Le Roi Lear de Shakespeare monté par Giorgio Strehler
Notice
Annonce de la mise en scène du Roi Lear de Shakespeare par le metteur en scène italien Giorgio Strehler venu à Paris au Théâtre de l'Odéon avec sa troupe du Piccolo Teatro di Milano. La mise en scène date de 1972 mais la présentation parisienne est de novembre 1977. Suit la présentation de la scène dont le journaliste a choisi de montrer un extrait : Lear « inspectant » le cadavre de sa fille Cordelia.
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Éclairage
William Shakespeare (1564-1616) est considéré comme le plus grand auteur dramatique anglais du XVIe siècle (début du XVIIe). Il est la référence absolue lorsqu'on évoque le théâtre élisabéthain. Sa capacité à user de toutes les ressources de la poésie et de la scène, son aisance dans le mélange des genres et des registres de langues, sa liberté avec l'espace et le temps font de son œuvre éclectique « une source vive » [1] : des textes théâtraux d'une très grande richesse qui ne s'épuise pas, ne cessent de questionner le théâtre et d'attirer les metteurs en scène de toutes générations et d'univers artistiques très différents.
Représentée pour la première fois en 1606, Le Roi Lear de William Shakespeare s'inspire de récits légendaires à propos du roi Leir. Avant même l'avènement de l'empire romain, en Grande-Bretagne, un roi décide de partager son royaume entre ses trois filles, la plus grande part revenant à celle qui l'aime le mieux. Goneril et Regane le flattent tant qu'elles peuvent tandis que Cordelia, sa préférée, ne sait qu'être sincère et lui fait une sincère déclaration, précisant cependant qu'un mari recevra peut-être un jour la moitié de son amour. Blessé, il chasse Cordelia et espère profiter des largesses des deux autres une fois retiré du pouvoir. Mais il est rejeté et méprisé par ses filles et se retrouve errant en son ancien royaume, la raison vacillante, accompagné de son fou. Une deuxième intrigue se tresse autour du comte de Gloucester et de ses deux fils : l'enfant légitime Edgar et le bâtard Edmond. Ce dernier fait croire au père à une conspiration de son frère qu'il fait fuir de la maison familiale. Les intrigues politiques et leurs crimes se multipliant et s'entrecroisant jettent Lear dans un trouble de plus en plus profond, jusqu'à la mort de ses trois filles. Devant le corps inerte de Cordelia, il meurt. C'est résumer ici trop brièvement une intrigue foisonnante d'action et de crimes ainsi que le lent et douloureux apprentissage de l'amour sincère par Lear et son passage par la folie. Le Roi Lear est une des pièces les plus sombres et les plus violentes de Shakespeare.
Metteur en scène italien, Giorgio Strehler (1921-1997) a été l'une des figures les plus importantes du théâtre européen au XXe siècle. Créant avec Paolo Grassi le Piccolo Teatro de Milan dès 1947 qu'il dirige jusqu'à sa mort (sauf de 1968 à 1972), il s'impose comme un des plus grands metteurs en scène dit « de théâtre d'art ». Fédérant une troupe autour de lui, dans un lieu stable, créant également une école, il construit un répertoire pensé dans l'idée d'un lien intime entre le théâtre et le monde, d'un théâtre citoyen en dialogue avec son public. En fondant son répertoire sur la revisitation des classiques et la mise en valeur de la création contemporaine, il réforme en profondeur la mise en scène italienne et donne un souffle nouveau à l'art de l'acteur. Il veut ainsi, d'une part, imposer une mise en scène moderne, rigoureuse et engagée civiquement, d'autre part, redonner à l'acteur un corps (au-delà de la diction du texte) actif, actant : réincarner la parole sans pour autant tomber dans le plus strict réalisme. De 1983 à 1990, à l'Odéon et sur invitation de Jack Lang, il crée le Théâtre de l'Europe qui propose des spectacles en français et en langues étrangères. Il fonde en 1990 l'Union des théâtres de l'Europe qui se donne pour mission de participer à la création de l'Europe au niveau culturel. Le théâtre est ici considéré comme un art qui rassemble les êtres et les peuples. Il développe aussi une intense activité de mise en scène lyrique – une cinquantaine. Notons qu'en 1947, il est le premier metteur en scène de théâtre à monter un opéra (La Traviata) en Italie, au Teatro alla Scala de Milan. Si le répertoire des textes mise en scène par Giorgio Strehler est très large (plus de 200 mises en scène théâtrales), des figures récurrentes, signes de véritables affinités électives, apparaissent, dont Brecht, Shakespeare et Goldoni. Les trois représentent des conceptions particulières du lien théâtre-monde, fondamental dans la pensée du metteur en scène. Ils lui permettent également d'explorer au plus loin les ressources propres du théâtre et de la scène.
On assiste ici aux ultimes minutes de la pièce, où Lear découvre le cadavre de sa fille chérie et dans un premier temps ne croit pas à sa mort. Lorsqu'il voit la réalité en face, il meurt de chagrin. Giorgio Strehler maintient une tension presque palpable grâce à la musique qui accompagne le geste terrible du père qui plonge sa main dans le corps de sa fille et en retire le cœur, d'où venait l'amour véritable et désintéressé. Le metteur en scène choisit de représenter le cœur par une tomate rouge. Le doigt de l'acteur recrée le battement du cœur, à la fois pour signifier l'organe, mais aussi l'espoir fou et dérisoire que sa fille soit encore en vie. La tomate écrasée, le jus/sang qui en coule brise tout espoir et c'est cette fois le cœur de Lear qui se brise et cesse de battre.
[1] Louis Lecoq / Catherine Treilhou-Balaudé, « Shakespeare », in Dictionnaire encyclopédique du théâtre, dirigé par Michel Corvin, Paris, Larousse, coll. « In extenso », 2000.