Vladimir Karasjov

16 mai 1989
03m 15s
Réf. 00157

Notice

Résumé :

Le cinéaste estonien Vladimir Karasjov - connu à Paris sous la forme "Vladimir-Georg Karasjov-Orgusaar" - répond aux questions de Frédéric Mitterrand : il parle des conditions dans lesquelles il a tourné Les Hors-la-loi et de la censure que ce film a subie pendant des années.

Type de média :
Date de diffusion :
16 mai 1989
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Éclairage

Vladimir Karasjov s'est installé à Paris en 1981, à l'âge de 50 ans. On l'y connaît sous le nom de "Vladimir-Georg Karasjov-Orgusaar", notamment pour ses chroniques à Radio Free Europe. Vladimir "Karassev", ainsi que l'appelle Frédéric Mitterrand, est une forme fautive et fantaisiste, imposée par Moscou dans son passeport soviétique, au moment où Vladimir Karasjov demande l'asile en France, en 1976.

En 1971, ce réalisateur estonien signe pour le studio Ersti Telefilm un long métrage de quatre heures, Les Hors-la-loi, sur un groupe estonien clandestin qui résiste à l'arrivée des Soviétiques dans les années 20. Il est inspiré d'un roman éponyme de l'écrivain populaire Eessaare Aadu (1884-1937). Après une projection à guichets fermés à l'Institut polytechnique de Tallinn, Les Hors-la-loi est banni par les autorités soviétiques (l'Estonie ne deviendra indépendante de l'URSS que fin 1988). Le film, dont presque toutes les bobines sont détruites par les autorités, ne sera diffusé qu'en 1989 à la télévision estonienne, au moment de la perestroïka. A cette occasion, le cinéaste revient à la télévision française sur cette expérience.

Vladimir Karasjov a depuis travaillé pour Radio Free Europe. Il a publié des ouvrages sur la soviétisation de l'Estonie et ses conséquences.

Charlotte Garson

Transcription

Frédéric Mitterrand
Vladimir Karassev, comment se passait le travail de cinéaste pour vous en Estonie ?
Vladimir Karasjov
On peut dire que malgré toutes les difficultés faisant ce film, j'ai fait ce que j'ai voulu. C'est-à-dire une fois le thème accepté, on te donne vraiment la possibilité de faire ce que tu veux, s'il y a la confiance du studio vis-à-vis de toi. Je fais ça, mais voilà, le résultat n'était pas bon pour les autorités. Et ce n'est pas seulement le film qui était condamné. Tous les gens qui ont soutenu ce travail, tous étaient ou destitués, ou blâmés ou renvoyés à un autre poste moins important. Et après, une grande tracasserie qui a duré des années et voilà, le film était interdit avant de passer une seule fois.
Frédéric Mitterrand
Est-ce que vous avez su pourquoi ? Est-ce que... qui est-ce a été motivé ?
Vladimir Karasjov
Ah naturellement. La problématique, mais le triangle fatal, c'est le Triangle de Bermudes de ce film, c'est le pessimisme, c'est l'idéologie, c'est le formalisme, la recherche formelle et le naturalisme. Voilà, ces trois péchés mortels.
Frédéric Mitterrand
C'était donc, on n'a pas dit que vous étiez un cinéaste estonien gênant politiquement, on vous a accusé sur le plan esthétique.
Vladimir Karasjov
Bon disons oui, on peut dire comme ça. Mais en même temps, il y avait une lutte de deux ans autour de ce film. Il y avait des forces d'Intelligentsia estonienne même des Intelligentsia du parti national qui ont soutenu le film. Mais tout ça était écrasé par Moscou qui n'a pas voulu voir ce film et même l'accepter. Ils sont arrivés jusqu'au point, ils ont voulu brûler ce film en mon absence, j'étais exactement à Moscou pour lutter, pour faire quelque chose pour le sauver. Ils ont brûlé mille... parce que ce film est long, c'est un film de quatre heures. Il y avait beaucoup de bobines doubles etc. etc. Ils ont brûlé mille boîtes. Tout ce qu'ils ont trouvé dans ma salle de montage, ils ont brûlé tout ça, pensant que le matériel et les copies sont dedans. Mais mon caméraman a pu... disons voler, pas voler parce que le film était resté dans la même maison, mais il montait à un étage et cet autodafé a évité deux copies et le négatif du film. Comme ça, le film existe. Revenant de Moscou, j'ai pu le transférer en archives de table à l'Estonie, comme un simple matériel audiovisuel, pas un film. Ce n'était pas enregistré comme un film, c'est un matériel audiovisuel et transféré par moi en archives. Et comme ça, ils ont pu le garder jusqu'ici.
Frédéric Mitterrand
Ce qui est terrible...
Vladimir Karasjov
Sinon il serait détruit.