Antoine Vitez crée La Mouette de Tchekhov et parle du théâtre russe

12 mars 1984
02m 49s
Réf. 00052

Notice

Résumé :

A l'occasion de sa mise en scène de La Mouette, d'Anton Tchekhov, au Théâtre National de Chaillot, Antoine Vitez évoque l'héritage des grands metteurs en scène russes du début du XXe siècle (Stanislavski, Taïrov, Vakhtangov et Meyerhold). Extrait du spectacle et interview du metteur en scène.

Type de média :
Date de diffusion :
12 mars 1984
Source :
(Collection: Plaisir du théâtre )
Fiche CNT :

Éclairage

Ecrite en 1896 par Anton Tchekhov, La Mouette est une comédie en quatre actes. Sa mise en scène par Constantin Stanislavski en 1898 au Théâtre d'Art de Moscou remporta un tel succès que la « mouette » devint dès lors l'emblème du théâtre.

Jeune écrivain, Trépliev aime Nina. Il écrit pour elle une pièce qu'il répète dans la maison de son oncle. Convaincue de sa vocation d'actrice, Nina s'enfuit avec le célèbre écrivain Trigorine, qui est aussi l'amant de la mère de Trépliev. La pièce entremêle les réflexions sur l'art, le statut de l'artiste, le théâtre et l'amour.

En 1984, Antoine Vitez met en scène sa propre traduction de la pièce au Théâtre National de Chaillot. La scénographie, conçue par Yannis Kokkos, est aussi celle du Héron de Vassili Axionov (1932-2009), mis en scène par Antoine Vitez et représenté en alternance avec La Mouette. La création met notamment en avant l'importance de la Russie et le thème de l'attente.

Le reportage, issu de l'émission « Plaisir du théâtre » (Antenne 2) du 12 mars 1984, offre un extrait du deuxième acte de la pièce. Il s'agit d'une scène entre Trigorine (interprété par Patrice Kerbrat) et Nina (interprétée par Claudia Stavisky).

Revendiquant, à travers ses deux mises en scène, une réflexion politique, Antoine Vitez évoque dans l'entretien l'importance des changements qui s'opérèrent, à tous les niveaux de la société, en Russie au début du XXe siècle. Il souligne en particulier l'influence du théâtre russe (est diffusée une photographie de Tchekhov entouré des comédiens et metteurs en scène du Théâtre d'Art) et des grands metteurs en scène et pédagogues dont l'art théâtral contemporain porte l'héritage.

Constantin Stanislavski (1863-1938) est un comédien, metteur en scène et pédagogue russe. Il fonde le Théâtre d'Art de Moscou en 1897 avec Vladimir Nemirovitch-Dantchenko (1858-1943). Il est l'initiateur de la mise en scène et du jeu de l'acteur modernes. Il crée successivement plusieurs « studios » d'acteurs au sein desquels il recherche et réinvente constamment une nouvelle « méthode » pour l'acteur. Ce dernier doit faire preuve de discipline, nourrir une profonde réflexion sur l'art et contribuer aux recherches du metteur en scène. Pour interpréter son rôle, le comédien doit partir de lui-même, de son expérience passée, de ses sensations et de ses actions physiques.

Evgueny Vakhtangov (1883-1922) est un comédien, metteur en scène et pédagogue russe. Ancien comédien du Théâtre d'Art de Moscou, disciple de Stanislavski, il fonde son propre théâtre en 1926. Son travail revendique l'importance de la théâtralité et de la technique expressive de l'acteur. Il fait appel au grotesque et invente le style du « réalisme fantastique ».

Alexandre Taïrov (1885-1950) est un comédien et metteur en scène russe. En 1914, il fonde à Moscou le Théâtre Kamerny (Théâtre de Chambre). S'opposant au réalisme, il s'inspire du théâtre du Moyen-âge et de la commedia dell'arte. Selon lui, l'acteur doit être au centre de la création. Le régime soviétique fait fermer son théâtre en 1949.

Vsevolod Meyerhold (1874-1940) est un comédien, metteur en scène et pédagogue russe. Après avoir été comédien et enseignant au Théâtre d'Art, il fonde son propre théâtre en 1923. Il invente au théâtre le principe de biomécanique. Refusant le jeu psychologique, il insiste sur l'importance du travail physique de l'acteur. Ses créations vont à l'encontre du théâtre bourgeois et de l'illusion. Elles revendiquent à l'inverse la convention théâtrale qui joue avec la présence du spectateur. Après avoir participé aux activités du parti communiste dès 1918, Meyerhold est arrêté et torturé en 1939 puis exécuté en 1940.

Marie-Isabelle Boula de Mareuil

Transcription

Comédienne
Quel monde merveilleux, comme je vous envie, si vous saviez. Le destin des gens est si divers, certains prennent à grand peine leur existence ennuyeuse et insignifiante, tous pareils les uns aux autres, tous malheureux. D’autres, comme vous par exemple, un seul sur un million, ont reçu en échange une vie lumineuse, intéressante, pleine de significations. Vous êtes heureux !
Comédien
Moi, vous parlez de célébrité, de bonheur, de vie lumineuse et intéressante mais pour moi toutes ces belles paroles ne sont, excusez-moi, pas autre chose qu’une marmelade, dont je ne mange jamais. Vous êtes très jeune et très bonne.
Comédienne
Mais votre vie est belle !
Comédien
Qu’est ce qu’elle a donc de particulièrement bien ? Il faut que j’aille écrire, excusez-moi, je n’ai pas le temps.
Intervenant
Le verbe russe, vous savez a une importance immense pour le théâtre mondial. C’est-à-dire qu’il s’est produit dans les années 10, en Russie une floraison intellectuelle et artistique, scientifique et politique absolument inouïe, inouïe qui est vraiment à l’origine de tout ce qui s’est passé au XXème siècle. Alors si je cite les noms de Stanislavski, de Meyerhold, de Taïrov, de Vakhtangov, je citerai les noms de tous nos maîtres. Pour les gens de théâtre ce sont nos maîtres, vraiment nos maîtres. D’ailleurs finalement, ces recherches c’est aussi la révolution russe. La révolution russe est aussi le produit de cette floraison d’activités intellectuelles. Tous les révolutionnaires sont comparables à des metteurs en scène. On a Lénine, on a Trotsky, on a Stanislavski, Meyerhold ou [Vakhtangov].
Journaliste
Qu’est-ce qu’on leur doit ?
Intervenant
Si je parle de Meyerhold surtout, l’idée toute simple qui est vraiment l’œuf de Colomb du théâtre, que le théâtre, la chair même du théâtre est la convention théâtrale c’est-à-dire que en fait, toutes les formes ne sont que des codes. Le réalisme n’est pas plus réel que le formalisme. Tout est code, tout est manière d’appréhender le monde par le théâtre.