Le processus de décolonisation des territoires sous mandat de l'ONU : le cas du Cameroun et du Togo
Notice
Gaston Defferre explique à une étudiante pourquoi des élections vont se tenir au Cameroun, territoire sous mandat français qui prend son autonomie dans la foulée de la loi-cadre. Pierre Corval revient sur une interview accordée par les 2 représentants du Togo autonome, Nicolas Grunitzky, président, et Robert Ajavon, président de l'Assemblée.
Éclairage
Le Cameroun et le Togo jouissent depuis la Première Guerre mondiale d'un statut différent de celui des autres colonies africaines. Colonies allemandes de la fin du XIXe siècle jusqu'en 1918 sous le nom de Togoland pour l'un, de Kamerun pour l'autre, ils ont été occupés par les Alliés à la faveur de la guerre de 1914, divisés entre Français et Britanniques, puis confisqués définitivement à l'Allemagne. Ils sont alors placés sous la tutelle de la Société des Nations. La partie orientale du Togo est confiée à la France tandis que l'ouest est placé sous tutelle britannique. Au Cameroun, même partition du territoire colonial : la partie orientale échoit à la France tandis que l'ouest revient à la Grande-Bretagne. Ce statut de « territoires sous mandat » est confirmé en 1945 : Cameroun et Togo passent sous la responsabilité de l'ONU, tout en restant administrés par les deux mêmes puissances tutélaires qu'auparavant.
L'article 22 du Pacte de la SDN pose les principes généraux du régime des mandats : les peuples des territoires en question sont jugés comme encore incapables « de se diriger eux-mêmes dans les conditions particulièrement difficiles du monde moderne ». L'institution du mandat crée en principe un réseau de droits et de devoirs du mandataire vis-à-vis du mandaté, exercés sous le contrôle de la Société des Nations. Le Togo et le Cameroun relèvent de la catégorie des mandats dits « de type B », ce qui permet à la France et à la Grande-Bretagne d'y imposer une domination administrative étroite. En 1945, la mise en place de l'ONU ne modifie pas complètement la donne, mais la Charte onusienne prévoit de façon plus pressante qu'auparavant l'organisation d'un processus d'émancipation à court et moyen terme pour tous les territoires sous mandats.
Dès lors, en l'espace d'une dizaine d'années, le Cameroun et le Togo traversent une réorganisation à la fois institutionnelle, politique et territoriale. En marge de la loi-cadre Defferre est lancée, dès le début des années 1950, une série de négociations préparant l'autonomie interne des deux territoires sous mandat. L'un des enjeux importants était de savoir si, une fois devenus des républiques autonomes, le Cameroun et le Togo resteraient durablement dans l'orbite française. Au Togo, par exemple, le leader Sylvanus Olympio et son parti, le Comité de l'Unité togolaise, apparaissent par exemple moins complaisants vis-à-vis de la France que les hommes du Parti togolais du Progrès, Nicolas Grunitzky et Robert Ajavon – ce sont eux qui arrivent finalement au pouvoir, fortement soutenus par Paris.
(Voir aussi la notice du document « Nouvelles institutions au Togo »).
Au Cameroun, les choses encore moins simples : la marche à l'indépendance y est plus violente que dans d'autres territoires sous domination française et prend partiellement la forme d'une lutte armée. La création de l'Union des Populations du Cameroun (UPC) en 1948, les émeutes de 1955 réprimées dans le sang, la formation en 1956 d'un maquis indépendantiste organisé par Ruben Um Nyobè – qui réclamait entre autre choses la « réunification » du Cameroun français et britannique et appelait au boycott des élections de 1956 – jalonnent un processus de décolonisation dont l'historiographie ne cesse de redécouvrir la violence extrême. La France fait alors tout son possible, auprès de l'opinion internationale, pour minimiser l'ampleur des maquis de l'UPC et de la répression exercée contre eux.
Parallèlement au développement de cette lutte armée, le passage à l'indépendance se négocie entre l'envoyé du ministère des Colonies, Pierre Messmer, et divers acteurs politiques locaux pro-français, comme André-Marie M'Bida, qui devient le Premier ministre de la République du Cameroun en 1957. Cette année-charnière est aussi celle du « pourrissement » du conflit intérieur, qui met fin aux espoirs français d'une décolonisation pourtant voulue comme exemplaire dans les territoires sous mandat.