Le Grand Macabre à l'Opéra de Paris
Notice
À l'occasion de la première à l'Opéra de Paris du Grand Macabre de György Ligeti en 1981, courts extraits de l'opéra et interviews de l'auteur qui s'explique sur le type d'opéra qu'il a voulu créer, et du metteur en scène Daniel Mesguish.
- Europe > Autriche
- Europe > France > Ile-de-France > Paris > Opéra Garnier
Éclairage
Le grand Macabre est à sa création, en 1978, à l'Opéra Royal de Stockholm, un évènement mondial : György Ligeti (1923-2006) est déjà l'auteur d'un opéra double, composé en 1962 et 1965, Aventures et Nouvelles Aventures, plus proche du théâtre musical que de la forme traditionnelle de l'opéra, en question durant toute la seconde moitié du XXe siècle. Et l'on attend en 1978 d'un des compositeurs les plus influents de l'époque un renouveau du genre lyrique. Avec un retour aux formes traditionnelles de l'opéra, sinon à ses lois, avec des personnages, une intrigue, un dénouement, il y a évidence. Mais le tout est si encombré de parodie, de désordre, qu'à la scène, l'œuvre paraît facilement hermétique. « Le grand Macabre a-il un sens ? » est la question la plus posée alors. Est-ce une analyse spectrale de notre temps ? Une pochade savoureuse, comme la pièce La Balade du Grand Macabre dont il s'inspire, écrite en 1934 par le plus grand auteur dramatique belge du XXe siècle, Michel de Ghelderode, et dont le texte a été amplifié encore dans son impertinence verbale par le compositeur et son librettiste, Michael Meschke ? Ligeti se refusera toujours à clarifier le débat, laissant à ses interprètes comme à ses spectateurs les choix du rire, de l'angoisse, de la vie, de la mort. Mais en insistant sur le fait que son Grand Macabre doit absolument garder son ambiguïté, comme son personnage central, Nekrotzar, dont on ignore jusqu'au bout s'il est l'ange de la mort, ou un charlatan, si fatigué d'avoir bu et forniqué qu'à la fin, il se réduit à rien, et disparaît, sans que la fin du monde annoncée, et surtout crainte de tous - le vrai sujet de l'opéra, en fait - ait lieu. S'il joue ainsi sur le thème du Jugement dernier, avec une truculence de danse macabre toute flamande, Ligeti se garde bien d'en faire une morale. « Mon opéra est une sorte de farce noire, une pièce dérisoire, humoristique, mais totalement tragique en même temps, très proche du monde de Bosch et de Roland Topor » (qui réalisera d'ailleurs les décors de la création italienne en 1979).
Truculente aussi est la partition, qui entre clins d'œil aux réussites du moment (Maurizio Kagel) et auto-citations, est aussi truffée de collages musicaux, où Ligeti cite Monteverdi, Mozart, Beethoven, Verdi... mais en jouant avec eux. Ne dit-il pas : « Vous prenez un morceau de foie gras, vous le laissez tomber sur un tapis et vous le piétinez jusqu'à ce qu'il disparaisse, voilà comment j'utilise l'histoire de la musique et, surtout, celle de l'opéra.»
La production de l'Opéra de Paris, en 1981, sous l'administration de Bernard Lefort, est donnée en langue française, selon la volonté du compositeur qu'à chaque fois ce soit la langue locale qui soit utilisée. Elle est dirigée par Elgar Howarth, qui avait dirigé la création mondiale, et mise en scène par le comédien et metteur en scène de théâtre Daniel Mesguisch, qui fait là ses premiers pas de metteur en scène lyrique, avant de s'attaquer à L'Amour des trois oranges de Prokofiev à l'Opéra-Comique, puis au Ring wagnérien, à Nice et au Théâtre des Champs-Elysées...
L'œuvre fait rapidement le tour du monde lyrique, de Hambourg à Bologne, de Londres à Vienne... Ligeti en réorchestre une nouvelle version « définitive » en 1997, en anglais, pour les représentations du Festival de Salzbourg, reprises au Châtelet en 1998, où la mise en scène de Peter Sellars, trop moraliste à son goût, le scandalise.
Le côté impertinent du texte - qui ne choque plus personne en fait au XXIe siècle - s'est aujourd'hui effacé devant l'inventivité musicale de son auteur, toujours actuelle.