Alwin Nikolais pédagogue
Notice
Alwin Nikolais ouvre la porte de son cours qu'il accompagne lui-même au tambour. Ses "élèves" et interprètes, Carolyn Carlson et Susan Buirge donnent leur point de vue sur son travail. Alwin Nikolais se souvient du geste d'une actrice américaine.
Éclairage
Rien que le petit insert d'Alwin Nikolais (1910-1993) dans ce documentaire en dit long sur l'esprit et l'humanisme de cet artiste. Il évoque le geste d'une actrice américaine dans La Ménagerie de verre de Tenessee Williams. "Un seul geste de 7 à 8 secondes et dans ce geste il y avait toute l'histoire du sud des Etats-Unis".
Alwin Nikolais (1910-1993), moins reconnu peut-être que Merce Cunningham (1909-2009), n'en demeure pas moins l'une des figures les plus marquantes et inspirantes de la danse. Chorégraphe et pédagogue de premier plan – ce qui est très rare -, il dirigea le Centre chorégraphique national de la danse d'Angers, de 1978 à 1981, y injectant des parcelles d'invention dans les esprits de chorégraphes aujourd'hui reconnus comme Philippe Decouflé, Dominique Boivin ou Maria Donata d'Urso. "Nik l'enchanteur" a transmis les secrets d'un geste chorégraphique toujours en prise directe avec le plateau, les objets, les costumes, les lumières, tous les paramètres vécus et expérimentés sans cesse pour en extraire des miracles jamais vus.
Cet inventeur-artisan d'un théâtre total, qui fabriquait tout lui-même – danse, musique, costumes, diapositives, décors, accessoires... -, a su combiner abstraction et féerie dans un même élan. Au CNDC, à Angers, il livre à l'intelligence de chacun de ses élèves ses quatre grands principes de création "the big four". Soit : space, time, shape, motion. Autrement dit : espace, temps, forme et énergie. Mais encore, selon les traductions "espace, temps, plasticité, fluidité intérieure". Sa notion d'un centre fluide circulant dans le corps permet aussi d'élargir la compréhension du mouvement dans l'espace. Ses outils de travail solides confiés à l'originalité de chacun des danseurs fait l'atout majeur de la pédagogie de celui qui accompagnait lui-même ses cours au tambour.
Avant sa venue au CNDC, à Angers, Alwin Nikolais avait fait parler de lui grâce à deux de ses interprètes et complices : les danseuses et chorégraphes Carolyn Carlson et Susan Buirge, installées toutes les deux à Paris au début des années 70, ont transmis chacune à leur façon, la grande leçon de Nikolais. Carlson anime encore et toujours des ateliers autour de sa méthode à la Cartoucherie de Vincennes où elle a ouvert un lieu dédié aux master-classes. "Ses concepts font exister le corps dans l'espace avec une acuité incroyable et ouvrent chacun à son propre imaginaire"[1].
Champion des effets spéciaux avant l'heure, Nikolais a étudié le piano très jeune et travaillé comme accompagnateur de films muets. En 1933, il assiste à un récital de la grande danseuse allemande Mary Wigman et décide de prendre des cours. En 1939, sa pièce Eight Column Live prend position contre l'idéologie nazie. Pendant la guerre, il participe au débarquement et sera marqué à vie par cette période douloureuse (il travaillait dans un service chargé des "dérapages" des GI en Allemagne). De retour à New-York, il prend la direction du Henry Street Playhouse : ce lieu combine une école et un lieu de spectacles. Dès les années 50, son style et son écriture, mixant danse, lumières, musiques électroniques, films, s'imposent. Sous ses doigts, le plateau se transforme en nasse d'images kaléidoscopiques que le danseur active lorsqu'il ne devient pas l'écran vivant de projections. Tensile Involment (1955) tire sur un magnifique jeu d'élastiques orchestré par dix danseurs ; Totem (1960), pour quinze interprètes habillés en collants rayés, fait surgir des formes sculpturales massives et mystérieuses convoquant les esprits auxquels le titre fait allusion ; Imago (1963) coiffe les dix danseurs de cônes, allonge leurs bras avec des tubes, pour la plus étonnante des balades dans une cité imaginaire.
Les héritiers indirects de Nikolais ont pour noms aujourd'hui Philippe Decouflé, Dominique Boivin, Dominique Rebaud, Marcia Barcellos, Maria Donata d'Urso... Chacun d'entre eux a su métaboliser ses acquis, convoquant sur le plateau la magie inventive de Nikolais, roi des objets à transformation, des costumes extravagants, créateur d'un théâtre d'ombres, d'images et de couleurs unique en son genre. Depuis 2002, c'est la Ririe-Woodbury Dance Company, avec l'appui de Murray Louis (né en 1926), danseur et partenaire de Nikolais depuis 1949, qui conserve et présente ses pièces mythiques.
[1] Le Monde, 26/02/2004