La Comédie-Française joue Péguy chez le Pape

31 juillet 1988
01m 54s
Réf. 00497

Notice

Résumé :

Le 28 juillet 1988, la Comédie-Française est invitée à Castel Gandolfo, dans la résidence d'été pontificale, afin d'y présenter devant Jean-Paul II un spectacle monté à partir du Mystère de la Charité de Jeanne d'Arc de Charles Péguy. Quelques images de l'installation du Pape et des invités (on aperçoit notamment Antoine Vitez, administrateur du Français) sont montrées ainsi qu'une interview de la comédienne Françoise Seigner.

Date de diffusion :
31 juillet 1988
Source :
FR3 (Collection: SOIR 3 )
Fiche CNT :

Éclairage

Il ne s'agit pas ici d'une pièce médiévale, mais qui renoue avec un genre de l'époque et qui surtout refonde le lien théâtre-religion, plus précisément théâtre-catholicisme, très fort au Moyen-âge.

Socialiste, dreyfusard revenu à la foi catholique de son enfance, Charles Péguy (1873-1914) écrit Le Mystère de la Charité de Jeanne d'Arc en 1909. Très attaché à la figure de la sainte, objet d'une pièce antérieure de 1897, cet orléanais a voulu célébrer ce mystère dans sa ville, dans un esprit proche d'une autre communion théâtrale à laquelle il avait participé. En effet, dans les dernières décennies du XIXe siècle, il y eut plusieurs tentatives (dès 1869) de faire revivre un lieu unique, le théâtre antique d'Orange, en tant que lieu de représentation. La plus belle d'entre elles fut en 1888, lorsque vint la Comédie-Française, avec Julia Bartet dans le rôle-titre d'Antigone de Sophocle et surtout le tragédien Mounet-Sully pour jouer Œdipe-Roi toujours de Sophocle. Ce fut un triomphe pour l'acteur et l'impulsion véritable qui assit le rendez-vous estival des Chorégies d'Orange. Péguy assista à la représentation d'Œdipe-Roi d'août 1894, toujours avec Mounet-Sully dans le rôle-titre. Il fut sensible à l'atmosphère quasi mystique dans laquelle fut donnée la représentation, et sensible au lien théâtre-religion, fondamental dans la Grèce antique, mais aussi au Moyen-âge.

En effet, après l'an Mille se multiplient les églises et le théâtre religieux fleurit. Le théâtre profane se développe dans un second temps, à la cour des nobles et dans les spectacles populaires des rues. Au XVe siècle voit s'épanouir le mystère ou mistère (du latin ministerium : service, fonction, cérémonie ; minister : serviteur, ministre, intermédiaire). « Le mystère montre et instruit. [...] [Il] représente un peu le grand spectacle du monde, du point de vue de la foi. » (Charles Mazouer). Il lui associe l'image théâtrale, l'incarnation scénique. Le mystère peut se fonder sur l'Ancien Testament ou raconter la vie d'un saint. Ce dernier, le mystère hagiographique, demeure lié à une dévotion communautaire plus locale. Généralement en plein air sur la place publique, sur une scène ronde ou rectangulaire se déroule la vie du saint, souvent en plusieurs scènes concomitantes. « Un seul ordre régit la mise en scène simultanée du mystère : se font face et encadrent l'espace scénique, toujours, le lieu du Paradis (à gauche des spectateurs dans le déploiement frontal) et celui de l'Enfer (à droite). » (Charles Mazouer).

Il ne s'agissait pas, pour Péguy dans son écriture, de reconstituer archéologiquement le mystère médiéval mais de renouer le lien qui fut si fort entre théâtre et religion ; tout comme la mise en scène de Jean-Paul Lucet et les comédiens de la Comédie-Française n'ont pas recréé un spectacle médiéval mais ont fait avant tout entendre la parole dramatique mystique de l'auteur.

Bibliographie

Charles Mazouer, Le Théâtre français du Moyen-âge, Paris, Sedes, 1998.

Anne-Laetitia Garcia

Transcription

Présentateur
La Comédie-Française chez le Pape à Castel Gondolfo, une grande première et un grand honneur aussi pour les comédiens du Français et leur nouvel administrateur, Antoine Vitez. Jean Paul II s’est montré un spectateur particulièrement attentif. La pièce jouée pour lui était tirée de l’œuvre de Charles Péguy, il s’agissait de Jeanne d’Arc et le mystère de la charité. Un reportage de FR3 Lyon.
Journaliste
Moment unique que celui de ce jeudi 28 juillet 88 où les lourdes portes de la résidence d’été des Papes à Castel Gondolfo sur les hauteurs de Rome se sont ouvertes pour la première fois à des gens de théâtre. Et ce, grâce à la ténacité d’une petite délégation de Lyonnais, séduits par la prose de Péguy sur Jeanne d’Arc et le mystère de la charité et désireux de l’offrir à Jean Paul II en remerciement de sa visite de 86. Moment de tension pour Jean Paul Lucet, le metteur en scène et les comédiennes du Français dont le nouvel administrateur Antoine Vitez, le non-catholique, faisait paradoxalement à cette occasion sa première sortie officielle. Moment magique pour les spectateurs privilégiés accueillis chez sa sainteté Jean Paul II.
Catherine Salviat
Jamais rien. 14 siècles ! 14 siècles de chrétienté ont passé depuis le rachat de nos âmes et rien ne coule sur la face de la terre qu'un sou d’ingratitude et de perdition.
Françoise Seigner
Et on se disait, un texte pareil, si on pouvait aller le dire chez le Pape et bien, ce soir, c’est réalité. Et puis, Saint Père le Pape, lui dire en face : « Tu es pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église ».
Journaliste
Ça a été plus difficile que d’habitude ?
Françoise Seigner
Non, c’est-à-dire que j’ai retenu mes larmes parce que ça venait trop vite !
Monseigneur Decourtray
Ce soir, j’ai le sentiment d’avoir non seulement assisté à une pièce de théâtre d’une qualité rare mais à une liturgie.
Journaliste
Une nuit latine que ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas - plus rares - n’oublieront pas.