Patrice Chéreau metteur en scène et interprète de Richard II
Notice
Paul-Louis Mignon interroge longuement Patrice Chéreau sur Richard II lors de la reprise de sa mise en scène à Paris, au Théâtre de l'Odéon, initialement créée au Théâtre du Gymnase à Marseille. L'interview est prolongée par un extrait conséquent : il s'agit de la scène d'adieu entre le roi et la reine (acte V).
Éclairage
William Shakespeare (1564-1616) est considéré comme le plus grand auteur dramatique anglais du XVIe siècle (début du XVIIe). Il est la référence absolue lorsqu'on évoque le théâtre élisabéthain. Sa capacité à user de toutes les ressources de la poésie et de la scène, son aisance dans le mélange des genres et des registres de langues, sa liberté avec l'espace et le temps font de son œuvre éclectique « une source vive » [1] : des textes théâtraux d'une très grande richesse qui ne s'épuise pas, ne cessent de questionner le théâtre et d'attirer les metteurs en scène de toutes générations et d'univers artistiques très différents.
La tragédie de Richard II fut écrite vers 1595 par Shakespeare. Elle inaugure la tétralogie des pièces historiques avec Henry IV (1ère et 2ème parties, écrites entre 1596 et 1598) et Henry V (1599). Shakespeare y reprend les thèmes de la trahison, de l'usurpation du pouvoir et de sa subversion. Richard II doit juger équitablement une affaire délicate : Henry Bolingbroke, duc de Lancastre et cousin du roi, accuse Thomas Mowbray, duc de Norfolk, de haute trahison pour l'assassinat du duc de Gloucester alors que c'est le roi lui-même qui est à l'origine du meurtre. Condamnant les deux protagonistes à l'exil, dont Norfolk à perpétuité, Richard II s'empare de l'héritage de Bolingbroke, à la mort du père de ce dernier, Jean de Gand. Il pousse ainsi son propre cousin à se soulever contre lui.
Né en 1944, Patrice Chéreau s'impose comme l'une des plus grandes figures françaises de la mise en scène de la seconde moitié du XXe siècle. Il dirige le théâtre de Sartrouville dès 1966 à l'âge de 22 ans. A partir de 1970 il codirige ensuite le TNP de Villeurbanne avec Roger Planchon qu'il quitte pour prendre la direction du Théâtre des Amandiers de Nanterre en 1982 jusqu'en 1990. A la fois dans et hors de l'institution, Patrice Chéreau développe, explore un répertoire très large, de Shakespeare à Labiche, en passant par Marivaux et un large répertoire contemporain. Notons avant tout dans le répertoire contemporain ses mises en scène des textes de Bernard-Marie Koltès (Combat de nègre et de chiens en 1983, Quai Ouest en 1986, Dans la solitude des champs de coton en 1987 et en 1995, Le Retour au désert en 1988).
Deux ans après 1968, Patrice Chéreau monte Richard II de Shakespeare qui, selon le metteur en scène, est une pièce didactique qui traite de la manière dont le pouvoir change de main en temps de crise et comment cette crise est vécue par les individus.
L'une des caractéristiques des spectacles de Patrice Chéreau est l'énergie et l'engagement physiques des acteurs. Nous en avons ici la preuve dans cette longue scène de l'acte V de Richard II. Le roi, destitué, doit être envoyé dans une prison du nord de l'Angleterre et la reine en France. Ce sont leurs adieux. Toute la tension de la scène est prise en charge par les corps du couple royal qui tendent l'un vers l'autre, entravés par les gardes. Le corps de la reine semble cassé en deux lorsqu'elle relève la tête, comme est cassé le règne de son époux qui a dû abdiquer. Tendant l'un vers l'autre, en équilibre au-dessus du vide, c'est la mise en danger des corps qui signifie le moment pathétique de la pièce. L'effort supplémentaire de projection de la voix demandé par ces corps sans cesse au bord du déséquilibre donne une dynamique d'autant plus grande à la scène. A ce vecteur dynamique fort, Patrice Chéreau ajoute un mouvement de va-et-vient des corps qui s'écartent pour mieux se rejoindre : ultimes caresses, ultime baiser, ultime rencontre de la peau contre la peau avant la séparation définitive. Le metteur en scène réinvente ici le pathétique par le langage des corps renouvelé, leur violence et leur mise en espace. Le metteur en scène crée ainsi une image scénique saisissante qui incarne le texte.
[1] Louis Lecoq / Catherine Treilhou-Balaudé, « Shakespeare », in Dictionnaire encyclopédique du théâtre, dirigé par Michel Corvin, Paris, Larousse, coll. « In extenso », 2000.