Est-il bon ? Est-il méchant ? de Diderot

07 mai 1965
03m 51s
Réf. 00352

Notice

Résumé :

Un extrait d'une adaptation télévisée d'une pièce peu connue de Diderot, Est-il bon ? est-il méchant ?

Date de diffusion :
07 mai 1965
Lieux :

Éclairage

Est-il bon ? est-il méchant ? dit aussi L'Officieux persifleur, ou celui qui les sert tous et qui n'en contente aucun n'a jamais été joué du vivant de l'auteur et fait partie, comme les autres opus théâtraux de Diderot (Le Fils naturel, Le Père de famille), des pièces lues et beaucoup commentées par les critiques ou les universitaires, mais très rarement mises en scène. Cette comédie est longtemps restée dans les fonds de tiroir de Diderot, qui retravailla son canevas à plusieurs reprises, entre 1776 et 1784 ; elle est dédicacée à Mme de Meaux, l'une de ses maîtresses - dont on peut reconnaître le nom, dans la pièce, sous le personnage de Mme de Malves.

L'intérêt dramaturgique de cette comédie en quatre actes et en prose, qui doit se lire comme une pièce de circonstance destinée à être représentée dans un cadre privé, est de présenter un bon exemple des « divertissements domestiques » qui se donnaient autrefois dans les salons de société où se réunissaient intellectuels et gens de bonne maison.

Dans Est-il bon ? est-il méchant ? Diderot propose de plus une mise en abyme intéressante de la figure de l'auteur dramatique sous l'égide de son personnage principal, Hardouin, dont le profil reste caractéristique des valets de comédie, manipulateurs et faiseurs d'intrigues qui tirent plus ou moins bien leur épingle du jeu à la fin de la pièce. Mme de Chépy cherche à monter un divertissement, une petite pièce dont Hardouin sera l'auteur, pour amuser la maison de Mme de Malves, où se situe l'action. Chaque personnage est empêtré dans des histoires de succession, de procès, de pension à reverser, de mariage à conclure. Hardouin, en bon intriguant, s'engage auprès de chacun à résoudre leurs affaires quitte à employer des moyens retors mais par la fourberie de ses procédés ne fera finalement que des mécontents.

Le texte conserve de nos jours encore beaucoup de fraîcheur, notamment grâce à la conduite parallèle de plusieurs fils narratifs, qui donnent de l'épaisseur et du rythme à l'intrigue tout en jouant sur un principe de retardement de la résolution.

La captation télévisuelle de cette pièce, réalisée en 1965, laisse un document d'archive doublement intéressant : d'une part parce qu'il s'agit d'un témoignage précieux si l'on se souvient qu'à ce jour, cette pièce de Diderot n'a été mise en scène que quatre fois depuis le XVIIIe siècle : par Henri Demay en 1971 et 1983 au théâtre de l'Equipe ; par Henri Rollan en 1955, et par Jean Dautremay en 1984, à la Comédie-Française ; d'autre part parce que cette version télévisée est accompagnée d'un commentaire en voix off, cherchant à éclairer le spectateur sur les enjeux de la situation.

Céline Hersant

Transcription

Denis Podalydès
A Paris, en l'hôtel de madame de Malves, riche demeure où habite présentement Madame de Chépy, sa meilleure amie.
Comédienne 1
Picard, écoutez-moi, je vous défends d’ici à 8 jours d’aller chez votre femme.
Comédien 1
8 jours, c’est bien long.
Comédienne 1
En effet, c'est fort pressé de faire un gueux de plus. Comme si l’on en manquait.
Comédien 1
Ah si on nous ôte la douceur de caresser nos femmes, qu’est-ce qui nous consolera de la dureté de nos maîtres.
Comédienne 1
Et vous Flamand, retenez bien ce que je vais vous dire. Mademoiselle, la Saint-Jean n’est-elle pas dans 3 jours ?
Comédienne 2
Non, Madame, c’est après demain.
Comédienne 1
Miséricorde, je n'ai pas un moment à perdre. Si d’ici à deux jours...
Journaliste
Picard et Flamand sont des valets dans la bonne tradition, celle de Molière. Madame de Chépy est aux prises avec eux dès le matin en présence de mademoiselle de Beaulieu, sa femme de chambre comme il convient de l’entendre en cette fin du XVIIIe siècle.
Comédienne 1
Courez chez lui. Allez donc.
Comédien 2
Qui lui ?
Comédienne 1
Oh, que cela est bête. Monsieur Hardouin, dites-lui qu’il vienne, qu’il vienne sur le champ, que je l’attends et que c’est pour chose importante.
(Bruit)
Comédienne 3
La famille du jeune homme. Enterrez-moi ce soir, toute cette ennuyeuse, impertinente et triste famille, toute cette clique maussade de Crancey et je marie ma fille demain.
Comédienne 1
Je connais peu les Crancey mais ils passent pour les meilleures gens du monde.
Comédienne 3
Qui le leur dispute ? Moi, je commence à vieillir et je me flattais de passer le reste de mes jours avec des gens aimables et me voilà condamnée à entendre un vieux grand-père radoter des sièges…
Journaliste
L’amie aux confidences, Madame de Vertillac, est mère d’une jeune fille et cette famille de Crancey qu’elle redoute est celle d’un jeune homme amoureux dans la bonne tradition lui aussi.
Comédienne 3
… s’injurier, s’arracher les yeux pour des questions de religion auxquelles elles ne comprennent pas plus que leurs chiens. Oh, non. Tenez, mon amie, la seule pensée de cette vie et de ces personnages me fait soulever le coeur.
Comédienne 1
Puis, il s’agit du bonheur de votre fille.
Comédienne 3
Et du mien aussi ne vous déplaise.
Comédien 3
De quoi s'agit-il ?
Comédienne 1
De me rendre le plus important service. Vous connaissez madame de Malves chez qui nous sommes. Eh bien, c'est incessamment le jour de sa fête.
Comédien 3
Et vous voudriez un divertissement, un proverbe, une petite comédie?
Comédienne 1
C'est bien ça, mon cher Hardouin.
Comédien 3
Je suis désolé de vous refuser net, mais tout net. Alors, premièrement, parce que je suis excédé de fatigue et qu'il ne me reste pas une idée, mais pas une. Secondement, parce que j'ai heureusement, ou malheureusement, un esprit auquel on ne commande pas. Je voudrais vous servir que je ne le pourrais. D’ailleurs, je n’ai pas l’esprit libre.
Journaliste
Hardouin c’est l’auteur auquel on fait appel à tout propos, voire hors de propos. Et cet auteur bien sûr c’est Denis Diderot, lui-même, tel qu’il se voit, tel qu’il se veut être, tel qu’il est peut-être bien quand il regarde en arrière, car il approche de la soixantaine quand il imagine la pièce et le prologue qui deviendra 10 ans plus tard Est-il bon ? Est-il méchant ? Mais le prologue à peine s’achève.
Comédienne 1
Celui des avocats est de terminer les procès, le vôtre de produire des ouvrages charmants. Voulez-vous savoir ce qui vous arrivera ? Vous vous brouillerez avec la dame dont vous êtes le négociateur, avec son adversaire, et avec moi, si vous me refusez.
Comédien 3
Mademoiselle me jette le gantelet, il me faut le ramasser. J'ai promis de faire la pièce, et elle se fera.
Comédienne 1
Eh bien, Mademoiselle, avez-vous réussi? Je crois vous en avoir laissé le temps et la commodité.
Comédien 3
Oui, Madame, elle a réussi, et je ferai la pièce.
Comédienne 1
Mademoiselle, je vous en suis infiniment obligée et je vous en remercie bien humblement.
Comédienne 2
Vous voyez, la voilà outrée, et je ne suis sûre de ne pas avoir un mois à rester ici. Je voudrais que les fêtes, les pièces et les poètes fussent tous au fond de la rivière.