Merce Cunningham à Paris

L'un des principes majeurs de Merce Cunningham est la séparation de la danse et de la musique, ce vieux couple qui roule si bien ensemble depuis toujours. Avec son complice, le compositeur John Cage (1912 -1992), qui partagera près de cinquante ans de création, des années 40 à sa mort en 1992, Cunningham decide, dès les années 50, de l'indépendance du mouvement et du son. Sa méthode, qui a marqué plus d'un esprit, réside dans l'élaboration parallèle de la danse et de la musique qui se rencontrent pour la première fois lors de la "première". Le point commun, choisi par le chorégraphe et le compositeur : la durée de la pièce. Chacun de leur côté, ils élaborent ensuite leur partition. Cunningham écrit et répète sa danse en silence. Ce qui explique d'ailleurs quelle que soit la pièce, la sensation de voir, de sentir, dès qu'un danseur apparaît sur le plateau, un rythme très spécifique, une "musique" intime du corps "cunninghamien" en action. Lorsque la chorégraphie et la musique se croisent sur scène, chacun fait donc son travail de son côté. Au risque de faire sentir cette indépendance franche entre les deux mondes. Au risque aussi que s'épanouissent tout d'un coup des surprises spectaculaires, étranges connections des pas et des sons, qui semblent parfois être nés ensemble. Ce principe d'indépendance, étendu à la conception du décor, sera celui de Cunningham pendant toute sa carrière. Il lui permettra d'affirmer avec force l'autonomie de l'art chorégraphique et de construire l'une des œuvres les plus innovantes de la scène contemporaine.

La rencontre de Merce Cunningham et John Cage eut lieu à la Cornish Schol for The Arts de Seattle où Cage accompagnait les cours de danse au piano. Leur premier concert a lieu en 1942. Deux ans plus tard, Cunningham fait ses débuts officiels de chorégraphe avec un programme de solos accompagnés par Cage. Il fondera sa compagnie la Merce Cunningham Dance Company, basée à New-York, en 1953 avec John Cage comme directeur musical et le plasticien Robert Rauschenberg comme directeur artistique. Son parcours, du début des années 40 jusqu'en 2009, est marqué par quatre grandes étapes.

D'abord, la séparation de la danse et de la musique, étendue à celle du décor. Dans les années 50, la découverte avec Cage du hasard et des procédés aléatoires qui va estampiller toutes ses productions. Avec des dés ou avec le Yijing, livre chinois de divination, il tirera au sort le nombre de danseurs d'une pièce, ses parties,... pour mieux repousser ses limites personnelles. Puis ce sont les années-vidéo, entre 1970 et 1980, avec des collaborateurs comme le réalisateur Charles Atlas. Enfin, les nouvelles technologies excitent l'imagination de cet homme toujours aux aguets pour reconfigurer sa pensée et son mouvement. Avec quelque cent cinquante pièces créées tout au long de soixante-dix ans de recherche, Cunningham reste encore et toujours le phénomène de la danse. A sa mort, il épate encore son monde avec son testament. Son Legacy Plan est un plan de bataille pour la survie de son travail et la poursuite de leur carrière des danseurs. Tout y est prévu pendant trois ans jusqu'à la fin précise de la troupe, lors d'une grande soirée de réveillon, le 31 décembre 2011.