Sasha Waltz et Zwei Land
Notice
Dans le cadre du festival de Marseille, la chorégraphe allemande Sasha Waltz présente Zwei Land. Images des répétitions, de spectacles, nourries par un court entretien avec la chorégraphe et deux de ses danseurs de premier plan Luc Dunberry et Juan Cruz Diaz de Esnaola.
Éclairage
Sasha Waltz (née en 1963) s'est très vite imposée dans le paysage chorégraphique français et international. Son premier coup d'éclat, à l'affiche en 1999 de l'Arsenal de Metz, s'intitule Allee der Kosmonauten (1996). Entre le frigo et le canapé, cette BD loufoque, mi-chronique prolétaire, mi-sitcom chorégraphique, évoquant la vie d'une famille dans la banlieue berlinoise, impose la gestuelle secouée et le burlesque acide de la chorégraphe. Sur le même mode, tendance tragi-comique, Zweiland (1997), dont on voit quelques images très symptomatiques dans le reportage, coupe le plateau en deux pour évoquer les deux Allemagnes devant un bric à brac de portes arrachées et autres décombres urbains. Mais l'éclectisme des thèmes, la diversité des modes de traitement, l'ampleur de l'écriture chorégraphique de Sasha Waltz débordent largement ces deux spectacles.
Sasha Waltz a additionné les apprentissages. Elle commence la danse auprès d'une élève de la chorégraphe expressionniste Mary Wigman (1886-1973 ) avant de filer à Amsterdam, puis à New-York parfaire sa formation. Dès 1991, de retour en Allemagne, elle créée ses premières pièces. Grande improvisatrice, elle a forgé une danse unique en la confrontant à des contextes en tous genres : elle fut pendant quelques années l'une des partenaires de scène du chorégraphe Mark Tompkins dans le cadre de sa Plaque tournante (1990-1992 ), performance rassemblant des danseurs, des musiciens et des vidéastes, reconduite dans douze villes européennes.
L'écriture de Sasha Waltz possède des qualités paradoxales : solide et nerveuse, sculpturale et ciselée. Elle fait surgir des groupes de danseurs serrés dans des statuaires étranges mais sait aussi raconter les débordements psychiques d'un être. Elle aime raconter des histoires mais sert aussi des propos plus abstraits. Sa puissance d'évocation, très charnelle, vibrante, nourrie d'une recherche approfondie sur chacun des thèmes qu'elle aborde.
Fille d'architecte, Sasha Waltz, qui se dit très inspirée par les arts plastiques – elle rêvait adolescente de devenir plasticienne -, apprécie de se confronter à des lieux a priori non destinés à la danse. C'est ainsi qu'en 2000 elle a travaillé dans les murs hauts et aiguisés du Musée juif de Berlin conçu par Daniel Libeskind. Pour l'inauguration en 2009 du nouveau musée de Berlin, restauré par l'architecte britannique David Chipperfield, elle a investi les lieux encore vides avec soixante-dix danseurs, accompagnés live par le Vocalconsort Berlin et les musiciens de l'ensemble Kaléisdoscop. Une pièce intitulée Continu, pour vingt-quatre interprètes seulement, reconduira pour la boîte noire du théâtre cette expérience originale.
Avec sa compagnie, créée en 1993 et baptisée Sasha Waltz & Guests, elle s'installe d'abord dans la Sophiensaele, à Berlin. Nommée co-directrice de la Schaubühne avec le metteur en scène Thomas Ostermeier en 2000, elle reste à la tête de cette institution allemande jusqu'en 2004. C'est dans l'immense salle de ce haut lieu théâtral berlinois qu'elle imaginera le premier volet de sa trilogie sur le corps intitulé Körper ( 2000). « Le défi, confiait-elle à propos de la Schaubühne, était évidemment de réagir artistiquement à l'envergure du lieu et ne pas décalquer ce que je faisais auparavant. Je l'ai fait en tenant compte des contraintes très lourdes que cela imposait. Quel intérêt d'avoir à sa disposition un espace immense pour faire comme si on avait toujours une petite scène ? » [1].
Fresque magnétique, Körper met le corps au centre d'expériences extrêmes (trafic d'organes, clonage, charnier...). Y donneront suite S. (2001), profond comme une caresse, puis noBody (2002), sur le thème de l'immatérialité (voir la vidéo). Cette troisième partie sera programmée dans la Cour d'honneur du Palais des papes pour le festival d'Avignon 2002. Redevenue artiste indépendante depuis 2004, Sasha Waltz a investi, toujours soutenue par Jochen Sandig, son mari et dramaturge, un nouveau lieu superbe, le Radialsystem V, Space for arts ans ideas, ancienne friche industrielle convertie en lieu de productions et de spectacles, à Berlin.
[1] Le Monde, 03/07/2004.