Labatut, Landes : implantation industrielle

16 décembre 1975
03m 15s
Réf. 00625

Notice

Résumé :

Reportage sur l'implantation d'une usine de fabrication de "sweet corn" à Labatut dans les Landes. Interviews avec les élus locaux, les affectés de l'expropriation, les jeunes du village et les villageois.

Date de diffusion :
16 décembre 1975

Éclairage

À Labatut, ou plutôt L’Abatut, « lieu défriché » en gascon, il y a bien longtemps que la forêt a laissé la place à de vastes espaces cultivés. Polyculture traditionnelle vivrière d’abord dans ce secteur méridional de la Chalosse frangé par le gave de Pau, dominée progressivement, à partir du XVIIe siècle, par une nouvelle céréale importée des Amériques, appelée localement blat d’Espanha, indon ou milhòc 1.

Et le maïs de devenir la plante fourragère par excellence de ce midi atlantique. Élément important de l’industrie agro-alimentaire, il n’est pas étranger par ailleurs à la qualité et à la diversité de la gastronomie landaise. Traditionnellement utilisé pour le gavage des oies et des canards, on le retrouve aussi directement dans l’assiette dans les mets confectionnés à base de farine (millàs, escauton, etc) 2.

Omniprésent dans l’exploitation familiale landaise, il prend une extension considérable, au sortir du second conflit mondial, avec l’arrivée d’agriculteurs exogènes venus du nord de la France ou d’Afrique du nord, implantés notamment en Haute Lande. On passe alors à un stade industriel ; le département devient premier producteur français. Mais de sweet corn, on ne parle pas encore.

Et pourtant, dans le petit bourg de Labatut – 1147 habitants en 1968, 992 en 1975 – c’est bien cette variété tant appréciée des Nord-Américains qui va transformer la vie de la communauté villageoise. C’est le moment ; toutes les conditions sont réunies. Les effets de la mécanisation et l’intensification de l’agriculture réduisent la main-d’œuvre agricole dans les campagnes les plus reculées où le mot chômage entre dans le lexique courant mais le monde bouge. Les prémices d’une mondialisation expliquent le fait que les habitudes alimentaires se modifient. Et le fameux maïs dont on appréciait jusque là la version pop corn (las damisèlas, en Gascogne) s’invite comme légume d’accompagnement dans des salades variées très appréciées d’une strate d’âge avide d’exotisme.

Les surfaces consacrées à la culture de maïs en France se développent donc rapidement entre 1955 et 1975, passant de 450 000 à 2 837 000 ha et, parallèlement à l’émergence de ce maïs « aztèque » introduit sur le vieux continent par Christophe Colomb au XVème siècle, les années 1970 marquent l’introduction de la variété Zea mays saccharata venue des Etats-Unis.

Une belle aventure commence alors pour Labatut choisi par les initiateurs de cette entreprise pour implanter l’usine de conditionnement conçue par l’américain Géant Vert 3 et le béarnais EURALIS 4 qui concluent en cette année 1975 un partenariat à part égale. De cette association naît la SERETRAM  5 qui, 40 ans plus tard, constitue le premier site de conserverie de maïs doux au monde pouvant produire jusqu’à 3 millions de boîtes par jour.

1)      Il s’agit du maïs dont le nom français est emprunté à l’espagnol mais lui-même issu de la langue des Arouaks d’Haïti. Parce qu’il a été importé via l’Espagne, les Gascons l’appellent blat d’Espanha, « blé d’Espagne », mais aussi indon, du fait que l’on associe la plante aux Indes où croyait avoir atterri Christophe Colomb ; une appellation à rapprocher de « blé d’Inde » employée au Québec.

 

2)      Empreintes landaises : parcours Gastronomie landaise.

 

3)      Cette société américaine a été fondée en 1903 à Le Sueur (Minnesota), sous le nom de Minnesota Valley Canning Company, laquelle vendait de la purée de maïs sucrée. Le nom Green Giant est introduit en 1925 pour commercialiser des petits pois plus grands que les espèces habituelles, appellation qu’adopte la compagnie en 1950.

 

4)      En 1936, des agriculteurs du Sud-Ouest se regroupent pour vendre leur blé. C’est l’origine de la société Euralis dont la devise « Une histoire d’audace » se résume en 5 dates-clés : 1950 où elle est la première entreprise à s’engager dans un programme de recherche privé de semences ; 1975 où elle lance avec Géant Vert la consommation de maïs doux avant de s’associer avec Bonduelle ; 1994 où elle se diversifie dans l’agroalimentaire avec l’acquisition de Montfort (1995) puis de Rougié (2002) et de Jean Stalaven (2007) ; 2007 où elle se renforce à l’international avec l’implantation de l’activité Semences en Ukraine ; 2014 enfin avec la création d’une filière de production de foie gras en Chine pour le marché domestique.

 

5)      http://www.usinenouvelle.com/article/geant-vert-continue-d-investir-massivement-dans-son-usine-landaise.N205169

 



Bénédicte Boyrie-Fénié
Bénédicte Boyrie-Fénié

Transcription

Journaliste
… en France, mais dont le calme sur les bords du Gave risque très bientôt d’être vivement troublé.
(Silence)
Intervenant 1
Nous avons une chance inespérée avec une future implantation d’usine qui va débuter l’année prochaine ; pour maintenir cette jeunesse sur place et lui donner tous les agréments que cela peut entraîner.
Journaliste
Une usine par conséquent à la place de ces champs de maïs.
Intervenant 1
C’est ça, derrière moi, une première tranche de travaux va commencer au mois de février prochain. Et ensuite, dans les quatre et cinq années qui vont suivre, l’usine prendra cette extension, et tout cela se situe derrière moi.
Journaliste
C’est important comme investissement.
Intervenant 1
L’investissement est très important. La première tranche, je croise, sera de l’ordre de 2 milliards 400 millions anciens.
Journaliste
Tout cela a été rendu possible lorsqu’on trouve à Labatut une gare qui fut autrefois porteuse d’espoir.
Intervenant 1
C’est un produit qui, à 95 % pour ne pas dire 100 %, ira à l’exportation. Mais déjà, les marchés sont à l’étude pour que ce sweet corn sera consommé également en France. Et d’après les quelques renseignements que j’ai, il y a déjà certaines régions qui l’utilisent.
Intervenant 2
Cette implantation d’usine, on s’aperçoit qu’elle va amener pas mal d’emplois. C’est pour ça que pour la commune et pour eux-mêmes, les gens sont très contents.
Journaliste
Et ça ne risque pas de les perturber ?
Intervenant 2
Oh non, parce que beaucoup de ces jeunes justement ont pas mal de diplômes d’informatique, d’électronique, ou sont en train d’en préparer d’autres. Ils sont prêts à assumer leur responsabilité.
(Bruit)
Journaliste
Que pensent les agriculteurs de l’implantation d’une usine de ce type à Labatut ?
Inconnu 1
Ça va être une usine qui va servir beaucoup pour les agriculteurs, parce qu’ils pourraient nous trouver du travail.
Journaliste
C’est une bonne chose ?
Inconnu 1
Ce sera une bonne chose d’un côté pour le travail, et d’un autre côté, on ne sera pas si tranquille comme avant. Il y aura beaucoup de monde ici à Labatut.
Inconnu 2
Pour moi, personnellement, je me trouve impliqué dans cette usine pour une valeur de 12 hectares. Moi je vois ma surface, je suis agriculteur, je vis de ça. Je vois ma surface réduite d’un tiers, et je ne vends pas en paquet de cacahuète. Il me semble que les indemnisations qui m’ont été offertes ne sont absolument pas valables dans un cas tel que le mien. Je précise que je dois être certainement le seul sur les propriétaires impliqués dans cette affaire qui subissent de tels dommages.
Inconnu 1
Je crois que je vais essayer de trouver du travail un peu à l’usine. Et je pourrais aider mon père sur l’exploitation.
Inconnu 3
En tant qu’artisan ou mes collègues commerçants, mais je pense tout simplement que ça permet de développer le potentiel humain, et de faire peut-être revivre un peu la commune.
Inconnu 4
Ah ben, mais c’est très bien, parce qu’il y a des communes voisines ici. Vous avez ici les communes, elles ne sont pas loin. C’est très bien pour les faire travailler ces jeunes.
Journaliste
Vous pensez alors que c’est un bien ?
Inconnue
Ah oui, beaucoup, surtout que j’ai quatre enfants, et il y en a un qui est au chômage.
Inconnu 3
Parce que si vraiment, il n’y avait rien du tout, il est très certain que je partirais.