Peter Brook parle des Bouffes du Nord
Notice
Extrait d'un reportage sur les Bouffes du Nord, dans lequel Peter Brook évoque sa conception de l'espace où l'espace élisabéthain vient côtoyer cet ancien théâtre à l'Italienne. Puis un extrait de répétition de la scène du serment au début de Hamlet.
Éclairage
Avant d'être investi par le théâtre de Peter Brook et qu'il ne lui insuffle une seconde vie, le théâtre des Bouffes du Nord, situé dans le XVIIIe arrondissement à Paris, connut une activité aléatoire avant de fermer ses portes en juin 1952.
Construit en 1876, ce théâtre à l'Italienne imaginé par Louis-Marie Emile Leménil était destiné au répertoire de café-concert. Excentré par rapport aux autres salles parisiennes, le théâtre n'attire pas le public. Et de 1876 à 1885, une quinzaine de directeurs se succèderont, jusqu'à ce que l'un d'eux parte avec la caisse et que le théâtre ferme.
En 1885, Abel Ballet, metteur en scène, reprend les lieux et concentre l'activité sur de grandes fresques historiques et des mélodrames. En 1893 et 1894, le Théâtre des Bouffes du Nord accueille plusieurs créations de Lugné-Poë qui monte, entre autres, Rosmersholm et Un Ennemi du peuple (1893) d'Ibsen dans des décors dessinés et peints par Vuillard, et les Ames solitaires de Hauptmann.
En 1904, suite à la rénovation des lieux, le théâtre est rebaptisé Théâtre Molière. Il est alors dédié au Music-Hall puis au théâtre de boulevard. En 1952, vétuste, mal entretenu, le théâtre n'est plus aux normes de sécurité, la préfecture ordonne sa fermeture.
C'est seulement vingt ans plus tard que les Bouffes du Nord rouvriront leurs portes. Oubliés de la majorité de la population et de la communauté artistique, le théâtre est redécouvert par Peter Brook, grâce à Micheline Rozan. Soutenu par Michel Guy et aidé financièrement par le Festival d'Automne, Micheline Rozan et Peter Brook décident de restaurer le théâtre sans pour autant masquer l'usure du temps. Les Bouffes du Nord rouvrent en 1974, avec la présentation au public de la première pièce en français mise en scène par Peter Brook, Timon d'Athènes (voir ce document), drame méconnu de Shakespeare.
Ce lieu théâtral permet à Peter Brook de déployer sa conception de l'espace. Le metteur en scène réinvestit cette ancienne salle à l'italienne en lui insufflant une vision élisabéthaine du plateau. En effet, l'aire de jeu n'est pas rehaussée par une scène, mais se situe au niveau du parterre, en lien direct avec les spectateurs (comme sur une place publique). Pour Brook, l'espace peut demeurer vide, ou plus précisément, ce sont les comédiens par leur jeu qui vont créer l'espace. A l'image du théâtre élisabéthain, les Bouffes du Nord peuvent tour à tour renvoyer à la sphère intime aussi bien que publique, représenter une scène de guerre que les fastes d'une cour royale, passer de l'Italie à l'Angleterre. En outre, s'il n'est point besoin de décors, la salle peut accueillir aussi bien des mises en scène de textes classiques que contemporains, des textes dramatiques que des récits. C'est donc par le jeu que Peter Brook tente de retrouver le fonctionnement de l'espace élisabéthain et non dans une perspective archéologique de reconstitution.