Yan Lindingre

J’ai toujours eu un cœur de métier qui est l’humour… (Killé, 2019) : comme dessinateur ou scénariste de bande dessinée (les séries Titine ou Chez Francisque), comme dessinateur pour la presse régionale (L’Est Républicain, Le Républicain Lorrain) ou satirique (Le Canard Enchaîné, Siné Mensuel), comme scénariste pour les sketchs télévisés de « Groland » sur Canal Plus ou comme rédacteur en chef du journal d’umour et bandessinées Fluide Glacial, Yan Lindingre dit Lindingre a en effet largement contribué au domaine humoristique depuis une vingtaine d’années. Son registre est volontiers grossier, jouant d’une vulgarité provocatrice. Ses personnages au nez porcin (J’adore le côté porcin des personnages. Le groin, ça annonce la couleur : il y aura du sang, de la sueur et de la bière, et au bout… des cochonneries (Line, 2014) échangent des réparties entre bêtise ordinaire et solitude avinée, entre brèves de comptoirs et observation sociale. L’humour « bête et méchant », de Hara-Kiri à Groland en passant par les sales blagues dessinées de Vuillemin, est là mais, comme pour ces influences assumées de Lindingre, dans ses dessins, la bêtise et la méchanceté sont inséparables d’une attention au monde social et à ceux qui l’habitent et qui en subissent les injustices – et qui les produisent aussi parfois… – … mais j’ai fait un tas d’autres choses (Killé, 2019) : au regard de l’attention au social qui marque son travail, il n’est pas surprenant de voir que Lindingre ne se cantonne cependant pas à l’humour. Par exemple, il a participé en 2009 au scénario du premier volume de la série de bande dessinée L’affaire des affaires dans laquelle le journaliste Denis Robert raconte, à travers les dessins de Laurent Astier, ses enquêtes sur les malversations financières dont l’affaire Clearstream est l’exemple le plus connu. De manière similaire, Lindingre a créé en 2016 le prix « Couilles au cul », visant à distinguer le courage d’auteurs et autrices de bande dessinée ou de dessin de presse confrontés à la censure et aux menaces dans leur pays.

Dans cette vidéo, présentant une interview réalisée en 2011 à l’occasion de l’émission La bande à Baru (France 3 Nancy), Lindingre évoque sa carrière et sa pratique de la bande dessinée en Lorraine (ou depuis la Lorraine). Il le fait en présence de Baru (Hervé Barulea dit Baru), autre auteur de bande dessinée lorrain, qui a connu une importante reconnaissance nationale (Grand Prix de la Ville d’Angoulême en 2010) et internationale (ses œuvres ont été publiées jusqu’au Japon).

Vivre en Lorraine implique un rapport particulier au monde de l’édition, très concentré à Paris. La distance peut être problématique et compliquer l’entrée dans ce milieu professionnel. D’où le faux-départ que Lindingre évoque avec franchise : dégonflé face aux risques et aux efforts d’une installation à Paris, il a d’abord laissé de côté ses aspirations de dessinateur et d’auteur, se reposant sur une carrière de graphiste puis d’enseignant aux Beaux-Arts de Metz. C’est incité par ses collègues – dont Baru – qu’il a finalement repris contact avec les éditeurs parisiens et leurs revues, entamant ainsi sa carrière d’auteur et, au-delà, d’acteur du monde de la bande dessinée, en occupant la position importante de rédacteur en chef de Fluide Glacial entre 2012 et 2018.

Comme pour Baru, le lien de Lindingre avec la Lorraine n’est cependant pas que géographique. Les deux auteurs parlent de leur région dans leurs œuvres, très explicitement dans les bandes dessinées semi-autobiographiques de Baru, plus indirectement chez Lindingre, dont les piliers de bistrot comme son personnage Titine et ceux qui l’entourent font écho à ce que l’auteur peut observer autour de lui (Les bars, c’est une mine ! (Ganousse, 2013)). Dans cette vidéo, ce sont deux générations de Lorrains et d’auteurs qui se rencontrent – un peu plus de vingt ans séparent leurs naissances. Et à travers leurs œuvres, ce sont les évolutions de la Lorraine sur plusieurs décennies qui se donnent à lire, depuis les années 1960 encore industrielles évoquées par Baru (Quéquette Blues) jusqu’à la période contemporaine plus ambiguë, reflétée par Lindingre : Je parle d’une autre Lorraine, on va dire, c’est la suite.

• Céline Killé, « Yan Lindingre : Je suis très fan des démarches alternatives », Le Républicain Lorrain, 28 décembre 2019, [en ligne], https://www.republicain-lorrain.fr/edition-metz-et-agglomeration/2019/12/28/yan-lindingre-je-suis-tres-fan-des-demarches-alternatives, page consultée le 24 août 2021.
• Line, « Rencontre avec Yan Lindingre, rédacteur en chef de Fluide Glacial (entre autres !) », Melting Mag, 1^er octobre 2014, [en ligne], http://www.meltingmag.com/interview-rencontre-avec-yan-lindingre-redacteur-en-chef-de-fluide-glacial-entre-autres/, page consultée le 24 août 2021.
• Lysiane Ganousse, « Lindingre, rubrique Faits Div’ », L’Est Républicain, 2 octobre 2013, [en ligne], https://www.estrepublicain.fr/blog/2013/10/02/lindingre-a-la-rubrique-faits-div, page consultée le 24 août 2021.