La Cartoucherie, un lieu théâtral

22 février 1971
04m 19s
Réf. 00431

Notice

Résumé :

Reportage sur l'installation du Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes : travaux d'aménagement et de réhabilitation pour transformer le lieu en salle de spectacle, avec des entretiens des membres de la troupe.

Date de diffusion :
22 février 1971
Source :
Artistes et personnalités :
Fiche CNT :

Éclairage

Si le Théâtre du Soleil possède sa propre identité, son installation à la Cartoucherie de Vincennes à l'hiver 1970 reflète les changements qui animent non seulement le milieu théâtral mais aussi la société française des années soixante et soixante-dix. En outre, son implantation devient le déclencheur pour d'autres troupes qui décident également de s'y installer, créant ainsi un ensemble théâtral. Il s'agit d'un événement important du théâtre contemporain.

Au début des années soixante-dix, la Cartoucherie de Vincennes est un site d'entrepôts en ruines, abandonné par l'armée. Il est destiné à être rasé, la ville de Paris souhaitant transformer la base militaire en Parc Floral. Toutefois, la Cartoucherie attire l'attention et plusieurs artistes sont sollicités pour faire du lieu un espace culturel (Jean-Louis Barrault, Lazini, Costa Gavras ou Maurice Béjart). Finalement, c'est le Théâtre du Soleil qui investit les lieux à son retour d'Italie où il vient de créer 1789. N'ayant trouvé aucun espace adéquat pour les représentations de son spectacle, la ville de Paris lui accorde un bail de location pour une durée de trois ans.

Dans cet intervalle de quelques années, ce lieu alors inconnu est successivement investi par cinq compagnie qui s'y implantent, construisant des théâtres et des espaces de travail. Sous l'impulsion du Théâtre du Soleil, Jean-Marie Serreau décide d'y créer le théâtre de la Tempête. Parallèlement le Théâtre de l'Aquarium récupère le bâtiment qui sert d'entrepôt aux décors de Jean-Louis Barrault. Suivront l'Atelier du Chaudron (1972) qui devient le Théâtre du Chaudron (1992) et le Théâtre de l'Epée de Bois (1980).

Dans un premier temps et pour des troupes comme celle du Soleil et de l'Aquarium (toutes deux issues du théâtre universitaire des années soixante), l'implantation à la Cartoucherie de Vincennes relève d'une volonté de rupture à la fois artistique et idéologique. Il s'agit de faire du théâtre autrement, de sortir des conventions d'un théâtre qui serait sclérosé. Pour cela, les troupes refusent le théâtre à l'Italienne et cherchent de nouveaux espaces afin de pouvoir expérimenter de nouvelles formes et un autre répertoire. C'est le cas de 1789 par le Théâtre du Soleil, mais aussi de La Jeune lune tient la veille lune toute une nuit dans ses bras par le Théâtre de l'Aquarium. Pour toutes les compagnies présentes à la Cartoucherie, le théâtre est un lieu de rassemblement.

Si, les années passant, les différents théâtres sont souvent revenus à des formes plus conventionnelles, qui se traduisent dans un rapport scène/salle frontal, la majorité des théâtres continuent de s'occuper de dramaturgie contemporaine que ce soit par l'élaboration de spectacles collectifs ou la mise en scène d'auteurs dramatiques vivants.

Au final, « A l'écart des principes et des initiatives du Ministère de la Culture, la Cartoucherie a émergé envers et contre tout, a déclenché l'engouement du public, a marqué indéniablement l'histoire du théâtre contemporain et malgré l'usure du temps l'identité des cinq théâtres correspond toujours à celles de ses fondateurs. Conçue depuis ses débuts sur le mode autogestionnaire, la Cartoucherie organise de manière interne ses passations de pouvoirs sans que les tutelles ne puissent en décider autrement » [1]. A partir de 1985, les cinq lieux créent même L'Association des théâtres de la Cartoucherie afin de constituer une force commune face à ses interlocuteurs et notamment la Ville de Paris. Cela leur permet aussi de prendre des mesures communes concernant des travaux de voierie, d'aménagement de l'espace extérieur (parking, éclairage) et de la mise en place d'une navette. Ces mesures nécessaires pour continuer à accueillir un large public n'entament cependant en rien l'autonomie des différents projets artistiques.

[1] Joël Cramesnil, « Une aventure théâtrale en marge de l'institution : la Cartoucherie de Vincennes », in La Revue d'Histoire du théâtre, n° 200, 1998-4, p. 338.

Marie-Aude Hemmerlé

Transcription

(Silence)
Journaliste
C’était au début du mois de décembre, la troupe du Théâtre du Soleil revenait de Milan où elle avait représenté pour la première fois et pendant quelques jours 1789 . Ce spectacle, reçu avec enthousiasme par le public italien n’avait pas trouvé en France de lieu où se jouer. C’est un vieil entrepôt délabré, quelque part dans le bois de Vincennes que les comédiens de la troupe décidèrent alors d’aménager en théâtre.
(Bruit)
Journaliste
Où sommes-nous ici exactement ?
Intervenant 1
Nous sommes dans une ancienne cartoucherie militaire qui a été abandonnée par l’armée il y a environ 3 ans et qui a été reprise par l’administration du parc floral. On nous l’a prêté, enfin qui nous le loue à un taux dérisoire depuis le mois d’août. En principe, c’était un lieu qui nous servait aux répétitions, enfin aux constructions de décor ; et étant donné notre situation financière et surtout notre non lieu, si on peut dire, nous avons décidé de l’aménager en salle de spectacle et ce en 3 semaines. Parce qu’il est évident qu’on a besoin de jouer le plus vite possible
Journaliste
On en est au point là, on est en mi-décembre 70, le spectacle n’a pas encore été joué en France, il a été joué je crois une semaine en Italie à Milan ; est-ce que vous avez la sensation que ce spectacle va représenter quelque chose d’important pour le théâtre en France ?
Intervenant 2
Oui je pense, sur le plan politique surtout. Pas uniquement par le fait qu’on joue une pièce à tendance politique disons ; mais surtout parce que le travail qui a été effectué et l’acharnement qu’on y a mis, je crois, est un coup de poing que beaucoup de gens vont recevoir.
Journaliste
C'est-à-dire ?
Intervenant 1
Le fait qu’on ait refait cette salle par exemple.
Journaliste
Vous y étiez forcé.
Intervenant 1
Oui mais c’est mieux de l’avoir fait comme ça que d’être allé gueuler pendant 15 jours à un ministère je crois. C’est plus fort. Moi j’ai mis un peu de hargne en faisant ça.
Intervenante
On l'a attaquée cette salle, comme on ferait un spectacle. On ne savait pas comment, si elle allait être belle ou pas. C’est comme tout notre travail, on attaque et on ne sait pas où on va mais on sent que c’est juste, on sent qu’il faut le faire, il faut aller jusqu’au bout. On ne sait pas si ça va être approuvé, si on va pouvoir jouer ou pas. On s’en fout. Si on se pose des questions à l’avance on ne fera jamais rien.
(Bruit)
Intervenant 2
Bon, et puis je ne sais pas, on se sera creusé un trou ici dans ce sorte de bidonville. Je pense que ça peut faire beaucoup plus frémir que de longs articles dans les journaux sur la situation d’une troupe qui n’arrive pas à vivre, qui n’arrive pas à trouver un lieu quoi.