La Cartoucherie, un lieu théâtral
Notice
Reportage sur l'installation du Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes : travaux d'aménagement et de réhabilitation pour transformer le lieu en salle de spectacle, avec des entretiens des membres de la troupe.
Éclairage
Si le Théâtre du Soleil possède sa propre identité, son installation à la Cartoucherie de Vincennes à l'hiver 1970 reflète les changements qui animent non seulement le milieu théâtral mais aussi la société française des années soixante et soixante-dix. En outre, son implantation devient le déclencheur pour d'autres troupes qui décident également de s'y installer, créant ainsi un ensemble théâtral. Il s'agit d'un événement important du théâtre contemporain.
Au début des années soixante-dix, la Cartoucherie de Vincennes est un site d'entrepôts en ruines, abandonné par l'armée. Il est destiné à être rasé, la ville de Paris souhaitant transformer la base militaire en Parc Floral. Toutefois, la Cartoucherie attire l'attention et plusieurs artistes sont sollicités pour faire du lieu un espace culturel (Jean-Louis Barrault, Lazini, Costa Gavras ou Maurice Béjart). Finalement, c'est le Théâtre du Soleil qui investit les lieux à son retour d'Italie où il vient de créer 1789. N'ayant trouvé aucun espace adéquat pour les représentations de son spectacle, la ville de Paris lui accorde un bail de location pour une durée de trois ans.
Dans cet intervalle de quelques années, ce lieu alors inconnu est successivement investi par cinq compagnie qui s'y implantent, construisant des théâtres et des espaces de travail. Sous l'impulsion du Théâtre du Soleil, Jean-Marie Serreau décide d'y créer le théâtre de la Tempête. Parallèlement le Théâtre de l'Aquarium récupère le bâtiment qui sert d'entrepôt aux décors de Jean-Louis Barrault. Suivront l'Atelier du Chaudron (1972) qui devient le Théâtre du Chaudron (1992) et le Théâtre de l'Epée de Bois (1980).
Dans un premier temps et pour des troupes comme celle du Soleil et de l'Aquarium (toutes deux issues du théâtre universitaire des années soixante), l'implantation à la Cartoucherie de Vincennes relève d'une volonté de rupture à la fois artistique et idéologique. Il s'agit de faire du théâtre autrement, de sortir des conventions d'un théâtre qui serait sclérosé. Pour cela, les troupes refusent le théâtre à l'Italienne et cherchent de nouveaux espaces afin de pouvoir expérimenter de nouvelles formes et un autre répertoire. C'est le cas de 1789 par le Théâtre du Soleil, mais aussi de La Jeune lune tient la veille lune toute une nuit dans ses bras par le Théâtre de l'Aquarium. Pour toutes les compagnies présentes à la Cartoucherie, le théâtre est un lieu de rassemblement.
Si, les années passant, les différents théâtres sont souvent revenus à des formes plus conventionnelles, qui se traduisent dans un rapport scène/salle frontal, la majorité des théâtres continuent de s'occuper de dramaturgie contemporaine que ce soit par l'élaboration de spectacles collectifs ou la mise en scène d'auteurs dramatiques vivants.
Au final, « A l'écart des principes et des initiatives du Ministère de la Culture, la Cartoucherie a émergé envers et contre tout, a déclenché l'engouement du public, a marqué indéniablement l'histoire du théâtre contemporain et malgré l'usure du temps l'identité des cinq théâtres correspond toujours à celles de ses fondateurs. Conçue depuis ses débuts sur le mode autogestionnaire, la Cartoucherie organise de manière interne ses passations de pouvoirs sans que les tutelles ne puissent en décider autrement » [1]. A partir de 1985, les cinq lieux créent même L'Association des théâtres de la Cartoucherie afin de constituer une force commune face à ses interlocuteurs et notamment la Ville de Paris. Cela leur permet aussi de prendre des mesures communes concernant des travaux de voierie, d'aménagement de l'espace extérieur (parking, éclairage) et de la mise en place d'une navette. Ces mesures nécessaires pour continuer à accueillir un large public n'entament cependant en rien l'autonomie des différents projets artistiques.
[1] Joël Cramesnil, « Une aventure théâtrale en marge de l'institution : la Cartoucherie de Vincennes », in La Revue d'Histoire du théâtre, n° 200, 1998-4, p. 338.