Les Forges de l'Adour : un sauvetage réussi
Notice
L'usine des Forges de l'Adour, qui employait 1600 personnes, ferme après 80 ans d'activité. Sur le site du Boucau-Tarnos, tout est mis en œuvre pour renouveler le tissu industriel et favoriser l'implantation de nouvelles entreprises. Elément clé de cette reconversion, Turbomeca engage 600 ouvriers des Forges ayant bénéficié d'une formation professionnelle de 6 mois.
Éclairage
Avec les images sinistres du début - usine déserte, hauts-fourneaux et ferrailles à l'abandon sous la pluie atlantique – l'usine définitivement arrêtée des Forges de l'Adour (en fait la Compagnie des Ateliers et Forges de la Loire) préfigure le destin de bien d'autres régions d'industries lourdes, métallurgiques surtout, dans la décennie 1970. Pour des raisons techniques, de concurrence internationale et même, un temps, de surproduction, les groupes sidérurgiques redéployent leurs activités et modifient ainsi la géographie des vieilles régions industrielles fondées avant tout sur les ressources du sous-sol. La traditionnelle carte des bassins métallurgiques, charbonniers ou ferrifères, du Nord, de la Lorraine ou des villes mono-industrielles du Massif central, doit être complètement remaniée.
Il se trouve qu'au début des années 1960, le binôme Tarnos-Le Boucau a été parmi les premiers touchés. Il est vrai que, au coude de l'ancien lit de l'Adour [1], la greffe de la fabrication de fonte et d'acier pour les besoins de la compagnie ferroviaire du Midi [2] avait au fond été une exception heureuse dans le Sud-Ouest, comme on disait alors, majoritairement rural. Tout au plus, l'atmosphère estuarienne et le voisinage avec le Pays basque rappelaient-ils les régions industrielles de la ria du Nervion à Bilbao ou de Pasajes (Pasaia) en Gipuzkoa.
D'une certaine façon, la chance de la fermeture de l'usine du Boucau est de servir d'exemple aux opérations de reconversion industrielle dont on commence à se préoccuper. La politique d'aménagement du territoire commence assurément par la "décentralisation industrielle" de la fin des années 1950 et, dans les années 1960, se prolonge par le concept des « métropoles d'équilibre » et par les grandes opérations touristiques sous l'égide de la Délégation à l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale créée en 1963 ; mais elle doit aussi prendre en compte les nécessaires opérations de reconversion industrielle.
Parmi les tâches incombant à ceux qui les pilotent, il y a le besoin de former ou "recycler", comme on commence à dire également, les ouvriers sans grande qualification ou dont le savoir-faire devient inadapté aux nouvelles exigences techniques. Plusieurs images ou brèves interviews évoquent l'effort consenti autant par les responsables que par les employés pour requalifier le personnel, souvent "âgé" (autour de 50 ans bien souvent) mais consentant à suivre des stages afin de se "recaser" dans les nouvelles activités de la zone de Tarnos. On observe qu'en fin de reportage, l'ancien directeur de l'usine, Monsieur Nicolas, parle d' "éthique et du sens social qui doit animer tout dirigeant d'entreprise". Avec le recul, un demi siècle plus tard, voilà qui donne à réfléchir...
Derrière cet effort de reconversion professionnelle on peut déceler en filigrane la montée de l'idée d'une loi sur la formation continue, complétant le dispositif de la formation professionnelle des adultes ; elle est adoptée en juillet 1971 sous le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas dont le conseiller social est Jacques Delors.
La réussite de ce sauvetage de l'emploi revivifiant par la même occasion la vie portuaire de l'Adour maritime tient aussi à d'autres opportunités : la production du gaz de Lacq et surtout de son sous-produit, le soufre ; la forte demande en engrais de l'agriculture en train de s'aligner à grand pas sur le modèle productiviste, d'autant que les "Pays de l'Adour [3] et les Landes de Gascogne deviennent la zone principale de production de maïs dans l'Hexagone ; le choix d'une entreprise d'un secteur de pointe, Turboméca, de venir installer un important établissement dans les terrains sablonneux et plats de l'ancien cours de l'Adour [4]. Tels furent les facteurs favorables à l'opération finalement assez ambitieuse et risquée du Boucau.
[1] La digue du Trossoat à Tarnos, face à Anglet, rappelle que le fleuve continuait vers le nord jusqu'à Capbreton avant sa capture par Louis de Foix en 1578.
[2] Elle fusionne avec le Paris-Orléans en 1934, juste avant la création de la SNCF (1937).
[3] Une thèse de géographie régionale leur est consacrée en 1963 par l'universitaire bordelais Serge Lerat.
[4] FENIE, Jean-Jacques, TAILLENTOU, Jean-Jacques, Lacs, étangs et courants du littoral aquitain, Bordeaux : éd. Confluences, 2006.