A propos du Massacre à Paris, mise en scène de Patrice Chéreau

28 mai 1972
02m 55s
Réf. 00416

Notice

Résumé :

1972, entretien de Patrice Chéreau, metteur en scène de la pièce de Christopher Marlowe, Massacre à Paris, entrecoupé de courts extraits du spectacle et entretien de Roger Planchon (qui joue le Duc de Guise), qui évoque la démarche de Chéreau.

Date de diffusion :
28 mai 1972
Source :
ORTF (Collection: JT 20H )

Éclairage

Le Massacre à Paris, drame élisabéthain de Christopher Marlowe, dans la mise en scène de Patrice Chéreau, est créé au Théâtre National Populaire (TNP) de Villeurbanne du 19 mai au 10 juin 1972, soit pour dix-huit représentations. Ce spectacle à la scénographie monumentale (dont un bassin contenant 80 tonnes d'eau et une fosse d'orchestre) conçue par Richard Peduzzi, avec plus d'une trentaine d'acteurs et de figurants (dont Roger Planchon dans le rôle du Duc de Guise), onze musiciens, constitue un événement théâtral pour plusieurs raisons.

A ce moment-là, le TNP est l'ancien Théâtre municipal de Villeurbanne. Fin des années soixante, les installations n'avaient connu ni maintenance, ni restauration. Un projet de rénovation acoustique est alors lancé (la salle devant servir à des concerts dans un premier temps), se transformant finalement en un projet d'aménagement complet qui entraîne la reconstruction totale des lieux. Ne restent du bâtiment d'origine que les murs, tout le reste est repensé. La principale innovation se situe au niveau de la salle de spectacle avec l'apport d'un gradin centré, en forme de coquille, qui permet à tous les spectateurs de regarder la scène sous le même angle panoramique. Finalement, après trois saisons de fermeture et des travaux pharaoniques, le théâtre municipal rouvre en 1972.

Parallèlement, en juin 1970, Roger Planchon invite Patrice Chéreau à devenir co-directeur de son équipe, aux côtés également de Robert Gilbert. Le ministère des Affaires culturelles vient de proposer à Planchon la direction du Théâtre National de Chaillot. Ce dernier associe Chéreau à son projet : il refuse de prendre la tête de Chaillot mais souhaite que le sigle du TNP soit accordé à Villeurbanne. Après discussions avec le ministère, le sigle TNP est transféré du Théâtre National de Chaillot au Théâtre municipal de Villeurbanne, ainsi rebaptisé.

Quant à Patrice Chéreau qui a quitté la direction du Théâtre de Sartrouville pour cause de faillite, il vient de passer plusieurs mois en Italie et notamment au Piccolo Teatro lorsqu'il accepte la proposition de Roger Planchon.

C'est sous cette triple égide qu'est créé Le Massacre à Paris en mai 1972. Le spectacle marque la restauration de la nouvelle salle, l'inauguration de la saison du nouveau TNP et la nouvelle direction des lieux.

Pour le jeune metteur en scène, « le cœur de la pièce et son véritable centre d'intérêt [...] c'est le passage sanglant d'une époque à une autre, la prise du pouvoir par l'assassinat politique en série, la démystification de la guerre dite "de religion" au service de la volonté de puissance, loin de toute métaphysique » [1]. Le drame relate le massacre de la Saint Barthélémy, et plus largement, la lutte des catholiques et des protestants, depuis le mariage d'Henri de Navarre (futur Henri IV) avec Marguerite de Valois, jusqu'à la mort d'Henri III et la désignation à sa succession du prince protestant comme souverain légitime. Chéreau propose une lecture de la pièce qui mêle sublime et grotesque, multipliant les références : Brecht, Visconti, les films de gangsters, la peinture préraphaélite et surréaliste. Dans le contexte d'après mai 68, le metteur en scène poursuit sa voie, défendant le théâtre comme art. Il crée un univers fait d'images d'une grande beauté formelle et d'un don du corps qui révèle l'engagement des acteurs.

Toutefois, il est à noter que Massacre à Paris reçoit un accueil mitigé. Si la plupart reconnaissent la qualité du spectacle, certains lui reprochent sa vision de l'histoire, sa violence gratuite et surtout son excès de faste, déplaçant la polémique de l'esthétique à l'économique. Le débat dépasse rapidement le cadre des représentations puisque le critique Bertrand Poirot-Delpech (Le Monde) accuse Chéreau et plus largement l'équipe de Villeurbanne d'avoir usurpé l'identité du TNP (fondé par Jean Vilar) et trahi les idéaux du théâtre populaire. Dans le cas de Chéreau, il est en droit de se demander s'il y a trahison puisque ces idéaux n'ont jamais vraiment été les siens.

[1] Michel Bataillon, Un Défi en province. Chéreau. 1972-1982, Paris, Marval, 2005, p. 147.

Marie-Aude Hemmerlé

Transcription

Patrice Chéreau
Le massacre prend une des périodes presque les plus sanglantes de l’histoire de France. C’est-à-dire qui commence au mariage du futur Henri IV avec Marguerite de Valois et se termine à la prise de pouvoir par Henri IV.
(Musique)
Patrice Chéreau
Je crois que l’histoire de la Saint-Barthélemy est une histoire assez fascinante. Je veux dire que parmi les très grandes histoires, parmi les moments de l’histoire où se posent le plus de problèmes. Et si on regarde bien la chose, la pièce de Marlowe est une sorte de fascination en soi. La rapidité avec laquelle elle s’est écrite, le nombre de morts, la facilité avec laquelle les gens tuent ou se font tuer ou acceptent la mort ou regardent la mort des autres est assez stupéfiante. Et si on regarde bien la Saint-Barthélemy, c’est très très étonnant tout ce qui a pu se passer à cette époque-là. L’eau est profondément importante, je crois, pour le spectacle. Donc ça donne une force aux morts en scène. Il y a tout un problème de la mort dans le spectacle. Vous savez les morts de… quand il y la mort au théâtre, on n’y croit jamais beaucoup, je veux dire. Vous avez un comédien comme ça qui poignarde quelqu'un. Alors qu’en fait, quelqu'un disparaît dans l’eau, qui glisse comme ça, ça a donné une chose plus forte, enfin une chose plus inhabituelle, plus rare.
(Musique)
Patrice Chéreau
Attendez. Il y a toute une série de choses qui par exemple dans Le Massacre à Paris qui, bon elles sont venues comme ça. Je les ai laissées venir. Je me souviens qu’à la dernière répétition, j'ai regardé... La dernière répétition se... filait et à la fin, je me suis dit… j'ai regardé vraiment le spectateur pour la première et dernière fois parce qu'après je ne l’ai plus regardé. Je me suis dit, c’est vraiment un drôle de spectacle.
(Musique)
Roger Planchon
Le spectacle de Patrice dit quelque chose de très profond sur ce qu’est le meurtre idéologique. Mais il le dit d’une façon très oblique, très… c’est pas du tout un discours direct. Ça n’a même pas d’intérêt de faire un rapport entre ce spectacle et la lutte des catholiques et des protestants en Irlande et pourtant quelque chose de très profond est raconté, je crois, à un niveau presque inconscient sur ce que c’est qu’un meurtre idéologique et sur la façon dont en définitive à partir d'un certain moment un processus politique dégénère en fascination de la mort.
(Musique)