Angelo, tyran de Padoue de Victor Hugo
Notice
Reportage et interview d'Emmanuel Devos et de Marcial Di Fonzo Bo à propos de la première d'une pièce méconnue de Victor Hugo, lors du Festival d'Avignon 2009.
Éclairage
Angelo, tyran de Padoue est une pièce très rarement inscrite sur la scène française et dont la présentation lors du festival d'Avignon par Christophe Honoré fait à elle seule événement. La pièce avait été originellement créée à la Comédie-Française en 1835 avec en vedette Mademoiselle Mars dans le rôle de la Tisbé et n'a par la suite trouvé que très peu de metteurs en scène et d'interprètes, mis à part Sarah Bernhardt en 1905 et Jean-Louis Barrault en 1984. Chose étrange, c'est l'opéra qu'en a tiré Ponchielli d'après un livret de Boïto, en 1876, La Gioconda, qui a fait passer ce texte à la postérité, grâce aux voix de Maria Callas, Renata Tebaldi ou encore Montserrat Caballé et Luciano Pavarotti.
Angelo, tyran de Padoue raconte comment la Tisbé – une fille de la rue parvenue dont la mère avait été autrefois sauvée de la pendaison par une jeune fille dont elle ignore le nom –, va reconnaître en Catarina, la femme d'Angelo, celle qui avait obtenu la grâce de sa mère et lui sauver la vie en lui évitant d'être surprise par le cruel et jaloux Angelo dans les bras de son amant, Rodolfo. Mais Angelo, informé de cette infidélité, veut faire décapiter Catarina. La Tisbé intervient, fait mine d'empoisonner la jeune femme en lui donnant un narcotique. Rodolfo, pensant Catarina morte, poignarde la Tisbé qui avoue, dans son dernier souffle, les avoir sauvés tous deux du sort cruel auquel Angelo les préparait, et les pousse à prendre la fuite hors de l'état de Venise.
Dans sa préface, Victor Hugo expose ainsi son sujet : « Mettre en présence, dans une action toute résultante du cœur, deux graves et douloureuses figures, la femme dans la société, la femme hors de la société ; c'est-à-dire, en deux types vivants, toutes les femmes, toute la femme. (...) Enseigner à quelles épreuves résiste la vertu de l'une, à quelles larmes se lave la souillure de l'autre. Rendre la faute à qui est la faute, c'est-à-dire à l'homme, qui est fort, et au fait social, qui est absurde. » Comme on le voit, Hugo fait du poète dramatique un important réformateur social et ambitionne de construire à partir de tous ces éléments un drame qui ne soit ni véritablement un drame royal ou bourgeois, mais un « drame princier et domestique », c'est-à-dire une pièce qui soit d'un même tenant didactique dans son propos sur le progrès social et la place des femmes, et innovante du point de vue de la forme, puisqu'elle mêle le registre sérieux à des pointes de comédie, pour paraître vraie.
On retrouve dans Angelo les ficelles dont Hugo se sert habituellement pour mener son action et ses pièces historiques : un arrière-plan pittoresque (Padoue au XVIe siècle), des scènes nocturnes, des guet-apens, des duels, des empoisonnements, qui ne sont pas sans rappeler l'intrigue de Roméo et Juliette, mais auquel il ajoute un discours politique militant sur la condition de la femme.
Comme on le voit dans le document vidéo, Christophe Honoré donne de la pièce d'Hugo une lecture tournée délibérément vers une actualisation pour faire résonner l'universalité des propos de l'auteur : les décors, les costumes, le jeu des acteurs, les accessoires (micros, téléphones portables...) déplacent l'action dans une temporalité vague qui couvre les années folles au monde d'aujourd'hui et retraverse des esthétiques qui ne sont pas sans rappeler les mouvements futuristes ou constructivistes du début du XXe siècle : les structures métalliques évoquent notamment l'organisation du plateau à la façon de Meyerhold, mais aussi les échafaudages utilisés par l'industrie du cinéma – dont Christophe Honoré, le metteur en scène, est issu – pour la réalisation de décors illusionnistes.