Les plages de la côte Aquitaine envahies par des fûts de produits chimiques

05 septembre 1983
01m 27s
Réf. 00089

Notice

Résumé :

Face aux risques d'intoxication, tous les efforts sont mis en œuvre pour repérer et récupérer des fûts de produits chimiques échoués sur les plages de la côté Aquitaine. Pour l'heure, la situation reste préoccupante et l'inquiétude est grande face à l'approche d'une nappe de pollution repérée au large de Bayonne et Biarritz.

Date de diffusion :
05 septembre 1983
Source :

Éclairage

Les habitants de la côte le savent bien : les fortes marées d'équinoxe ont, de tout temps, ramené sur le rivage divers déchets d'origine naturelle. Le littoral landais, très dangereux, est également marqué par de nombreux naufrages [1] ; le jusant laisse alors parfois apparaître de vieilles carcasses de bateaux échouées. Ce fut le cas le 21 février 2011 où les arêtes métalliques noircies par la rouille du Renown, échoué en 1887, émergèrent de la laisse de mer.

Mais, un siècle plus tard, la mer est le vecteur de dangers d'un autre ordre et les laisses [2] sont de tout autre nature. La forte industrialisation des zones côtières espagnoles, l'inconscience de certains responsables considérant l'élément liquide comme une vaste poubelle et la complicité des courants dans le fond du Golfe de Gascogne sont à l'origine d'épisodes dramatiques pour l'écologie. Ainsi, au début du mois de septembre 1983, à la faveur de fortes marées, l'océan ramène-t-il sur toutes les plages de Gascogne, des centaines de fûts de produits chimiques mêlés à des macrodéchets et des cadavres d'animaux.

Le lien est aisé entre causes et effets, les produits contenus dans les fûts étant fortement toxiques. Après les "marées noires" récurrentes depuis mars 1967 [3], les 200 km de sable fin de la côte aquitaine, paradis des surfeurs, sont dramatiquement touchés par un nouveau type de fléau, obligeant les autorités à interdire l'accès au rivage en pleine saison estivale.

Les organismes chargés de la surveillance ne manquent pourtant pas mais ils se trouvent alors impuissants, ne pouvant que déplorer les dégâts et en évaluer les conséquences multiples. Ainsi, l'accident de septembre 1983 entraîne-t-il la première campagne de terrain animée par des fondateurs de "Robin des Bois", association transfuge de Greenpeace, ce type de "collecte" requérant des compétences précises d'un personnel qualifié.

Une fois de plus, une lutte s'engage sur le front de mer avec des incertitudes majeures : comment évaluer ce qui reste à venir, la nappe de macrodéchets dérivant au large et au gré des courants ? Facteur décisif pour la suite des opérations, dans quel sens les conditions météorologiques évolueront-elles ? Autant de questions qui pèsent sur l'ampleur et la longueur de la mission. Autant de manipulations qui obèrent communes et collectivités territoriales au détriment d'autres investissements...

Le 19 janvier 2009, 25 ans plus tard, un groupe de travail sur les déchets en milieu aquatique rassemble au Ministère de l'Énergie, de l'Écologie, du Développement Durable et de l'Aménagement du Territoire (MEEDDAT) les principaux organismes gestionnaires de la mer : l'Association Scientifique et Technique pour l'Eau et l'Environnement (ASTEE), les associations "Robin des Bois" et "Mer Terre", différents comités de pêches, le Conservatoire du Littoral, l'ESTRAN service littoral, l'IFREMER, Kosta garbia [4], la Direction des affaires européennes et internationales et la Direction générale de la prévention des risques, France Nature Environnement et la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO).

De ses travaux émanent différentes conclusions qui s'inspirent, entre autres, de ce qui s'est passé en 1983 dans les Landes. On y définit ce qu'est un "macrodéchet", à savoir "tout objet solide, visible et manufacturé qui est jeté, disposé ou abandonné dans les milieux aquatiques ou qui y aboutit"; on y souligne tous les impacts négatifs sur le biotope et l'environnement, rappelant que ces objets sont des leurres pour les oiseaux, des vecteurs de transport pour des espèces invasives, soulignant aussi l'impact sur les activités humaines (esthétique, santé, pêche), sur l'écologie et les coûts afférents à la sauvegarde du milieu, et enfin sur la faune et la flore. IFREMER rappelle en outre que "lors d'épisodes météo défavorables (débit supérieur à 18 m3 / s), certaines stations d'épuration sont saturées et produisent des rejets sans traitement ni criblage".

Il est donc aisé de comprendre, avec du recul, que les événements de 1983, antérieurs aux grandes marées noires de l'Aegian Sea en 1992, de l'Erika en 1999 et surtout du Prestige en novembre 2002 [5], ne constituent finalement qu'une goutte d'eau face à l'évolution exponentielle des diverses pollutions pélagiques [6] et que la question de la préservation de ce milieu si fragile est primordiale pour l'humanité tout entière.

3682 signes

[1] TAILLENTOU, Jean-Jacques, Histoire des naufrages sur le littoral landais, Pau : éditions Gascogne et Pyrémonde / Princi Negue, juin 2009.

[2] Le mot "laisse" a deux acceptions. Il définit à la fois l'ensemble des détritus, naturels ou non, rejetés par la mer mais aussi l'espace découvert, sur le littoral, entre marée haute et marée basse.

[3] Le Torrey Canyon, un pétrolier géant, sombre, le 18 mars 1967, au large de Land's End en Grande-Bretagne, laissant échapper 119 000 tonnes de brut. C'est la première pollution maritime de grande ampleur ; l'expression "marée noire" est alors créée.

[4] Le nom de ce syndicat mixe signifie "côte propre", en basque.

[5] Le 19 novembre 2002, le Prestige, pétrolier battant pavillon des Bahamas, se brise au large de la Corogne et perd au cours des 3 mois suivants quelque 70 000 tonnes de fuel. Les plages landaises sont gravement polluées dès le mois de décembre.

[6] Environ 16 000 m3 de déchets ramassés annuellement sur la côte landaise, depuis 1992, selon les données du Conseil général.

Bénédicte Boyrie-Fénié

Transcription

Journaliste
En effet, pas de répit ce week-end pour les moyens mis en place le long des côtes aquitaines pour repérer et récupérer les fûts de produits chimiques qui peuvent présenter des risques d’intoxication et de pollution. Une compagnie du 31ème génie de Castel Sarrazin est même venue renforcer la DDE, les pompiers, la protection civile et la gendarmerie nationale. Un code a été imaginé pour le marquage des fûts récupérés: blanc, produit inflammable, vert, produit inerte, rouge, produit toxique. L’effort a porté surtout sur le littoral landais où des tonnes d’épaves continuent à s’échouer. Parmi celles-ci, plusieurs dizaines de fûts dangereux ou non, un obus et de nombreux cadavres d’animaux, de deux cachalots notamment. On ignore les causes de la mort de ces cétacés. Un gendarme a été légèrement intoxiqué par des émanations provenant d’un fût. En Gironde, 200 fûts échoués sur les plages restent à évacuer, dont un fût d’acide acrylique. Enfin, une reconnaissance aérienne fait état ce matin de la présence au large de Bayonne et Biarritz d’une nappe importante de pollution dont on ignore la nature. Aujourd'hui on assiste à un net ralentissement de l’arrivée des épaves sur les plages. Pour les jours qui viennent, trois inconnues subsistent: l’importance des détritus encore au large, les conséquences des forts coefficients de marée de jeudi et vendredi prochain et le temps.