Le Système Ribadier de Georges Feydeau et Maurice Hennequin

11 avril 1975
06m 13s
Réf. 00376

Notice

Résumé :

Les premières scènes de la pièce, présentant la situation et les principaux personnages, dans une réalisation de Pierre Sabbagh pour la série Au théâtre ce soir (diffusion le 11 avril 1975).

Date de diffusion :
11 avril 1975
Source :
Thèmes :

Éclairage

En 1892, dans le même temps où Feydeau faisait donner les premières représentations du Système Ribadier au théâtre du Palais-Royal, le tout Paris se divertissait déjà avec Monsieur chasse (dans le même théâtre) et Champignol malgré lui (au théâtre des Nouveautés). Feydeau triomphe une fois de plus avec cette nouvelle pièce qui raconte comment Angèle, veuve depuis deux ans, doute de la fidélité de son second mari, Ribadier. Ce dernier profite de son don d'hypnotiseur [1] pour échapper à la surveillance de sa femme et « folichonner » en courant les demoiselles. L'insert de ce stratagème – le « système Ribadier » – n'est pas si saugrenu pour les contemporains de Feydeau, on s'intéresse alors de près aux sciences occultes pour s'amuser en société (séances de spiritisme), au magnétisme et à l'hypnose, ainsi qu'au somnambulisme (Charcot, Broca, du côté de la médecine neurologique et psychiatrique). Mais le procédé n'est pas si sûr et Ribadier en sera pour ses frais.

On voit bien dans cette pièce comment Feydeau recourt à des séries d'obstacles et aux mots à double sens pour compliquer la situation : Thommereux, qui s'était exilé autrefois en Batavia, est de retour à Paris, il croit pouvoir reprendre son idylle avec Angèle ; en toute naïveté, Ribadier insiste pour le loger chez lui. Le duo initial devient trio puis quatuor quand Ribadier va s'encanailler avec Thérèse Savinet, dont le mari ne tardera pas à se manifester. Feydeau ajoute également quantité d'obstacles physiques : des scènes nocturnes propices au quiproquo, une fenêtre à escalader, un pavillon infesté de cancrelats, des portes verrouillées dont on n'a pas la clé... Ces effets burlesques sont doublés par des citations et des détournements assez savoureux de la poésie de Musset ou de la versification de Rostand : Ribadier en effet, pour détromper sa femme, prétend répéter une comédie avec ses amis du Cercle.

La pièce a longtemps pâti de n'avoir pas été publiée et ce n'est qu'en 1949 que le grand public la redécouvre avec l'édition du théâtre complet de Feydeau en neuf tomes, entre 1948 et 1956, par les Editions du Bélier. Parmi les mises en scènes les plus populaires de la pièce, on peut citer celle de Georges Vitaly au Théâtre la Bruyère, en 1958, la captation du 11 avril 1975 pour « Au théâtre ce soir », réalisée par Pierre Sabbagh (avec dans la distribution Alain Feydeau, le petit-fils de l'auteur), ou encore le spectacle joué par Bruno Solo et Léa Drucker, au théâtre Montparnasse, dans une mise en scène de Christian Bujeau [2].

[1] Voir aussi de Feydeau Dormez ! je le veux (1897).

[2] Spectacle diffusé le 13 décembre 2008 sur la chaîne Paris Première et édité en DVD.

Céline Hersant

Transcription

(Bruit)
Maurice Hennequin
Si, si !
Comédienne 1
Ah, non !
Maurice Hennequin
Si !
Comédienne 1
Ah, non !
Maurice Hennequin
Un tout-petit, Sophie !
Comédienne 1
Mais non, voyons !
Maurice Hennequin
Tout petit ! Tout petit !
Comédienne 1
Oh, vous n’êtes pas sérieux ! … Oui, là, mais faites vite ! Ha, ha, ha, pas trop.
Maurice Hennequin
Ah, Sophie, la vie de nos maîtres pour ce moment de bonheur !
Comédienne 1
Allons, Gusman, ce n’est pas le moment ! Je viens de servir le café aux bourgeois, ils peuvent sortir de table et nous surprendre, allez, finissez.
Maurice Hennequin
Eh bien, qu’ils nous surprennent !
Comédienne 1
Oh, Dieu. Merci, ils nous flanqueraient à la porte. Allez, allez assez, voilà une bouteille de vin et une moitié d’un pâté que j’ai sauvées du dîner. Pour qu’il vous en reste, du pâté, je ne l’ai pas repassé.
Maurice Hennequin
Ah, elle ne l’a pas repassé. Ah Sophie, voilà comme je comprends l’amour, être aimé pour soi-même… Et quand te verrai-je ?
Comédienne 1
Eh bien, ce soir, si vous voulez…
Maurice Hennequin
Ce soir ? … Les bourgeois ne sortent donc pas ?
Comédienne 1
Mais non, vous n’aurez pas à atteler. Alors, dès que tout sera éteint, vous passerez par cette fenêtre. J’aurai soin de la laisser entr’ouverte. Et vous monterez jusqu’à ma chambre, mais en tout bien, tout honneur.
Maurice Hennequin
Naturellement.
Comédienne 1
Ils viennent, déguerpissez !
Maurice Hennequin
Je déguerpis.
Simone Renant
Ah, non, tiens. Oh, laisse-moi, tu m’ennuies !
Paul-Emile Deiber
Oui, eh bien, moi, je désire que ça ne se renouvelle pas, des équipées pareilles.
Simone Renant
Ah, tu désires vraiment ?
Paul-Emile Deiber
Parfaitement. Laissez-nous, Sophie !
Comédienne 1
Oui, Monsieur. Oh, Oh, il y a un grain.
Paul-Emile Deiber
Non, ma parole d’honneur, tu as eu un accès de folie aujourd’hui. C’est insensé, toi, une femme comme il faut, venir faire cet esclandre en plein Conseil d’Administration.
Simone Renant
Qu’est-ce qui me prouvait que tu étais en Conseil d’Administration ?
Paul-Emile Deiber
Comment, ce qui te prouvait ? Je t’avais dit, je vais à la réunion du Conseil d’Administration du Chemin de fer du Nord. Non, mais c’était clair, il me semble. Mais non, ça ne suffit pas à Madame, il faut encore qu’elle vienne se rendre compte par elle-même. Il n’y avait pas cinq minutes que le Président avait ouvert la séance, que, tout à coup, une trombe s’abat dans la salle du Conseil, c’était Madame, qui s’écrie au milieu de tous les membres effarés : Ah, Ah, nous allons donc le voir, ce fameux Conseil.
Simone Renant
Eh après, ils n’en sont pas tous morts ces messieurs, je suppose.
Paul-Emile Deiber
Mais comment, mais tu t’es rendue absolument ridicule… et moi avec.
Simone Renant
Toi.
Paul-Emile Deiber
Oh, je sais bien que ça t’est égal, mais ça n’empêche pas que j’exige que ça ne se renouvelle plus. En te voyant là, ma parole d’honneur, je ne savais plus où me mettre… Et Monsieur de Rothschild, tu n’as pas vu la figure qu’il faisait, Monsieur de Rothschild ? Il ne me l’a pas lâché, va, quand tu as été partie : vous aurez la bonté, mon cher collègue, m’a-t-il dit, de prévenir Madame Ribadier pour l’avenir, que nos réunions sont privées. Voilà ce que tu m’as attiré. Et qu’est-ce que tu voulais que je réponde ?
Simone Renant
Naturellement, vous avez laissé marcher sur moi.
Paul-Emile Deiber
Mais non, je t’ai excusée. J’ai dit que depuis quelque temps, tu donnais des signes d’aliénation mentale.
Simone Renant
Vous avez dit ça ?
Paul-Emile Deiber
Oh, mais, j’ai assuré que le médecin me répondait de ta guérison.
Simone Renant
Charmant !
Paul-Emile Deiber
Ben dame, qu’est-ce que tu aurais fait à ma place ?
Simone Renant
Ce que j’aurais fait ? Et bien j’aurais dit que j’étais venue parce que j’étais une femme qui était parfaitement payée pour savoir ce que valait la fidélité des hommes.
Paul-Emile Deiber
Allons !
Simone Renant
Mais parfaitement, oui, parce que vous savez moi, je n’y ai jamais cru à votre Conseil d’Administration.
Paul-Emile Deiber
Mais enfin, voyons,… tu nous as bien vus, cependant.
Simone Renant
Ah, oui. Ça, je vous ai vus, je vous ai vus là, entre hommes, c’est évident. Mais qu’est-ce que ça prouve ? Ces salles d’assemblées, c’est si bien agencé, on doit être organisé pour éviter les surprises.
Paul-Emile Deiber
Oh, non !
Simone Renant
Qu’est-ce qui me dit que vous n’avez pas eu le temps de faire filer les femmes ?
Paul-Emile Deiber
Ma chère amie, je t’assure vraiment que le Conseil d’Administration du Chemin de fer du Nord a autre chose à faire que de se réunir pour folichonner avec des demoiselles.
Simone Renant
On vient pour causer du chemin de fer, vous allez me faire croire ça.
Paul-Emile Deiber
Ben dame !
Simone Renant
Allons donc, il est fait, votre chemin de fer, ce n’est plus la peine d’en parler.
Paul-Emile Deiber
Mademoiselle, discuter avec une femme, ça. Elles ont de ces raisonnements. À qui en as-tu ? De quel droit me soupçonnes-tu ? T’ai-je jamais fourni un motif de dire que je t’ai trompée ?
Simone Renant
Oh, toi, non, mais lui !
Paul-Emile Deiber
Lui, lui. Ah, lui, ah oui, toujours ton Robineau. Est-ce que c’est ma faute si ton premier mari t’a trompée ?
Simone Renant
Oh non, c’est bien de la mienne. Si j’avais été plus clairvoyante, aussi c’est pour ça que je prends mes précautions maintenant. Le misérable, quand je pense qu’il m’a trompée toute sa vie, et que je n’y ai vu que du feu. Non, mais regarde-le là, regarde-le avec son air de se moquer de moi. Scélérat ! M’as-tu assez tournée en ridicule ?
Paul-Emile Deiber
C’est ça, prends-t’en à lui !
Simone Renant
Tu te croyais très fort parce que tu avais une femme aveugle, mais tu ne paies rien pour attendre, va ! Ah, tu m’as trompée. Ah, tu as eu des maîtresses.
Paul-Emile Deiber
Ça !
Simone Renant
Eh bien, moi aussi je te tromperai, moi aussi j’aurai des amants.
Paul-Emile Deiber
Hein ?
Simone Renant
Et tu la sentiras, la peine du talion.
Paul-Emile Deiber
Non, mais eh là, eh là, Angèle ! Tu te trompes… tu oublies que tu as changé de raison sociale. Il est liquidé, le numéro 1.
Simone Renant
Ah, c’est vrai, c’est l’indignation.
Paul-Emile Deiber
Oui, eh bien ! Il ne faudrait pas qu’elle allât trop loin l’indignation, parce que ce n’est pas lui, c’est moi que tu ferai... "chose". Ce n’est pas une raison parce qu’il a été banqueroutier pour qu’on me mette en faillite.
Simone Renant
Qu’est-ce que tu veux ? Chaque fois que je regarde ce tableau, je sens la colère qui me monte au cerveau.
Paul-Emile Deiber
Ah bien ! Envoie-le au grenier, si c’est cela, pourquoi le gardes-tu ?
Simone Renant
Parce qu’il est de Bonnat. Tu pensais que ce n’est pas à cause des traits de ce Robineau mais un Bonnat, même de son mari, ça se garde, c’est décoratif !
Paul-Emile Deiber
Je ne te dis pas, mais si ton caractère doit s’en ressentir, si la paix du ménage doit s’en trouver menacée, tiens, veux-tu que je demande à Bonnat de le retoucher, de le modifier, bien, il en ferait un seigneur du moyen âge le temps efface bien des choses. Eh bien, ça l’éloignera.