Pina Bausch et Le laveur de vitre
Notice
L'édition 2000 du Festival d'Avignon a mis à l'honneur la chorégraphe Pina Bausch avec Le Laveur de Vitres inspiré par un séjour de travail à Honk Kong. Scènes de répétitions et quelques phrases d'interprètes dont la danseuse Nazareth Panadero.
Éclairage
Etre programmé à la Cour d'Honneur du Palais des Papes, à Avignon, n'est pas une mince affaire. La confrontation avec cet espace-monstre, parfois balayé par un mistral glacial, s'il vaut évidemment comme une reconnaissance de l'œuvre, ressemble aussi à une épreuve. Depuis la première apparition de Maurice Béjart en 1966, dix-neuf ans après la création du festival par Jean Vilar, la plupart des grands noms de la danse s'y sont confrontés. Roland Petit en 1972, Carolyn Carlson en 1975, Martha Graham en 1987, William Forsythe en 1991, Angelin Preljocaj en 1999... Dans cet espace « trop informe » selon Vilar lui-même, devant 2000 spectateurs, la chorégraphe allemande Pina Bausch (1940-2009) a été programmée à plusieurs reprises. En 1983, elle plantait sur les 600 mètres carrés du plateau le champ d'œillets de Nelken (1982) (voir la vidéo), puis les recouvrait de terre en 1995 pour son Sacre du Printemps (1975). En 2000, elle y installe la montagne de fleurs du Laveur de Vitres (1997). Les pétales rouge vif de bauhinias (la fleur de Hong Kong) se dressent à l'assaut de la formidable muraille de ce haut lieu d'Avignon. Un peu disproportionnée au départ, cette masse vivante de fleurs finit par hypnotiser le spectateur. S'il ne restait de la scénographie conçue par Peter Pabst que l'amoncellement de fleurs et le personnage du laveur (sans sa nacelle !) se glissant le long de la muraille comme une ombre, l'essentiel de cette pièce joyeusement dynamique était conservé. Avec ses vingt-six danseurs, Laveur de Vitres , créé après une résidence de travail à Hong Kong, maintenait un tel taux d'euphorie et de beauté qu'il sortait rayonnant et vainqueur de cette confrontation avec la Cour d'honneur.
Les grands motifs esthétiques de la chorégraphe allemande y explosent de vigueur : la scène-paysage belle comme un morceau de nature, les solos virtuoses taillés sur mesure pour chacun des interprètes, les tableaux collectifs qui font danser tout le monde main dans la main, les fameux sketchs théâtraux, dont certains plutôt drôles, autour des thèmes de prédilection de Pina Bausch. La vie, l'amour, le couple, la solitude... Et cet humour, ce rire en douce, qui font courir un délicieux frisson de bonheur sur l'ensemble de la pièce. Pendant qu'Andrey Berezin ôte un par un ses vêtements à chaque fois qu'il passe entre deux femmes comme sous le portique de sécurité d'un aéroport, la masse de fleurs sert de piste de jeu, de ski, de bagarre, nimbant la pièce d'une aura magique. La bande-son, conçue par Mathias Bukert et composée comme souvent de chansons et mélodies très « sono mondiale » fait aussi la part belle au jazz, à Cesaria Evora, aux percussions d'Inde et du Mexique...
Laveur de Vitres appartient à la veine joueuse et optimiste de Pina Bausch. Depuis le début des années 90, la chorégraphe a décidé de faire le pari du bonheur et du plaisir. Après des années de tensions sourdes, de violences sombres, elle choisit la légèreté. Suite à des invitations dans les capitales étrangères, elle va désormais chercher son inspiration en dehors de sa ville de Wuppertal (Allemagne). Pour mieux y revenir. Palerme est au cœur de Palermo Palermo (1989), Budapest est évoquée dans Wiesenland (2000) (voir la vidéo)... Puis ce sera le tour de Istanbul pour Nefes (2003), de Séoul pour Rough Cut (2005)... Chacune de ses créations résulte d'un séjour d'environ trois semaines dans la ville durant lequel Pina Bausch et ses danseurs collectent les matériaux chorégraphiques, thématiques, musicaux du spectacle. Ses résidences de travail lui donnent aussi l'occasion de rencontrer les artistes de chaque ville pour en capter l'originalité, le parfum. Qu'elle en restitue plus ou moins ensuite l'identité n'est pas une obligation tant Pina Bausch extrait de chacun de ses séjours la matière d'un autoportrait fantasmé. Lors de la création à Hong Kong, le public s'est enthousiasmé pour le spectacle. Y reconnaissait-il leur ville dans les courses fluides, l'énergie increvable ? Laveur de Vitres s'impose comme l'une des pièces les plus intenses de la chorégraphe allemande morte en juin 2009, à 68 ans. Il reste aussi l'un des moments forts de l'histoire de la danse dans la Cour d'honneur du Palais des Papes.