La Comédie-Française joue Péguy chez le Pape
Notice
Le 28 juillet 1988, la Comédie-Française est invitée à Castel Gandolfo, dans la résidence d'été pontificale, afin d'y présenter devant Jean-Paul II un spectacle monté à partir du Mystère de la Charité de Jeanne d'Arc de Charles Péguy. Quelques images de l'installation du Pape et des invités (on aperçoit notamment Antoine Vitez, administrateur du Français) sont montrées ainsi qu'une interview de la comédienne Françoise Seigner.
Éclairage
Il ne s'agit pas ici d'une pièce médiévale, mais qui renoue avec un genre de l'époque et qui surtout refonde le lien théâtre-religion, plus précisément théâtre-catholicisme, très fort au Moyen-âge.
Socialiste, dreyfusard revenu à la foi catholique de son enfance, Charles Péguy (1873-1914) écrit Le Mystère de la Charité de Jeanne d'Arc en 1909. Très attaché à la figure de la sainte, objet d'une pièce antérieure de 1897, cet orléanais a voulu célébrer ce mystère dans sa ville, dans un esprit proche d'une autre communion théâtrale à laquelle il avait participé. En effet, dans les dernières décennies du XIXe siècle, il y eut plusieurs tentatives (dès 1869) de faire revivre un lieu unique, le théâtre antique d'Orange, en tant que lieu de représentation. La plus belle d'entre elles fut en 1888, lorsque vint la Comédie-Française, avec Julia Bartet dans le rôle-titre d'Antigone de Sophocle et surtout le tragédien Mounet-Sully pour jouer Œdipe-Roi toujours de Sophocle. Ce fut un triomphe pour l'acteur et l'impulsion véritable qui assit le rendez-vous estival des Chorégies d'Orange. Péguy assista à la représentation d'Œdipe-Roi d'août 1894, toujours avec Mounet-Sully dans le rôle-titre. Il fut sensible à l'atmosphère quasi mystique dans laquelle fut donnée la représentation, et sensible au lien théâtre-religion, fondamental dans la Grèce antique, mais aussi au Moyen-âge.
En effet, après l'an Mille se multiplient les églises et le théâtre religieux fleurit. Le théâtre profane se développe dans un second temps, à la cour des nobles et dans les spectacles populaires des rues. Au XVe siècle voit s'épanouir le mystère ou mistère (du latin ministerium : service, fonction, cérémonie ; minister : serviteur, ministre, intermédiaire). « Le mystère montre et instruit. [...] [Il] représente un peu le grand spectacle du monde, du point de vue de la foi. » (Charles Mazouer). Il lui associe l'image théâtrale, l'incarnation scénique. Le mystère peut se fonder sur l'Ancien Testament ou raconter la vie d'un saint. Ce dernier, le mystère hagiographique, demeure lié à une dévotion communautaire plus locale. Généralement en plein air sur la place publique, sur une scène ronde ou rectangulaire se déroule la vie du saint, souvent en plusieurs scènes concomitantes. « Un seul ordre régit la mise en scène simultanée du mystère : se font face et encadrent l'espace scénique, toujours, le lieu du Paradis (à gauche des spectateurs dans le déploiement frontal) et celui de l'Enfer (à droite). » (Charles Mazouer).
Il ne s'agissait pas, pour Péguy dans son écriture, de reconstituer archéologiquement le mystère médiéval mais de renouer le lien qui fut si fort entre théâtre et religion ; tout comme la mise en scène de Jean-Paul Lucet et les comédiens de la Comédie-Française n'ont pas recréé un spectacle médiéval mais ont fait avant tout entendre la parole dramatique mystique de l'auteur.
Bibliographie
Charles Mazouer, Le Théâtre français du Moyen-âge, Paris, Sedes, 1998.