse oublier une telle intensité ?
Emmanuelle Devos
Non, la puissance de la mémoire est infinie, celle des premières fois surtout.
Présentatrice
Voilà !
Lambert Wilson
C’est effectivement un extrait particulièrement intense et dramatique, c’est la fin de la pièce. Ce n'est pas aussi lourd et intense pendant toute la pièce, heureusement. Là, c’est vraiment le point culminant.
Présentatrice
Non, mais ce qui est formidable justement, c’est que ça monte et que ça change tout au long de la pièce. Juste une dernière question, ça fait quatre fois. Les quatre dernières fois que vous avez travaillé avec des femmes ; avec Diane Kurys, Sophie Fillières, Valérie Lemercier, pour cette pièce Hélène Vincent, la metteuse en scène, vous en avez parlé. Vous aimez cet échange justement avec plutôt être dirigé par des femmes on pourrait dire ?
Lambert Wilson
Je pense que les femmes sont très sensibles à l’acteur que je suis. Disons qu’elles ont une sensibilité qu’elles n’ont pas honte à montrer, qu'elles n'ont pas de honte à montrer. Surtout, les hommes, les metteurs en scène ont souvent une rivalité aussi avec l’acteur, et parfois ils ont envie de les écraser. Ils en ont besoin, mais ils aimeraient bien être à leur place, près de l’actrice. Je pense que les femmes metteurs en scène, d’abord parce que c’est un métier de sensibilité et d’instinct. Je pense que moi, j’aime être mis en scène par les femmes. J’aime aussi quand les femmes prennent le risque énorme de s’exprimer dans un monde d’homme. C’est aussi la problématique de la pièce, Tekla est romancière et elle doit lutter pour exister dans un monde d’hommes en tant qu’artiste. Quand les metteurs en scène le font, c’est fantastique.
Présentatrice
Merci à vous en tout cas d’être venu sur le plateau des cinq dernières minutes aux 13 heures. Donc, Créanciers une pièce de Strindberg au théâtre de l’Atelier à Paris, c’est jusqu’au 31 décembre. Merci encore !