Les Géants de la montagne de Luigi Pirandello, mise en scène de Giorgio Strehler
Notice
En 1993, Giorgio Strehler monte au Piccolo Teatro de Milan Les Géants de la montagne, la dernière œuvre de Luigi Pirandello. Extraits du spectacle et interview de Giorgio Strehler.
- Luigi Pirandello - Auteur
- Giorgio Strehler - Mise en scène
- Tino Carraro - Acteur(trice)
- Lino Troisi - Acteur(trice)
- Francesco Cordella - Acteur(trice)
- Leonardo De Colle - Acteur(trice)
- Giancarlo Dettori - Acteur(trice)
- Giovanna Di Rauso - Acteur(trice)
- Franco Graziosi - Acteur(trice)
- Andrea Jonasson - Acteur(trice)
- Giulia Lazzarini - Acteur(trice)
- Anna Saia - Acteur(trice)
- Enzo Tarascio - Acteur(trice)
Éclairage
Giorgio Strehler est une figure capitale du théâtre du XXe siècle et l'un des metteurs en scène les plus célèbres d'Europe. C'est lui qui, dans l'Italie bouleversée de l'après-guerre, fonde avec Paolo Grassi le Piccolo Teatro di Milano, le premier théâtre subventionné par l'État et la municipalité de Milan, en 1947, l'année même où Vilar crée le festival d'Avignon, et pour les mêmes raisons : il s'agit de rompre avec la conception bourgeoise de la culture, et d'ouvrir au plus grand nombre l'accès aux grandes œuvres du répertoire. Le théâtre retrouvera ainsi son sens de la fête, et sa fonction artistique, sociale et politique. Comme Vilar, Strehler et Grassi abaissent le prix des places et proposent à la fois des œuvres classiques et contemporaines. Parallèlement, la compagnie fait venir à Milan les plus grands metteurs en scènes étrangers et italiens. L'énorme travail accompli et la qualité des spectacles présentés pendant cinquante ans portent leurs fruits : jusqu'en 1997, date de la mort de Strehler, le succès ne s'est jamais démenti, et le Piccolo (« petit ») Teatro n'a cessé de s'agrandir et de multiplier ses activités.
Les créations de Giorgio Strehler font désormais partie des mises en scène mythiques, qui ont contribué à faire découvrir, ou redécouvrir, ses auteurs privilégiés : c'est le cas d'Arlequin serviteur de deux maîtres de Goldoni, et des Géants de la montagne de Pirandello, deux spectacles créés en 1947 et sans cesse repris depuis. Les archives du Piccolo Teatro révèlent que Shakespeare, Goldoni, Pirandello et Brecht ont été les quatre auteurs les plus montés par Strehler.
Créés en 1947, Les Géants de la montagne sont à nouveau présentés en 1966 et en 1993. Ce sont des extraits de cette dernière mise en scène que montre le document. Il n'est guère étonnant que la pièce ait fasciné Strehler. Cette œuvre ultime de Pirandello, qui meurt avant d'avoir pu l'achever, est l'exaltation même du théâtre et de ses pouvoirs imaginaires. Elle se situe donc dans la lignée des pièces du dramaturge, qui toutes mettent en abyme le théâtre à travers la fiction, pour en célébrer l'art et en interroger les mécanismes ; mais elle marque un tournant dans l'écriture dramatique de Pirandello qui, à l'approche de la mort peut-être, semble donner libre cours à ses propres rêves. La pièce s'articule autour d'une triple confrontation qui met l'art en jeu : une misérable troupe de comédiens trouve refuge dans une ferme occupée par Cotrone le magicien et sa bande. Cotrone invite les acteurs à rester à la ferme, et déploie devant leurs yeux les merveilles de son monde magique où l'imagination crée tout. Mais la comtesse Ilse refuse d'abandonner son projet de représenter en public La Fable du fils changé (une pièce de Pirandello), en hommage au poète qui s'est suicidé lorsqu'elle a refusé son amour pour être fidèle à son art. Cotrone propose alors à la troupe de la mener chez les Géants de la montagne, pour y jouer la pièce. L'acte III s'achève sur les paroles d'une comédienne de la troupe, qui entend le fracas des géants descendant de la montagne : « J'ai peur... j'ai peur. » Dans l'acte IV, seulement esquissé, les géants devaient finalement massacrer Ilse et sa troupe, le public ayant refusé la pièce et la poésie.
Les Géants de la montagne oppose donc les acteurs, qui donnent corps aux rêves, aux habitants de la ferme qui tirent les rêves de leurs corps et vivent parmi leurs fantasmagories, tandis que face à eux se dressent les géants qui refusent l'art et le rêve. Parce que les géants n'apparaissent jamais dans la pièce, et que celle-ci met en scène des êtres magiques, des marionnettes qui s'animent, des silhouettes difformes, des jeux de lumière irréels et des personnages aussi mystérieux que le comte et la comtesse, la dernière œuvre de Pirandello, quoique pessimiste quant à l'avenir, affirme pourtant la puissance du rêve qui anime l'homme et son irrésistible besoin de projeter son imaginaire à travers l'art du théâtre.