Thermalisme, histoire d'eaux

05 mars 1994
04m 26s
Réf. 00258

Notice

Résumé :

Reportage à Dax consacré aux cures thermales et notamment aux vertus thérapeutiques des boues et des eaux soumises désormais à des études scientifiques rigoureuses, ainsi qu'à leur prise en charge par la Sécurité Sociale et à l'impact qu'aurait la réduction d'une telle activité sur l'ensemble de l'économie dacquoise.

Date de diffusion :
05 mars 1994
Source :
France 3 (Collection: Le Soir )
Lieux :

Éclairage

Quand on inaugure, à Dax, en 1992, l'établissement des Thermes, "cathédrale de bois et de verre" érigée au bord de l'Adour par Jean Nouvel [1], le thermalisme, en France, est à son apogée. La sous-préfecture des Landes caracole en tête du peloton des 106 stations françaises avec 50 000 curistes par an et leurs 30 000 accompagnants, soit le dixième des chiffres totaux donnés pour l'Hexagone.

Le thermalisme constitue en effet un patrimoine [2] et un pôle économique majeurs dans un pays où le tourisme pèse déjà très lourd et, depuis 1953 - malgré les régulières remises en cause de la Sécurité Sociale - la courbe de la fréquentation est ascendante : de 255 000 curistes en 1953, on passe, en 1993, à 637 000. Malheureusement, à partir de cette date, la tendance s'inverse et il est naturel qu'à Dax, un an plus tard, comme à Balaruc (Hérault), à Aix-les-Bains (Savoie), Gréoux-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence), Amélie-les-Bains (Pyrénées-Orientales) et dans la centaine de stations de moindre importance, les responsables soient sur leurs gardes.

Comme dans toutes les villes dont les revenus émanent d'une activité dominante, Dax est effectivement, comme ses homologues, largement tributaire de la fréquentation exogène qui apporte l'essentiel des ressources : ici, 900 emplois directs faisant vivre 6000 personnes pour une population qui n'atteint pas alors les 20 000 habitants.

On comprend donc que le laboratoire municipal veille à la qualité de ses "produits", les eaux sulfureuses et les péloïdes locaux [3], l' "or noir" qui soulage les curistes quasi unanimes, selon les sondages donnant 80 % de satisfaits en 1994, 94 % dans les années 2000 où se confirme l'engouement pour les médecines naturelles.

Yves Goussebaire-Dupin, maire de 1977 à 1995, l'affirme : limiter la participation des organismes sociaux serait "porter une atteinte grave à la santé et à l'économie", rejoignant dans le fond l'analyse d'un commerçant de la ville, Michel Caup, qui confirme, de son côté, que l'essentiel des revenus provient de ces apports extérieurs sur 10 mois et que, de facto, le dynamisme de la cité "dépend de la santé du thermalisme". C'est d'ailleurs dans le souci d'économiser l'eau minérale si précieuse [4], que l'élu avait décidé en 1989, en accord avec EDF et moyennant quelques compensations aux usagers, de mettre fin à l'approvisionnement gratuit d'une partie de la cité en eau curative. Ce privilège, accordé aux Dacquois depuis les années 1930, est donc supprimé pour assurer aux 18 établissements thermaux de la ville les quelque 7, 2 millions de litres d'eau quotidiens nécessaires, issus de 5 forages ; un choix qui privilégiait l'intérêt général.

Et l'intérêt général ici, c'est de préserver des emplois dépendant de la fréquentation de la station et, bien sûr, en amont, des décisions prises au Ministère de la Santé. C'est la raison pour laquelle, en 1994, on attend avec anxiété la prochaine convention quinquennale de 1999 ; et l'on avait effectivement des raisons de s'inquiéter, à Dax, dans cette période de déclin et d'incertitudes puisque c'est précisément l'année où le Gouvernement propose la suppression de la prise en charge pour la majorité des indications. L' intervention de Martine Aubry, alors ministre du Travail et de la Solidarité de Lionel Jospin, suspend cette décision alors que la Couverture Universelle Maladie (CMU) est votée, à son initiative, dans le cadre de la loi du 27 juillet de cette même année.

Au début du troisième millénaire, le repositionnement de toutes les stations thermales vers une offre plus diversifiée, attirant une clientèle plus jeune à la recherche de soins de confort, s'explique donc, en grande partie, par ces aléas.

[1] Le grand architecte, concepteur notamment de l'Institut du Monde Arabe à Paris est originaire du Lot-et-Garonne. Il fait le choix, à Dax, d'une structure innovante privilégiant les matériaux nobles, le bois et le verre notamment. C'est un concept inédit d'un thermalisme ouvert vers l'extérieur, un "paquebot de luxe" dont les coursives font le lien entre 90 studios et la structure thermale proprement dite. Les volets à persiennes en bois évoqueraient les séchoirs à tabac de sa région natale.

[2] Environ 1200 sources contrôlées sont répertoriées à ce jour, en France.

[3] Au cours d'une lente maturation, sous l'action simultanée de l'eau thermale et de sa minéralisation, de spores endogènes et de la lumière solaire, les alluvions tamisées de l'Adour se couvrent de micro-algues qui forment une substance active contenant des anti-inflammatoires : ce sont les boues dites "péloïdes".

[4] Les eaux minérales de Dax, en s'infiltrant en profondeur dans l'écorce terrestre, s'enrichissent en sels minéraux et se réchauffent au contact des roches souterraines. Après un long et lent parcours (3000 ans), elles ressurgissent à 62°, chargées d'éléments actifs et thérapeutiques.

Bénédicte Boyrie-Fénié

Transcription

Jean-Pierre Quinson
La boue à Dax, c’est un peu l’or noir. Chaque jour, des pelleteuses en extraient quelques tonnes des bassins de décantation. Livrée dans les 18 établissements thermaux de la ville, cette boue se retrouve peu après en application chaude sur les articulations douloureuses des curistes. Témoin, cette femme qui souffre d’arthrose et qui fait depuis 10 ans, chaque année, une cure de trois semaines.
Madame Labaste
Depuis, j’atténue beaucoup beaucoup mes... anti-inflammatoires.
Jean-Pierre Quinson
Et au niveau des douleurs, quand vous avez fini une cure, elles ont tendance à diminuer ?
Madame Labaste
Quand on fait la cure, quelquefois, cela réveille quelques douleurs mais qui s’atténuent par la suite, et après on passe l'année quand même nettement mieux.
Jean-Pierre Quinson
Toutes les enquêtes le montrent, à Dax, 80 % des patients déclarent retirer un bénéfice de leur cure. Difficile cependant d’évaluer dans cette satisfaction l’effet psychologique par rapport à l’action directe des boues et des eaux. Il faudrait pour cela comme pour les médicaments des études plus rigoureuses, certains médecins thermaux les acceptent d’avance.
Jean-Max Tessier
Il faut s’y soumettre, c’est la loi du marché, il n’y a pas de raison que la cure thermale échappe à ces évaluations qui sont les seules que l’on puisse considérer actuellement comme fiables.
Jean-Pierre Quinson
Et vous ne craignez pas le résultat.
Jean-Max Tessier
Pas du tout.
Jean-Pierre Quinson
Cet abord presque scientifique de la cure, on le retrouve également au laboratoire municipal. Son objectif principal est de veiller à la qualité constante de l’eau et des boues. Mais chaque année, 2 millions de crédits sont consacrés à la recherche de certains principes actifs.
Pascal Counilh
Nous avons mis en évidence sur des algues thermales des cyanostimulines qui ont un effet anti-inflammatoire, un effet facteur de croissance, et qui donc montre l’intérêt d’utiliser cette boue thermale dans le thermalisme.
Jean-Pierre Quinson
Dans le traitement de certaines infections ?
Pascal Counilh
Et dans le traitement bien sûr de certaines infections, notamment les rhumatismes.
Jean-Pierre Quinson
Reste l’aspect financier des cures. Dans les collimateurs, les pratiques dites complémentaires telles que gymnastique en piscine, bains hydroaériques, massages. Dans de nombreuses stations, ils sont à l’origine de la dérive des coûts. A Dax, on a institué un forfait comprenant 3 visites médicales, 18 applications de boue, 36 pratiques dites complémentaires et éventuellement 9 massages pour 3500 francs environ. Donc, on a un coût qui est assez bien maîtrisé, il n’y a pas de dérive possible ?
Jean-Max Tessier
Le coût n’est pas assez bien maîtrisé, il est parfaitement bien maîtrisé et les caisses de sécurité sociale savent parfaitement, quand elles acceptent le principe d’une cure thermale, à combien elle leur reviendra à Dax.
Jean-Pierre Quinson
Actuellement, la sécurité sociale prend en charge 65 % des frais médicaux. En cas de ressources inférieures à 95000 francs, elle peut participer au voyage et à l’hébergement. Résultat, sur une dépense moyenne de 8000 francs par curiste, la sécurité sociale va débourser environ 3000 francs. La différence est prise en charge par les mutuelles ou le curiste lui-même. Quelques exceptions pour les accidentés du travail et les pensionnés de guerre qui sont remboursés en intégralité.
Saura Monsieur
C’est [un dû] quand même. On a été se faire casser la figure, maintenant, ça ne serait pas le moment qu'on nous retire quelque chose, les [incompris] et ça serait encore meilleur quoi.
Jean-Pierre Quinson
Bien sûr, Dax profite de la présence des curistes. Pour les commerçants, c’est une partie essentielle du chiffre d’affaires. Toute baisse du thermalisme les mettrait sans doute en péril.
Michel Caup
Je crois parce que le thermalisme représentant les 2/3 d’activités, ce serait catastrophique.
Jean-Pierre Quinson
Mais le thermalisme, c’est aussi le plus gros employeur de Dax, 900 emplois directs, faisant vivre 6 000 personnes. Son Maire voit donc avec crainte toute menace sur cette activité.
Yves Goussebaire-Dupin
Je pense qu’il serait dérisoire et absurde de sacrifier le peu d’argent que lui consacre la sécurité sociale. Ce serait vraiment atteindre de plein fouet un secteur économique très important, notamment dans le secteur rural. Et ce serait une atteinte grave à la santé des Français.
Jean-Pierre Quinson
Voilà, on s’en rend compte, ici à Dax comme dans une centaine de stations françaises, le thermalisme est un véritable poumon économique pour la ville. Reste à savoir si pour les organismes sociaux, la sécurité sociale en particulier, il n’est pas parfois un appendice excessif.