Antoine Rufenacht dans les Landes
10 novembre 1977
03m 21s
Réf. 00628
Notice
Résumé :
Antoine Rufenacht, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'industrie, a rendu visite à la Haute Lande afin d'affronter les problèmes qui traverse le secteur de l'artisanat dans cette région.
Type de média :
Date de diffusion :
10 novembre 1977
Source :
France Régions 3 Bordeaux (FR3BX)
(Collection:
Aquitaine actualités
)
Personnalité(s) :
Éclairage
Les années 1970 constituent un nouveau tournant majeur pour les Landes de Gascogne. Si l’ethnologue Félix Arnaudin, à la fin du XIXe siècle, déplore l’inexorable agonie de la Lande avec l’émergence de la sylviculture, d’aucuns déplorent, un siècle plus tard, l’abandon du gemmage dans un pinhadar qui offrait plusieurs débouchés. Dans ces années, il est vrai, la donne change en raison des premiers effets d’une mondialisation qui révolutionne les mœurs et l’économie.
Antoine Rufenacht, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (RPR), en visite en Haute-Lande, est là pour rassurer et tenter de persuader que l’État essaie de remédier à cette évolution. Mais ses propos sonnent faux et, en filigrane des paroles convenues, se devine l’incertitude du lendemain : « Nous ne pouvons pas accepter une concurrence de pays étrangers… Que cette activité se maintienne en attendant des jours meilleurs… ». On sent bien ici - et on en prendra encore mieux la mesure quelques décennies plus tard - que le facteur déterminant est cette « nouvelle économie » 1 qui fait vaciller les bases du monde ancien. Ce qui se passe dans les Landes est un symptôme, la crise est structurelle.
Depuis les années 1970, l'économie française est en effet entrée dans une phase de marasme, entrecoupé de reprises. La récession est déclenchée par le renchérissement du prix du pétrole et la crise du système monétaire européen, mais elle s'explique aussi par des facteurs bien plus larges : la mondialisation multiplie les pays concurrents fournissant une main-d'œuvre meilleur marché. Le modèle économique et social mis en place à la Libération se retrouve inadapté aux conditions nouvelles. Les activités en déclin, comme la sidérurgie et l'industrie chimique s’estompent au profit du développement du tertiaire et notamment des « nouvelles technologies » en plein essor.
Pour ne prendre qu’un exemple - significatif - le secteur des communications connaît une évolution spectaculaire 2. La « crise » n'est donc que relative : la France demeure l'un des pays les plus riches du monde mais certains domaines en paient les frais.
Le second gouvernement Raymond Barre, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, ne peut que valider une telle évolution et ce n’est pas l’ultime combat des quelque 472 gemmeurs qui oeuvrent encore dans le million d’hectares du massif forestier gascon qui va peser dans ces bouleversements. Et Claude Courau, un ancien résinier qui ne s'est jamais résolu au déclin du gemmage en Aquitaine, de confier dans une longue interview 3 son sentiment concernant les raisons réelles du déclin de l’activité qui « animait » la forêt landaise, lui garantissant, de fait, sécurité et équilibre : « Les avancées sociales furent très lentes, même si la création de syndicats de gemmeurs… ont pu parfois faire avancer un peu les choses. Il fallut cependant attendre 1968 pour qu'une convention collective vienne réglementer la profession et mette ainsi un terme à certains abus. Mais il était sans doute trop tard, car déjà à cette époque, la mort du gemmage était programmée et organisée en coulisse par l'Etat et les gros propriétaires forestiers… ».
Et de poursuivre : « Subventionner le gemmage, cela revenait à confier une grande partie de son avenir et de ses possibilités d'évolution au seul bon vouloir de l'Etat. Or les représentants de l'Etat avaient visiblement d'autres projets pour la forêt des Landes de Gascogne que ceux de la survie ou d'une modernisation du gemmage... Il paraît en effet évident aujourd'hui que l'Etat a eu nettement la volonté de donner une « vocation » papetière à la forêt de Gascogne, notamment au profit des entreprises Saint-Gobain et des Papeteries de Gascogne. Les gros propriétaires privés se sont d'ailleurs très vite engouffrés dans la brèche, car il est également très clair qu'ils voulaient se débarrasser du gemmage et des gemmeurs depuis très longtemps ».
Lucide, Claude Courau poursuit son analyse en soulignant que, s’agissant de l’État, deux faits marquants ont largement contribué à la disparition du gemmage : l'ouverture brutale du marché français des produits de la gemme à la concurrence étrangère et l’introduction en France de la technique américaine du gemmage à l'acide sulfurique.
L’affaire est donc complexe et ce n’est pas un simple discours qui va changer le cours des choses : « Il faut une volonté politique ferme et sans équivoque pour fixer les règles du jeu ! Elle seule manque aujourd'hui à l'appel pour voir véritablement renaître de façon durable le gemmage en forêt en Gascogne ». Une conclusion donnée au début des années 2000, valable déjà, a fortiori, en 1977, quand la forêt n’était pas encore tout à fait silencieuse…
Chargé également, dans sa mission, de l’artisanat, Antoine Rufenacht visite la maison des artisans de Pissos sous la houlette du maire de la commune Jean Duluc, de Jean-Claude Ollagnier, directeur du Parc naturel régional des Landes de Gascogne, et de Roger Duroure, député des Landes. Mais, là encore, il s’agit d’une visite de convenance ; vitrine d’un artisanat local - séduisant, certes, mais peu lucratif - la belle maison à trois eaux importée d’Arengosse dans le cadre d’une promotion touristique du territoire ne renvoie pas à une image réelle de l’artisanat, au sens où l’entendent les économistes, c’est-à-dire pourvoyeur d’emplois concrets. Saignée par l’exode rural, la Haute Lande se vide effectivement et les jeunes apprentis du CFA de Mont-de-Marsan préparent une carrière jalonnée de périodes de chômage, marquée par la flexibilité. Nouvelle économie oblige…
1) http://barthes.ens.fr/scpo/Presentations00-01/Shibasaki_e-economie/NouvelleEconomie.htm
2) On est à la veille de l’inauguration du premier TGV (1981), l’avion se banalise, bientôt le minitel annoncera la révolution Internet et la fulgurante évolution de la téléphonie mobile.
3) http://www.littoral33.com/gemmage5.htm
Bibliographie
Claude Courau : "Le gemmage en forêt de Gascogne" - Princi Negre Editions (1995).
Claude Courau : "La relance du gemmage en forêt de Gascogne" : Princi Negre Editions (1999)
Jacques Sargos : "Histoire de la Forêt Landaise : Du désert à l'âge d'or" - L'Horizon Chimérique (1997)
Bénédicte Boyrie-Fénié
Antoine Rufenacht, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (RPR), en visite en Haute-Lande, est là pour rassurer et tenter de persuader que l’État essaie de remédier à cette évolution. Mais ses propos sonnent faux et, en filigrane des paroles convenues, se devine l’incertitude du lendemain : « Nous ne pouvons pas accepter une concurrence de pays étrangers… Que cette activité se maintienne en attendant des jours meilleurs… ». On sent bien ici - et on en prendra encore mieux la mesure quelques décennies plus tard - que le facteur déterminant est cette « nouvelle économie » 1 qui fait vaciller les bases du monde ancien. Ce qui se passe dans les Landes est un symptôme, la crise est structurelle.
Depuis les années 1970, l'économie française est en effet entrée dans une phase de marasme, entrecoupé de reprises. La récession est déclenchée par le renchérissement du prix du pétrole et la crise du système monétaire européen, mais elle s'explique aussi par des facteurs bien plus larges : la mondialisation multiplie les pays concurrents fournissant une main-d'œuvre meilleur marché. Le modèle économique et social mis en place à la Libération se retrouve inadapté aux conditions nouvelles. Les activités en déclin, comme la sidérurgie et l'industrie chimique s’estompent au profit du développement du tertiaire et notamment des « nouvelles technologies » en plein essor.
Pour ne prendre qu’un exemple - significatif - le secteur des communications connaît une évolution spectaculaire 2. La « crise » n'est donc que relative : la France demeure l'un des pays les plus riches du monde mais certains domaines en paient les frais.
Le second gouvernement Raymond Barre, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, ne peut que valider une telle évolution et ce n’est pas l’ultime combat des quelque 472 gemmeurs qui oeuvrent encore dans le million d’hectares du massif forestier gascon qui va peser dans ces bouleversements. Et Claude Courau, un ancien résinier qui ne s'est jamais résolu au déclin du gemmage en Aquitaine, de confier dans une longue interview 3 son sentiment concernant les raisons réelles du déclin de l’activité qui « animait » la forêt landaise, lui garantissant, de fait, sécurité et équilibre : « Les avancées sociales furent très lentes, même si la création de syndicats de gemmeurs… ont pu parfois faire avancer un peu les choses. Il fallut cependant attendre 1968 pour qu'une convention collective vienne réglementer la profession et mette ainsi un terme à certains abus. Mais il était sans doute trop tard, car déjà à cette époque, la mort du gemmage était programmée et organisée en coulisse par l'Etat et les gros propriétaires forestiers… ».
Et de poursuivre : « Subventionner le gemmage, cela revenait à confier une grande partie de son avenir et de ses possibilités d'évolution au seul bon vouloir de l'Etat. Or les représentants de l'Etat avaient visiblement d'autres projets pour la forêt des Landes de Gascogne que ceux de la survie ou d'une modernisation du gemmage... Il paraît en effet évident aujourd'hui que l'Etat a eu nettement la volonté de donner une « vocation » papetière à la forêt de Gascogne, notamment au profit des entreprises Saint-Gobain et des Papeteries de Gascogne. Les gros propriétaires privés se sont d'ailleurs très vite engouffrés dans la brèche, car il est également très clair qu'ils voulaient se débarrasser du gemmage et des gemmeurs depuis très longtemps ».
Lucide, Claude Courau poursuit son analyse en soulignant que, s’agissant de l’État, deux faits marquants ont largement contribué à la disparition du gemmage : l'ouverture brutale du marché français des produits de la gemme à la concurrence étrangère et l’introduction en France de la technique américaine du gemmage à l'acide sulfurique.
L’affaire est donc complexe et ce n’est pas un simple discours qui va changer le cours des choses : « Il faut une volonté politique ferme et sans équivoque pour fixer les règles du jeu ! Elle seule manque aujourd'hui à l'appel pour voir véritablement renaître de façon durable le gemmage en forêt en Gascogne ». Une conclusion donnée au début des années 2000, valable déjà, a fortiori, en 1977, quand la forêt n’était pas encore tout à fait silencieuse…
Chargé également, dans sa mission, de l’artisanat, Antoine Rufenacht visite la maison des artisans de Pissos sous la houlette du maire de la commune Jean Duluc, de Jean-Claude Ollagnier, directeur du Parc naturel régional des Landes de Gascogne, et de Roger Duroure, député des Landes. Mais, là encore, il s’agit d’une visite de convenance ; vitrine d’un artisanat local - séduisant, certes, mais peu lucratif - la belle maison à trois eaux importée d’Arengosse dans le cadre d’une promotion touristique du territoire ne renvoie pas à une image réelle de l’artisanat, au sens où l’entendent les économistes, c’est-à-dire pourvoyeur d’emplois concrets. Saignée par l’exode rural, la Haute Lande se vide effectivement et les jeunes apprentis du CFA de Mont-de-Marsan préparent une carrière jalonnée de périodes de chômage, marquée par la flexibilité. Nouvelle économie oblige…
1) http://barthes.ens.fr/scpo/Presentations00-01/Shibasaki_e-economie/NouvelleEconomie.htm
2) On est à la veille de l’inauguration du premier TGV (1981), l’avion se banalise, bientôt le minitel annoncera la révolution Internet et la fulgurante évolution de la téléphonie mobile.
3) http://www.littoral33.com/gemmage5.htm
Bibliographie
Claude Courau : "Le gemmage en forêt de Gascogne" - Princi Negre Editions (1995).
Claude Courau : "La relance du gemmage en forêt de Gascogne" : Princi Negre Editions (1999)
Jacques Sargos : "Histoire de la Forêt Landaise : Du désert à l'âge d'or" - L'Horizon Chimérique (1997)
Bénédicte Boyrie-Fénié
Bénédicte Boyrie-Fénié
Transcription
Journaliste
Monsieur Antoine Rufenacht a pu se rendre compte par lui-même des difficultés de la Haute-Lande ; et de la bonne mise en place du schéma préparé par les pouvoirs publics afin d’y remédier. D’une façon générale, la situation est critique, les activités traditionnelles de la région sont confrontées à des difficultés réelles. Par exemple, le bois et la papeterie, 450 emplois par an ont disparu entre 68 et 75 avec une prédominance dans le secteur agricole. Il y a un autre problème en Haute-Lande. C’est celui de la désertification. En effet, ce département a perdu 10 000 habitants en 20 ans. Puis, la production du gemmage est réduite aujourd’hui à 4 millions litres, et on ne trouve plus de gemmeur du tout.Intervenant 1
Sur le plan strictement économique, les problèmes sont très sérieux en ce qui concerne cette activité de gemmage. Ce que l’on peut dire, en tout cas du point de vue du ministère de l’Industrie ; nous sommes parfaitement conscients que nous ne pouvons pas accepter une concurrence venant de pays étrangers ; qui serait telle qu’elle conduirait à la disparition d’une activité qui est importante pour les approvisionnements de notre industrie. Autrement dit, nous souhaitons que les produits qui sont récoltés à partir du gemmage, notamment la colophane ou l’essence de térébenthine ; nous souhaitons qu’il y ait un approvisionnement français. Nous sommes parfaitement conscients que l’industrie française doit continuer à avoir un approvisionnement sûr. Du point de vue du ministère de l’Industrie, nous souhaitons vivement que cette activité se poursuive et se maintienne en attendant des jours meilleurs. En plus, nous sommes conscients que les gemmeurs sur leurs aires de récolte sont les facteurs, sont des garants de sécurité de la forêt d’entretien ; et représentent un facteur d’équilibre très important pour cette région du sud-ouest. Autrement dit, du côté du ministère de l’Industrie, vous trouverez sûrement un appui dans le débat que vous menez pour maintenir cette activité.Journaliste
À Mont-de-Marsan, le ministre a visité l’entreprise COSSEC qui emploie une centaine de personnes et dont la production représente environ 20 % de la fabrication nationale. Puis, ce fut le retour aux sources à Pissos, où Monsieur Rufenacht visita longuement la Maison des Artisans. Enfin, après Pissos, retour à Mont-de-Marsan pour l’inauguration du Centre de Formation d’Apprentis, le CFA de la chambre des métiers des Landes. La capacité du centre est de 300 places, 700 apprentis le fréquenteront durant l’année. Mais néanmoins, les problèmes de l’artisanat demeurent.(Bruit)