Denis Robert pour son livre Vue imprenable sur la folie du monde

La biographie de Denis Robert est très riche de ce que le territoire lui a offert comme potentiel créatif. Et cela, de part et d’autre de la frontière franco-luxembourgeoise, surtout si l’on se réfère à l’affaire Clearstream qui l’a fait connaître du grand public et qui a encombré sa vie de mai 1999 (début de l’enquête) à novembre 2011 (décision de la Cour d’Appel de Lyon). 

Né le 9 mai 1958 à Moyeuvre-Grande (Moselle), il a poussé ses études jusqu’à l’obtention d’un DEA de psychologie sociale (master 2 actuel) à l’université de Nancy, lancé Santiag, fanzine polémique et suffisamment remarqué pour se mettre à dos la notabilité bien-pensante de Metz. De 1983 à 1995, ses expériences à Actuel et à Libération ne l’ont pourtant jamais éloigné de la Lorraine du Nord à tel point que la région, à force de départs et de retours répétés, a fortement imprégné son œuvre protéiforme composée, à ce jour, de 17 essais, de 11 romans, d’une douzaine de productions audiovisuelles pour le cinéma et la télévision et de créations plastiques.

Vue imprenable sur la folie du monde (2013) qu’il présente dans cette archive raisonne d’une certaine manière avec le documentaire Histoire clandestine de ma région, qu’il a réalisé en 2001 avec Gilles Cayatte. Dans chacun d’eux, Denis Robert cherche à se réconcilier progressivement avec ce territoire qu’il a bousculé autant que ce dernier l’a malmené et empêché de travailler sereinement. Aucun manichéisme, aucune morale à faire valoir. Dans cet essai, Denis Robert trace une zone aussi grise que le ciel de Lorraine et, comme le montre cette archive, éprouve des difficultés à être écouté, à se faire entendre, à se faire comprendre. Ce n’est donc pas étonnant qu’au travers de ses enquêtes, il privilégie le biais du récit et de la littérature, vise le plaisir de l’écriture. Qu’il raconte la traversée de la ville de Metz en filant la métaphore du marathon (c’est le messager qu’on exécute dans tous les cas) ou la virée en voiture (façon road movie) dans cette région qu’il connait si bien en compagnie de son fils de 8 ans, il revient toujours à cette même question sans réponse figée : à quoi sert un écrivain ? A quoi sert un journaliste ? Sans doute a-t-il trouvé quelques éléments de réponse dans la lecture de Truman Capote « narrative non-fiction », Gay Talese « non-fiction novel » ou Tom Wolf « New Journalism », dans un journalisme littéraire à la première personne et impliqué, aux prises avec le monde et le temps présent. C’est avant tout l’engagement social et politique qui caractérise le travail de Denis Robert et plus largement une prise de position qui (lui) coûte cher et le met en danger. C’est sans aucun doute le prix à payer lorsqu’on s’applique à documenter le réel selon une ultra-subjectivité propre au Gonzo journalisme (sans les drogues).

Dans une époque qui brandit la transparence comme valeur suprême, la visibilité comme capital et l’hégémonie du présent, le travail rétrospectif de Denis Robert a eu à affronter des obstacles dont certains se sont spectaculairement retournés en sa faveur. A l’exemple du journal Le Monde qui, durant l’affaire Clearstream s’est montré très critique vis-à-vis de la façon dont l’enquête avait été menée jusqu’à reconnaître dans un article publié en juin 2011 la valeur de ce marginal de l’information. A la limite des règles, il cultive donc une sorte d’intranquillité qui l’empêche de se mettre au repos. La guerilla est toujours à mener. Après avoir dirigé Le Media pendant près d’un an et demi jusqu’en septembre 2020, il se consacre aujourd’hui à Blast, la webtélé indépendante qu’il a créée, ainsi qu’à Citizen Films, une société de production audiovisuelle.