Le Grand Macabre à l'Opéra de Paris

24 mars 1981
03m 25s
Réf. 01073

Notice

Résumé :

À l'occasion de la première à l'Opéra de Paris du Grand Macabre de György Ligeti en 1981, courts extraits de l'opéra et interviews de l'auteur qui s'explique sur le type d'opéra qu'il a voulu créer, et du metteur en scène Daniel Mesguish.

Date de diffusion :
24 mars 1981
Source :
A2 (Collection: JA2 20H )

Éclairage

Le grand Macabre est à sa création, en 1978, à l'Opéra Royal de Stockholm, un évènement mondial : György Ligeti (1923-2006) est déjà l'auteur d'un opéra double, composé en 1962 et 1965, Aventures et Nouvelles Aventures, plus proche du théâtre musical que de la forme traditionnelle de l'opéra, en question durant toute la seconde moitié du XXe siècle. Et l'on attend en 1978 d'un des compositeurs les plus influents de l'époque un renouveau du genre lyrique. Avec un retour aux formes traditionnelles de l'opéra, sinon à ses lois, avec des personnages, une intrigue, un dénouement, il y a évidence. Mais le tout est si encombré de parodie, de désordre, qu'à la scène, l'œuvre paraît facilement hermétique. « Le grand Macabre a-il un sens ? » est la question la plus posée alors. Est-ce une analyse spectrale de notre temps ? Une pochade savoureuse, comme la pièce La Balade du Grand Macabre dont il s'inspire, écrite en 1934 par le plus grand auteur dramatique belge du XXe siècle, Michel de Ghelderode, et dont le texte a été amplifié encore dans son impertinence verbale par le compositeur et son librettiste, Michael Meschke ? Ligeti se refusera toujours à clarifier le débat, laissant à ses interprètes comme à ses spectateurs les choix du rire, de l'angoisse, de la vie, de la mort. Mais en insistant sur le fait que son Grand Macabre doit absolument garder son ambiguïté, comme son personnage central, Nekrotzar, dont on ignore jusqu'au bout s'il est l'ange de la mort, ou un charlatan, si fatigué d'avoir bu et forniqué qu'à la fin, il se réduit à rien, et disparaît, sans que la fin du monde annoncée, et surtout crainte de tous - le vrai sujet de l'opéra, en fait - ait lieu. S'il joue ainsi sur le thème du Jugement dernier, avec une truculence de danse macabre toute flamande, Ligeti se garde bien d'en faire une morale. « Mon opéra est une sorte de farce noire, une pièce dérisoire, humoristique, mais totalement tragique en même temps, très proche du monde de Bosch et de Roland Topor » (qui réalisera d'ailleurs les décors de la création italienne en 1979).

Truculente aussi est la partition, qui entre clins d'œil aux réussites du moment (Maurizio Kagel) et auto-citations, est aussi truffée de collages musicaux, où Ligeti cite Monteverdi, Mozart, Beethoven, Verdi... mais en jouant avec eux. Ne dit-il pas : « Vous prenez un morceau de foie gras, vous le laissez tomber sur un tapis et vous le piétinez jusqu'à ce qu'il disparaisse, voilà comment j'utilise l'histoire de la musique et, surtout, celle de l'opéra.»

La production de l'Opéra de Paris, en 1981, sous l'administration de Bernard Lefort, est donnée en langue française, selon la volonté du compositeur qu'à chaque fois ce soit la langue locale qui soit utilisée. Elle est dirigée par Elgar Howarth, qui avait dirigé la création mondiale, et mise en scène par le comédien et metteur en scène de théâtre Daniel Mesguisch, qui fait là ses premiers pas de metteur en scène lyrique, avant de s'attaquer à L'Amour des trois oranges de Prokofiev à l'Opéra-Comique, puis au Ring wagnérien, à Nice et au Théâtre des Champs-Elysées...

L'œuvre fait rapidement le tour du monde lyrique, de Hambourg à Bologne, de Londres à Vienne... Ligeti en réorchestre une nouvelle version « définitive » en 1997, en anglais, pour les représentations du Festival de Salzbourg, reprises au Châtelet en 1998, où la mise en scène de Peter Sellars, trop moraliste à son goût, le scandalise.

Le côté impertinent du texte - qui ne choque plus personne en fait au XXIe siècle - s'est aujourd'hui effacé devant l'inventivité musicale de son auteur, toujours actuelle.

Pierre Flinois

Transcription

(Silence)
(Bruit)
(Musique)
Journaliste
Nous ne sommes ni au Café Théâtre ni aux Folies Bergères, pas plus au cinéma avec les Marx Brothers, mais sur la scène de l’Opéra de Paris. Le Grand Macabre , qui a suscité tant de polémiques par la nouveauté de la musique et l’extravagance de la mise en scène, est en fait une réflexion sur la mort où la dérision a sa place en permanence. Les spectateurs du monde entier ont déjà applaudi cette œuvre, Paris se devait de la recevoir.
(Bruit)
Intervenant 1
C’est normal qu’un opéra ouvre ses portes aux compositeurs contemporains. Et quand on invite un compositeur contemporain, on sait que son langage sera un langage de notre époque. Mais ce n’est pas pour ça qu’un compositeur contemporain a du génie. Mais quand il sait faire une œuvre cohérente, convaincante, aussi intense et expressive que celle-là, et bien tous les publics doivent marcher, et ils marchent.
(Musique)
Journaliste
Il faut toutefois préciser que cet opéra n’est pas une suite d’injures et de cris, mais bien un divertissement où Giörgy Ligeti a modelé la fable de Michel de Ghelderode, un peu à la manière du vieux roi. Le sujet est pourtant ardu et ambitieux. C’est une réflexion métaphysique sur le triomphe de la mort. Par une succession de scènes bizarres qui sont autant de pied de nez à celle-ci, Ligeti exprime son angoisse et l’impossibilité de balayer la mort de l’univers.
(Musique)
György Ligeti
Sans revenir à l’opéra traditionnel, je voulais faire de l’opéra mais un opéra d’une façon… Je cherche toujours à faire quelque chose de nouveau, pas pour chercher le nouveau, mais pour ne pas m’imiter et pour faire quelque chose de personnel et originel, c’est tout.
(Musique)
György Ligeti
Il y a des pièces de Karg, de beaucoup d’autres. Maintenant, sans revenir à l’opéra traditionnel, je voulais faire de l’opéra.
(Musique)
Journaliste
C’est à Daniel Mesguich, comédien metteur en scène de théâtre de 29 ans, dont c’est la première mise en scène à l’Opéra, quel l’on a confié cette œuvre. C’est lui qui a fait souffler cette espèce de vent de folie où les personnages de l’opéra classique, tels Manon de Massenet ou Madame Butterfly sont bâillonnés et tournés en ridicule.
(Musique)
Daniel Mesguich
Et l’impression de mettre en scène la musique de Ligeti, les structures musicales, si tant est que je puisse les connaître. Mais après tout, j’essaie d’écouter tout simplement, même si je ne sais pas…
Journaliste
Mais enfin, il y a plein de clins d’œil, les Marx Brothers…
Daniel Mesguich
Oui, ce sont, il y a plein de clins d’œil dans la musique aussi. Moi, si vous voulez, j’ai mis à mon répertoire mental, imaginaire, qui est composé je l’espère de très grands hommes, comme Shakespeare, comme Marivaux, comme Racine, et bien j’ai mis à mon répertoire Ligeti.
(Musique)
(Bruit)
György Ligeti
Si les gens n’aiment pas ma pièce, je fais comme ça.