Parcours thématique

Le Cirque et les institutions

Martine Maleval

Introduction

L'arrivée du cirque ambulant « chante au vent de l'imaginaire et répand sur la ville souvent terne et endormie des flots de couleurs joyeuses et d'images extravagantes qui font rêver » [1].

[1] Pierre Paret, Le Cirque en France, Erreurs passées - perspectives d'avenir, Sorvilier, Editions de la Gardine, 1993, p. 8-9.

La crise des années 70

Cependant, dans les années 1970, le cirque traverse une profonde crise et son avenir est menacé. Des enseignes disparaissent, le cirque Amar, le Cirque Rancy, même les cirques que Jean Richard avait tenté de sauver sont mis en liquidation en 1983. Pour Pierre Paret, la situation est « grave », « alarmante même, mais en aucune façon désespérée » [1]. Cette crise est économique, culturelle et esthétique. Les difficultés rencontrées par le cirque sont liées à des mutations profondes de la société. La situation économique dans laquelle jouent avec violence la concurrence et les successifs chocs pétroliers est déterminante. Le mode de vie autarcique lié à l'itinérance agrandit le fossé établi entre le microcosme des circassiens et la vie extérieure en pleine effervescence. Les obstacles grandissants dans la transmission des connaissances créent des conflits entre les générations. L'apparition de nouvelles formes d'exhibition (notamment la médiatisation et la mise en scène des événements sportifs) fait perdre une prérogative propre aux spectacles de cirque. Plus encore, l'incapacité à faire évoluer une forme spectaculaire figée autour du modèle triomphant des années fastes entraîne une réelle désaffection du public pour des spectacles jugés vieillots et dérisoires.

[1] Pierre Paret, Le Cirque en France, Erreurs passées - perspectives d'avenir, Sorvilier, Editions de la Gardine, 1993, p. 6.

Sauver le cirque

Face à cette situation la profession (qui est constituée d'entreprises privées) ne s'organise pas réellement, mais des personnalités initiées vont alerter les représentants de l'Etat ou engager des actions propres à redonner des couleurs au cirque. Il faut agir sur la forme identifiable et sur la qualité des numéros et des spectacles.

Festivals et concours

Ainsi, sont initiés le Festival de cirque de Monte-Carlo (par S.A.S. Rainier III de Monaco, 1974), le Festival Mondial du Cirque de Demain et la création des Bourses Louis Merlin qui lui sont attachées (par Isabelle et Dominique Mauclair, 1977).

Le Festival International du Cirque de Monte-Carlo

Le Festival International du Cirque de Monte-Carlo
[Format court]

Ouverture du 2ème Festival International du Cirque de Monte-Carlo, dont la création a pour objectif de redonner à un cirque en crise ses lettres de noblesse. Sous le chapiteau, la cavalerie du Cirque Jean-Richard sous la direction d'Alexis Gruss, le cavalier Lucien Gruss, des numéros internationaux dont les fauves de Gerd Siemoneit-Barum.

27 déc 1975
01m 32s
Le Festival Mondial du Cirque de Demain : les bourses Louis Merlin

Le Festival Mondial du Cirque de Demain : les bourses Louis Merlin
[Format court]

Jacques Fabbri, tout en rendant un hommage à Louis Merlin, annonce le premier concours des Bourses Louis Merlin. Dans la piste du Cirque d'Hiver de la famille Bouglione, interview de Sylvie Mugica du Cirque Morallès et extrait de son numéro de trapèze.

18 sep 1977
02m 03s

Avec la volonté de présenter des spectacles de qualité, ils doivent pouvoir renouveler le genre et reconquérir un public, qui comme le précise P. Paret, « vient se délasser, se détendre, ou savourer la beauté du geste, l'élégance du mouvement, la force, l'adresse ou l'agilité de l'artiste » [1].

[1] Pierre Paret, Le Cirque en France, Erreurs passées - perspectives d'avenir, Sorvilier, Editions de la Gardine, 1993, p. 46.

Ouverture d'écoles

Pour pallier aux difficultés de la transmission des savoir-faire en interne, mais également pour répondre à la demande de jeunes extérieurs au monde du cirque mais séduits par des techniques qui explorent les limites du corps tout en les repoussant, deux écoles ouvrent en 1974 ; l'Ecole Nationale du Cirque fondée et dirigée par Annie Fratellini et de Pierre Etaix (qui devient, en 2003, l'Académie Fratellini) et le Centre de Formation aux Arts et Techniques du Cirque et du Mime, communément nommée L'Ecole au Carré à l'initiative de Sylvia Monfort et dirigée par Alexis Gruss (qui ferme ses portes en 1986).

Ecole nationale du cirque, Annie Fratellini

Ecole nationale du cirque, Annie Fratellini
[Format court]

Entretien de Valérie et Annie Fratellini, à l'occasion de l'installation du chapiteau de l'Ecole nationale du cirque à la Foire de Rouen. Sur la piste, les élèves font la démonstration devant public de séances d'apprentissage de différentes techniques de cirque.

02 mai 1979
02m 18s
L'Académie Fratellini

L'Académie Fratellini
[Format court]

Reportage sur la première levée des mats de l'Académie nationale contemporaine des arts du cirque, le 4 avril 2001, à La Plaine Saint-Denis (93). Des bottes de paille marquent les fondations des bâtiments et des chapiteaux, des élèves font quelques démonstrations et Laurent Gachet donne quelques pistes de son projet.

04 juil 2001
02m
Le Conservatoire National des Arts du Cirque et du Mime  

Le Conservatoire National des Arts du Cirque et du Mime  
[Format court]

Sur des extraits du spectacle du Cirque à l'ancienne, entretiens d'Alexis Gruss et de Sylvia Monfort qui s'expriment sur l'importance du cirque et de l'école dans le cadre de la reconnaissance du cirque par le Ministère de la Culture et de la Communication. Exposition du Musée en Herbe consacrée au cirque.

26 mar 1979
05m 17s

L'Etat s'investit

En 1979, l'Etat prend enfin en considération ce secteur jusqu'à présent considéré comme relevant davantage de la sphère commerciale. Jean-Philippe Lecat, Ministre de la Culture et de la Communication sous la Présidence de Valéry Giscard d'Estaing, reconnaît « que le cirque n'était pas jusqu'à présent reconnu comme une activité culturelle » [1]. La nécessité de mener des actions interministérielles pilotées par son ministère s'affirme. La volonté d'agir « en faveur du cirque » afin d'améliorer « les conditions économiques de la profession », de faciliter « la vie quotidienne des professionnels » et de développer l'information en direction du public conduit à la création d'associations qui, par les aides qu'elles attribuent, facilitent notamment l'acquisition de chapiteaux et leur entretien et par ailleurs posent les bases d'une première réflexion sur la question de la transmission.

Reconnaissance du cirque par le Ministère de la Culture

Reconnaissance du cirque par le Ministère de la Culture
[Format court]

En 1979, à la demande du Président de la République Valéry Giscard d'Estaing, Jean-Philippe Lecat, Ministre de la Culture, crée un ensemble de mesures (présentées en voix off) afin de soutenir le secteur du cirque qui traverse une crise économique, culturelle et esthétique. Jean-Philippe Lecat s'exprime sur la mesure concernant la création d'une émission télévisée.

14 jan 1979
02m 06s

Pour tenter de répondre aux difficultés que les cirques rencontrent pour l'implantation des chapiteaux, bien souvent relégués hors des centres villes, des contacts sont pris avec l'Association des Maires de France (il faut attendre 2001, Année des Arts du cirque, pour que soit signée « la charte d'accueil des cirques dans les communes, droit de cité pour le cirque »).

2001 : Année des arts du cirque

2001 : Année des arts du cirque
[Format court]

La tempête de 1999 a balayé nombre de chapiteaux. Pour certains, cet événement, épiphénomène pour un genre à la situation économique fragile, a joué un rôle dans la décision de l'Etat d'organiser l'Année des arts du cirque. Le reportage fait le bilan, entre autres avec Anny Goyer, directrice de l'Ecole Nationale des Arts du Cirque de Rosny, qui a été victime de l'ouragan Lothar.

07 juin 2001
01m 48s

[1] « Entretien avec Jean-Philippe Lecat », in : « Cirque », Culture et communication, Op. cit. , p. 17-18.

Le renouveau des années 80

Avec l'élection de François Mitterrand en 1981 et la nomination de Jack Lang au Ministère de la Culture, il devient urgent de satisfaire à la demande de jeunes artistes qui pendant la décennie précédente ont expérimenté de nouvelles formes spectaculaires dans le sillage du bouillonnement intellectuel et culturel des années 1960. Ils confrontent, dans la rue ou sous petits chapiteaux, des pratiques circassiennes et des pratiques artistiques relevant communément de formes jugées mineures ou se référant aux pratiques populaires, la commedia dell'arte, le théâtre de foire, le mime, la fanfare... assumant pêle-mêle la remise en cause du texte et de la sacro-sainte autorité du metteur en scène, prônant le « bricolage », l'improvisation, la création collective...

L'Etat soutient la création

Les missions des associations précédentes évoluent donc vers la prise en compte de la question de la création et sont refondées dans l'Association Pour le Soutien, la Promotion et l'Enseignement du Cirque (ASPEC) qui est destinée, dans un premier temps, aux directeurs d'enseignes de cirque (entreprises privées), ensuite aux directeurs de compagnies (structurée en association, loi 1905) en devenant l'Association Nationale Des Arts du Cirque (ANDAC) en 1988. Celle-ci, distribue directement les aides : à la création (qui concerne surtout les nouveaux), à l'innovation (qui concerne surtout les classiques), à la musique vivante, au fonctionnement (qui concerne l'ensemble des adhérents). Victime d'une véritable escroquerie l'ANDAC est mise en sommeil en 1994 et dissoute en 1999. La conséquence directe de cette affaire est que les subventions, en provenance de l'Etat, sont dès lors directement versées par la Direction des Théâtres et des Spectacles [1] en fonction des spécificités respectives, traditionnel et nouveau cirques. Horslesmurs, association créée en 1994, initialement pour reprendre certaines missions de Lieux Publics (documentations, publications et organisations de rencontres professionnelles) en direction des arts de la rue, étend ses activités aux arts de la piste. Il a également et très rapidement initié une forte structuration de la formation en développant un système pyramidal à la tête duquel se trouve le CNAC.

Inauguration du Centre National Supérieur de Formation aux Arts du Cirque

Inauguration du Centre National Supérieur de Formation aux Arts du Cirque
[Format court]

L'inauguration du Centre National Supérieur de Formation aux Arts du Cirque (devenu CNAC) de Châlons-sur-Marne (Châlons-en-Champagne). Les élèves présentent leur travail sous forme d'une succession de performances. Entretien de Jack Lang.

13 jan 1986
02m 55s

Ouverte en 1985, inaugurée en 1986, par Jack Lang, cette Ecole Supérieure des Arts du Cirque, implantée à Châlons-en-Champagne (51), qui forme des artistes interprètes pluridisciplinaires a acquis une notoriété certaine à la sortie du Cri du caméléon mis en scène par Joseph Nadj, en 1995.

<i>Le Cri du caméléon</i>, un spectacle emblématique

Le Cri du caméléon, un spectacle emblématique
[Format court]

Le Cri du caméléon, présenté sous l'espace chapiteaux du Parc de la Villette. Des extraits de la répétition du spectacle alternent avec des entretiens de Bernard Turin, Directeur du Centre National des Arts du Cirque (CNAC), de Joseph Nadj, chorégraphe et metteur en piste et d'élèves de la 7ème promotion.

13 jan 1996
02m 05s

Bernard Turin, qui en a été le directeur de 1990 à 2002, déclare « Je pense que tous les artistes du spectacle vivant devraient être confrontés à cette pluridisciplinarité » [2]. D'autres écoles forment également des artistes professionnelles, tel Le Lido.

Le Lido à Toulouse

Le Lido à Toulouse
[Format court]

Un reportage sur les journées portes ouvertes de l'association du Lido, créée en 1983, (préfiguration de l'école municipale ouverte en 1988, avec à sa direction Henri Guichard), qui montre des enfants et des adultes s'initiant en amateur aux techniques de cirque. Le commentaire aborde la question de l'ouverture du cirque tant à de nouveaux praticiens qu'aux autres formes spectaculaires.

16 oct 1986
02m 44s

Dès 1988, le Circa, à Auch, joue un rôle déterminant dans le développement de la formation en créant le « Concours International du Rayonnement du Cirque d'Avenir » et en devenant un lieu de rencontre des écoles de cirque.

Le CIRCA, concours des écoles de cirque à Auch

Le CIRCA, concours des écoles de cirque à Auch
[Format court]

Les écoles de cirque de loisir et professionnelles répondent à un désir de cirque, jusque-là réservé aux enfants de la balle. Durant, les années 1980, leur nombre grandissant amène les professionnels à se regrouper (FNEC). Le Festival d'Auch les réunit, chaque automne, en faisant une place à l'international. Interviews de Bernard Turin (CNAC) et Jan Rock Achard (directeur de l'école de Montréal).

31 oct 1990
02m 26s

[1] Le 13 janvier 2010, dans le cadre du plan de modernisation mis en place par Frédéric Mitterrand, Ministre de la Culture et de la Communication, la Direction de la Musique, de la Danse, du Théâtre et des Spectacles a disparu, au même titre que la Délégation aux arts plastiques (DAP), toutes deux regroupées au sein de la Direction générale de la création artistique.

[2] Bernard Turin, entretien reproduit dans Martine Maleval, L'émergence du nouveau cirque, 1968-1998, Paris, L'Harmattan, 2010, p. 112.

Des lieux pour les Arts du Cirque

Quant à la distribution des œuvres, plusieurs lieux, scènes ou festivals se spécialisent autour du cirque, uniquement ou en association avec les arts de la rue. Le Parc de la Villette accueille des chapiteaux depuis 1983, mais en 1996, Bernard Letarjet en est nommé Président et Marie Moreau-Descoings [1], Chef de projet en charge des arts du cirque et de la rue. La création de l'« Espace chapiteaux » renforce et pérennise cet engagement qui au-delà de la mise à disposition d'un lieu propose une aide à la création.

2001 : Année des arts du cirque

2001 : Année des arts du cirque
[Format court]

La tempête de 1999 a balayé nombre de chapiteaux. Pour certains, cet événement, épiphénomène pour un genre à la situation économique fragile, a joué un rôle dans la décision de l'Etat d'organiser l'Année des arts du cirque. Le reportage fait le bilan, entre autres avec Anny Goyer, directrice de l'Ecole Nationale des Arts du Cirque de Rosny, qui a été victime de l'ouragan Lothar.

07 juin 2001
01m 48s

C'est à l'occasion de l'Année des arts du cirque, que certains de ces lieux sont repérés et obtiennent l'appellation pôles cirque et peuvent accueillir des artistes en résidence et de fait subventionner la création.

Pôles Cirque : le Cirque-Théâtre d'Elbeuf

Pôles Cirque : le Cirque-Théâtre d'Elbeuf
[Format court]

Reportage sur le Cirque-Théâtre d'Elbeuf repéré par le Ministère de la Culture pour devenir Pôle Cirque, label créé dans le cadre de l'Année des Arts du cirque, impulsée par Catherine Trautmann. Jacques Lescuyer, Directeur de l'Office d'Actions Culturelles, insiste sur l'importance de la confrontation de la création avec le public et Florence Caillon, Cie L'éolienne, sur l'attente des artistes.

25 fév 2000
02m 13s

Ainsi, l'Etat soutient la création, tout en en contrôlant les cadres d'expression. Pour aider les jeunes artistes arrivant sur le marché du travail, l'opération Jeune talents cirque, initiée en 2001, accompagne des projets singuliers.

Jeunes Talents Cirque

Jeunes Talents Cirque
[Format court]

Le reportage suit Adrien Mondot, de la Cie Adrien M, qui allie jonglage et informatique, lauréat des Jeunes Talents Cirque, en 2004, avec Convergences, au cours d'une des étapes de sélections. L'entretien de Jean-Charles Hermann et la journaliste précise les objectifs de l'opération.

05 mai 2004
01m 22s

[1] En 2001, Marie Moreau-Descoings deviendra la première Inspectrice du théâtre du Ministère de la Culture (DMDTS) en charge des arts de la rue et des arts de la piste.

Un nouvel essor des compagnies

Le soutien à la création permet dès le milieu des années 1990, la constitution de nombreuses compagnies de cirque. En 2006, on en recense 431, qui se répartissent ainsi : classique (11 %), contemporain (52 %) et « Ni-Ni » (37 %) [1]. Selon Gwénola David-Gibert, « si l'action volontariste des pouvoirs publics a stimulé l'essor des formes contemporaines, au nom d'une mission de soutien à la création, la vitalité du réseau de production et de diffusion, condition indispensable à l'autonomie des artistes, semble encore bridée par nombre de freins et frilosités. » Si la réalité économique du secteur est variable, il est cependant possible de distinguer deux types de structuration qui recoupent les orientations esthétiques et les modalités de diffusion. D'un côté, les entreprises de cirque classique avec leur chapiteau et de l'autre, les compagnies (loi 1905) subventionnées qui se produisent dans les théâtres [2], même si des entorses à cette règle existent.

[1] « Ces « Ni-Ni » correspondent souvent à des artistes qui, sans s'inscrire dans une filiation circassienne, proposent des spectacles de facture plus traditionnelle que contemporaine. » selon Gwenola David-Gibert, L'Archipel économique du cirque, Bulletin du département des études, de la prospective et des statistiques, n° 152, octobre 2006, p. 1.

[2] Même si le chapiteau et le mode de travail qui l'accompagne séduisent toujours certaines compagnies de cirque contemporain.

Conclusion

Les décisions institutionnelles ne peuvent créer une forme, elles se doivent de la repérer et de l'accompagner. Toutefois, elles en dessinent les contours, le cadre. Cependant, les artistes du nouveau cirque ont sorti le genre du domaine du divertissement et en le faisant entrer dans le champ des arts, lui ont fait acquérir l'autonomie relative propre à toute œuvre.

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