Ariane Mnouchkine à propos de 1789
Notice
1970, entretien avec Ariane Mnouchkine au Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes, en présence de comédiens de la troupe, à propos de la création collective 1789, et extrait du spectacle.
Éclairage
1789, premier volet d'un diptyque sur la Révolution française, est créé au Théâtre du Soleil, à la Cartoucherie de Vincennes, dans une mise en scène d'Ariane Mnouchkine, le 26 décembre 1970. Il est suivi deux ans plus tard (mai 1972) par une autre création collective : 1793.
En préface à l'édition du texte dans L'Avant-scène théâtre, Bernard Dort résume son propos sous le titre « L'Histoire jouée » qui traduit de manière pertinente le projet du Théâtre du Soleil avec ce diptyque. En effet, l'ambition de la troupe se concentre avant tout sur la Révolution française en tant qu'événement historique. Ce n'est pas la légende, ni ses héros, qui intéresse le Soleil, mais le quotidien des gens du peuple ou comment « cette Révolution est vue, revécue et jouée par le peuple » [1]. Les spectateurs sont invités à participer à la fête, « où le peuple revit ce qu'il a vécu, ce qu'il a fait et n'a pas fait » [2]. Loin de l'histoire officielle, les spectateurs s'immergent dans le quotidien historique d'un événement peu présent sur les scènes théâtrales à cette époque. Il y a bien eu la mise en scène de La Mort de Danton de Büchner par Jean Vilar au festival d'Avignon mais elle date de 1948 et, là encore, le débat révolutionnaire se cristallise autour de ses acteurs emblématiques (Danton, Robespierre, Saint-Just, Camille Desmoulins).
Bien que les représentations de 1789 aient eu lieu à la Cartoucherie de Vincennes, le spectacle a été conçu avant que la troupe ne s'y installe en août 1970. Auparavant le Théâtre du Soleil s'était installé au Cirque de Montmartre, avant que le lieu ne lui soit retiré en 1968. N'ayant plus d'espace fixe, la scénographie imaginée par Roberto Moscoso devait s'inscrire dans les largeurs d'un terrain de basket-ball afin de pouvoir répondre aux impératifs de tournée. De plus, « le terrain de basket fournit aux « regardés » (joueurs-acteurs) une aire propice aux mouvements d'ensemble tandis qu'il permet aux « regardants » (spectateurs) de ne rien perdre de chaque action individuelle » [3]. L'aire de jeu se trouve en adéquation avec le projet de la troupe de parler de la Révolution du point de vue du peuple, elle vient même renforcer le postulat de départ qui consiste à transmettre l'événement par la voix de bateleurs de 1789. Ainsi résonne à nouveau le théâtre de foire : une multiplicité de tréteaux permet une multiplicité de scènes et de regards, le tout à travers des récits en simultanés. Les acteurs ne sont pas des personnages mais des bateleurs qui viennent nous raconter la Révolution : « Ils restent des comédiens d'aujourd'hui qui jouent des hommes d'autrefois [...] Sans cesse, une distance née du décalage entre le comédien et sa fonction vient rectifier l'illusion. Il s'agit bien d'un groupe actuel, le Théâtre du Soleil, qui représente pour des spectateurs d'aujourd'hui l'histoire d'hier – une histoire qu'ils racontent en la jouant plus qu'ils ne la recréent et l'incarne. » [4]
Avec 1789, puis 1793, l'identité artistique du Théâtre du Soleil s'affirme, à savoir un travail de recherche collectif fondé sur les techniques de l'improvisation, alternant créations de groupe (autour d'un thème, d'une convention) et textes du répertoire (Eschyle, Euripide, Shakespeare ou Molière). Le rôle de metteur d'Ariane Mnouchkine s'impose alors que paradoxalement il consiste justement à ne pas imposer ou diriger mais à absorber, à assimiler ; elle est celle qui « [assure] la fidélité à la lecture politique des événements, [sélectionne] les textes historiques importants, [articule] les improvisations les unes aux autres, et enfin [aide] à s'accomplir tout ce qui n'était parfois qu'ébauché dans les recherches des comédiens. » [5]
[1] Bernard Dort, « L'Histoire jouée », 1789/1793, L'Avant-Scène théâtre, n° 526-527, 1er/15 octobre 1973, p. 9.
[2] Idem.
[3] « 1789-1793 et le Théâtre du Soleil » (article non signé), 1789/1793, L'Avant-Scène théâtre, n° 526-527, 1er/15 octobre 1973, p. 13.
[4] Bernard Dort, Idem.
[5] « 1789-1793 et le Théâtre du Soleil », Idem.