Visite du domaine de Solférino, domaine impérial de Napoléon III dans les Landes
24 avril 2015
02m
Réf. 00921
Notice
Résumé :
Le domaine impérial Solférino a été fondé par Napoléon III en 1857 sur 7 000 hectares au coeur des Landes avec comme objectifs de développer la forêt, l'agriculture et le progrès social. On y trouve une chapelle, des maisons identiques qui bordent les allées, vingt six cottages destinés aux ouvriers agricoles et neuf fermes expérimentales.
Type de média :
Date de diffusion :
24 avril 2015
Source :
FR3
(Collection:
19 20. Edition Aquitaine
)
Personnalité(s) :
Thèmes :
Lieux :
Éclairage
"Je veux faire du département des Landes un des premiers départements de France et, à la paix, un jardin pour ma vieille garde" aurait dit Napoléon Ier, à Tartas, en avril 1808, alors qu'il descendait vers Bayonne rencontrer le roi d'Espagne Ferdinand VII.
Ceci se passe quelques jours avant la naissance de son neveu, le futur empereur Napoléon III qui, de passage à Bordeaux en octobre 1852, déclare à son tour : " Ce que mon oncle avait projeté en faveur des Landes, je le réaliserai ".
Voilà un projet qui aboutit effectivement avec l'achat et l'aménagement par l'empereur d'un vaste domaine, créé ex nihilo en 1857, en regroupant de vastes landes prises sur les communes voisines de Commensacq, Escource, Labouheyre, Luë, Morcenx, Onesse et Sabres.
L'auteur du coup d'État du 2 décembre 1851 agit alors pour le rayonnement de la France, amorçant le processus de colonisation à l'étranger, engageant de profondes réformes sociales et économiques à l'intérieur. Sous son impulsion, Victor Duruy restructure l'Instruction publique, de grandes banques comme le Crédit Lyonnais et la Société générale voient le jour, les transports - surtout ferroviaires - se modernisent, on crée les grands magasins, Paris se transforme sous la direction du baron Haussmann alors qu'on entame la construction du canal de Suez. Quelques exemples empruntés à cette période marquée par une politique de libre-échange érigée en dogme sous ce régime.
Cependant, les ambitions de l'empereur ne se restreignent pas au milieu urbain. En Sologne, comme dans les Dombes et dans les Landes, sous son impulsion, on oeuvre également alors pour améliorer la condition de ces régions présumées insalubres ; pour le salut de leurs habitants et pour le prestige de la France.
Dès son arrivée au pouvoir en 1848, le jeune prince Louis-Napoléon, alors président de la Seconde République, avait déjà mis toute son autorité au service de cette cause, réclamant qu’un suivi d’affaires des assèchements et de la mise en valeur des Landes fût établi, suivant ainsi les traces de son oncle qui, au début du XIXe siècle, avait lancé le programme de fixation des dunes en Aquitaine, en cours d’achèvement dans ces années 1850.
Mais il emboîte surtout le pas à d'autres, issus du terroir, qui l'ont précédé bien plus tôt dans cette démarche salutaire. De fait, durant tout le XVIIIe siècle, la famille des captaux de Buch, les Ruat (1), leur homme d'affaire Peyjehan, de La Teste, Charlevoix de Villiers et les frères Louis-Mathieu et Guillaume Desbiey (2) prônent déjà la fixation des dunes par des semis de pins afin « de tirer parti des landes de Bordeaux quant à la culture et la population ». Leurs idées, reprises par Nicolas Brémontier, aboutissent à la mise en oeuvre, dès 1788, de la fixation des dunes de la côte landaise à l’aide de semis d’oyats et de pins. Ces travaux annoncent des bouleversements plus importants qui s'opèreront précisément sous le second Empire avec l'édiction de la loi du 19 juin 1857 relative à l’assainissement et à la mise en culture des Landes de Gascogne dans un contexte dominé par la personnalité de Jules Chambrelent.
Né en 1817, mort en 1893, Chambrelent est ingénieur des Ponts et Chaussées. Il diffuse des méthodes de mise en valeur forestières de la lande, s’inspirant de ses prédécesseurs et des expériences locales. Il promeut ces pratiques, à ses frais, sur son domaine de Saint-Alban, à Cestas (Gironde) valorisant 500 hectares de landes acquis en 1849, voulus comme un lieu de démonstration, d’expérimentation, de développement économique et de colonisation. D'autres propriétaires suivent son exemple, mais les résultats sont inégaux.
Il obtient cependant renommée et autorité scientifique en France et, en 1855, 20 000 ha de lande sont déjà assainis et ensemencés. L'empereur Napoléon III s'enthousiasme et acquiert lui-même en 1857 une propriété de 7 400 ha qui, érigée six ans plus tard en commune, est appelée Solférino en souvenir de sa victoire sur les armées autrichiennes (3).
Des travaux sont entrepris dans ce domaine impérial, sous la direction d'Eugène Tisserant (4) et de Henri Crouzet. Ce dernier, l’un des inspirateurs de la loi de 1857, est apparenté aux frères Desbiey ; il est polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées et il a une excellente connaissance du milieu géographique des Landes de Gascogne. Nommé à la tête de ce domaine constitué de cottages (5) et de fermes modèles, il en assure la mise en valeur alors que, par ailleurs, il contribue à la construction de routes agricoles et à l’assainissement de quelques zones humides, notamment le marais d’Orx, aux confins du Seignanx.
Dans une période où l'hygiénisme (6) prévaut, la réalisation des bâtiments à usage d'habitation et des unités de culture est particulièrement bien "pensée". Au moment où l'on détruit, au nom de ce même concept, les solides remparts gallo-romains de Dax, à Solférino, comme à Arcachon (7), on innove. Chalet impérial, maisons de maître ou demeures de colons, tous les projets architecturaux sont réalisés avec le plus grand soin, un souci d'esthétique réel et une grande rationalité.
Mais le Second Empire laisse bientôt la place à la IIIe République, à peine sept ans après l'érection de Solférino en commune. Suite au désastre de Sedan, le domaine impérial revient à l’État et, après la mort de l’empereur déchu, l’impératrice Eugénie récupère le bien et le revend en 1905. En 1910, ces terres atypiques de la Grande Lande passent pour l’essentiel dans les biens de la célèbre famille Schneider, celle des maîtres de forges du Creusot qui a précisément prospéré sous le Second Empire...
Signifiant « sans lieu » ou « nulle part », le terme d’« utopie », inventé par Thomas More au début du XVIᵉ siècle, s'est bien concrétisé ici, au coeur des Landes déshéritées, mais pour une période très brève ; aussi fugace qu'un rêve. Ravagé par les incendies de forêt dans les années 1930 et 1940, le domaine doit en effet attendre les années 1960 pour retrouver une véritable vocation agricole avec le développement de la grande culture du maïs dans les anciens marais du Platiet. Mais on est alors loin des idéaux de progrès social qui portaient les artisans du projet au XIXe siècle.
Seuls demeurent aujourd'hui les étonnants cottages alignés le long d'une route qui se divise en deux pour contourner la petite église Sainte-Eugénie : une sorte d'hapax architectural sur le territoire français (8).
Rien d'étonnant donc à ce que, plus d'un siècle et demi plus tard, on se soucie de conserver un patrimoine aussi original.
(1) Blanchard-Dignac (Denis), Le captal de Buch, éditions Sud Ouest, Bordeaux, 2011, 256 p.
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Fixation_des_dunes_en_Aquitaine
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Solf%C3%A9rino
(4) http://agriculture.gouv.fr/histoire/5_grands_noms/tisserand.htm
(5) Ce mot apparaît en France en1754, en référence à un type d'habitation que l'on trouve notamment en Angleterre. Flaubert, en 1842, le décrit comme une « petite maison de campagne d'une élégante simplicité » (Correspondance, p. 108) alors que ce terme dérivé du latin médiéval cotagium, désignait auparavant une simple tenure de closier, une petite maison de paysan.
(6) La doctrine hygiéniste a révolutionné l’ensemble des sociétés occidentales tant ses applications sont variées : médecine, architecture, urbanisme, crémation, etc. On peut ainsi mettre à son actif le développement des réseaux d’égouts, le traitement des eaux usées, le ramassage des déchets, la prophylaxie ou encore la lutte contre la tuberculose.
C’est dans le domaine de l’urbanisme que les théories hygiénistes ont connu le plus grand nombre d’applications : face aux transformations induites par la révolution industrielle, elles préconisent notamment d’ouvrir les villes « intra muros » souvent délimitées par d’anciennes fortifications afin de permettre une meilleure circulation de l’air et un abaissement de la densité de population. Les préfets Rambuteau et Haussmann à Paris mettront pour partie en pratique certaines de ces préconisations, notamment la création des transports en commun qui permettent à la ville de s’étendre.
(7) L'édification des villas hygiénistes de la "ville d'hiver" par les frères Pereire illustre parfaitement ce courant de pensée.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ville_d%27Hiver
(8) Un hapax désigne un mot qui n'a qu'une seule occurrence dans la littérature. Ce terme est un néologisme dû à John Trapp en 1654 (Annotations upon the Old and New Testament), créé à partir du grec ἅπαξ (λεγόμενον) / hápax (legómenon), « (dit) une seule fois ».
Ceci se passe quelques jours avant la naissance de son neveu, le futur empereur Napoléon III qui, de passage à Bordeaux en octobre 1852, déclare à son tour : " Ce que mon oncle avait projeté en faveur des Landes, je le réaliserai ".
Voilà un projet qui aboutit effectivement avec l'achat et l'aménagement par l'empereur d'un vaste domaine, créé ex nihilo en 1857, en regroupant de vastes landes prises sur les communes voisines de Commensacq, Escource, Labouheyre, Luë, Morcenx, Onesse et Sabres.
L'auteur du coup d'État du 2 décembre 1851 agit alors pour le rayonnement de la France, amorçant le processus de colonisation à l'étranger, engageant de profondes réformes sociales et économiques à l'intérieur. Sous son impulsion, Victor Duruy restructure l'Instruction publique, de grandes banques comme le Crédit Lyonnais et la Société générale voient le jour, les transports - surtout ferroviaires - se modernisent, on crée les grands magasins, Paris se transforme sous la direction du baron Haussmann alors qu'on entame la construction du canal de Suez. Quelques exemples empruntés à cette période marquée par une politique de libre-échange érigée en dogme sous ce régime.
Cependant, les ambitions de l'empereur ne se restreignent pas au milieu urbain. En Sologne, comme dans les Dombes et dans les Landes, sous son impulsion, on oeuvre également alors pour améliorer la condition de ces régions présumées insalubres ; pour le salut de leurs habitants et pour le prestige de la France.
Dès son arrivée au pouvoir en 1848, le jeune prince Louis-Napoléon, alors président de la Seconde République, avait déjà mis toute son autorité au service de cette cause, réclamant qu’un suivi d’affaires des assèchements et de la mise en valeur des Landes fût établi, suivant ainsi les traces de son oncle qui, au début du XIXe siècle, avait lancé le programme de fixation des dunes en Aquitaine, en cours d’achèvement dans ces années 1850.
Mais il emboîte surtout le pas à d'autres, issus du terroir, qui l'ont précédé bien plus tôt dans cette démarche salutaire. De fait, durant tout le XVIIIe siècle, la famille des captaux de Buch, les Ruat (1), leur homme d'affaire Peyjehan, de La Teste, Charlevoix de Villiers et les frères Louis-Mathieu et Guillaume Desbiey (2) prônent déjà la fixation des dunes par des semis de pins afin « de tirer parti des landes de Bordeaux quant à la culture et la population ». Leurs idées, reprises par Nicolas Brémontier, aboutissent à la mise en oeuvre, dès 1788, de la fixation des dunes de la côte landaise à l’aide de semis d’oyats et de pins. Ces travaux annoncent des bouleversements plus importants qui s'opèreront précisément sous le second Empire avec l'édiction de la loi du 19 juin 1857 relative à l’assainissement et à la mise en culture des Landes de Gascogne dans un contexte dominé par la personnalité de Jules Chambrelent.
Né en 1817, mort en 1893, Chambrelent est ingénieur des Ponts et Chaussées. Il diffuse des méthodes de mise en valeur forestières de la lande, s’inspirant de ses prédécesseurs et des expériences locales. Il promeut ces pratiques, à ses frais, sur son domaine de Saint-Alban, à Cestas (Gironde) valorisant 500 hectares de landes acquis en 1849, voulus comme un lieu de démonstration, d’expérimentation, de développement économique et de colonisation. D'autres propriétaires suivent son exemple, mais les résultats sont inégaux.
Il obtient cependant renommée et autorité scientifique en France et, en 1855, 20 000 ha de lande sont déjà assainis et ensemencés. L'empereur Napoléon III s'enthousiasme et acquiert lui-même en 1857 une propriété de 7 400 ha qui, érigée six ans plus tard en commune, est appelée Solférino en souvenir de sa victoire sur les armées autrichiennes (3).
Des travaux sont entrepris dans ce domaine impérial, sous la direction d'Eugène Tisserant (4) et de Henri Crouzet. Ce dernier, l’un des inspirateurs de la loi de 1857, est apparenté aux frères Desbiey ; il est polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées et il a une excellente connaissance du milieu géographique des Landes de Gascogne. Nommé à la tête de ce domaine constitué de cottages (5) et de fermes modèles, il en assure la mise en valeur alors que, par ailleurs, il contribue à la construction de routes agricoles et à l’assainissement de quelques zones humides, notamment le marais d’Orx, aux confins du Seignanx.
Dans une période où l'hygiénisme (6) prévaut, la réalisation des bâtiments à usage d'habitation et des unités de culture est particulièrement bien "pensée". Au moment où l'on détruit, au nom de ce même concept, les solides remparts gallo-romains de Dax, à Solférino, comme à Arcachon (7), on innove. Chalet impérial, maisons de maître ou demeures de colons, tous les projets architecturaux sont réalisés avec le plus grand soin, un souci d'esthétique réel et une grande rationalité.
Mais le Second Empire laisse bientôt la place à la IIIe République, à peine sept ans après l'érection de Solférino en commune. Suite au désastre de Sedan, le domaine impérial revient à l’État et, après la mort de l’empereur déchu, l’impératrice Eugénie récupère le bien et le revend en 1905. En 1910, ces terres atypiques de la Grande Lande passent pour l’essentiel dans les biens de la célèbre famille Schneider, celle des maîtres de forges du Creusot qui a précisément prospéré sous le Second Empire...
Signifiant « sans lieu » ou « nulle part », le terme d’« utopie », inventé par Thomas More au début du XVIᵉ siècle, s'est bien concrétisé ici, au coeur des Landes déshéritées, mais pour une période très brève ; aussi fugace qu'un rêve. Ravagé par les incendies de forêt dans les années 1930 et 1940, le domaine doit en effet attendre les années 1960 pour retrouver une véritable vocation agricole avec le développement de la grande culture du maïs dans les anciens marais du Platiet. Mais on est alors loin des idéaux de progrès social qui portaient les artisans du projet au XIXe siècle.
Seuls demeurent aujourd'hui les étonnants cottages alignés le long d'une route qui se divise en deux pour contourner la petite église Sainte-Eugénie : une sorte d'hapax architectural sur le territoire français (8).
Rien d'étonnant donc à ce que, plus d'un siècle et demi plus tard, on se soucie de conserver un patrimoine aussi original.
(1) Blanchard-Dignac (Denis), Le captal de Buch, éditions Sud Ouest, Bordeaux, 2011, 256 p.
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Fixation_des_dunes_en_Aquitaine
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Solf%C3%A9rino
(4) http://agriculture.gouv.fr/histoire/5_grands_noms/tisserand.htm
(5) Ce mot apparaît en France en1754, en référence à un type d'habitation que l'on trouve notamment en Angleterre. Flaubert, en 1842, le décrit comme une « petite maison de campagne d'une élégante simplicité » (Correspondance, p. 108) alors que ce terme dérivé du latin médiéval cotagium, désignait auparavant une simple tenure de closier, une petite maison de paysan.
(6) La doctrine hygiéniste a révolutionné l’ensemble des sociétés occidentales tant ses applications sont variées : médecine, architecture, urbanisme, crémation, etc. On peut ainsi mettre à son actif le développement des réseaux d’égouts, le traitement des eaux usées, le ramassage des déchets, la prophylaxie ou encore la lutte contre la tuberculose.
C’est dans le domaine de l’urbanisme que les théories hygiénistes ont connu le plus grand nombre d’applications : face aux transformations induites par la révolution industrielle, elles préconisent notamment d’ouvrir les villes « intra muros » souvent délimitées par d’anciennes fortifications afin de permettre une meilleure circulation de l’air et un abaissement de la densité de population. Les préfets Rambuteau et Haussmann à Paris mettront pour partie en pratique certaines de ces préconisations, notamment la création des transports en commun qui permettent à la ville de s’étendre.
(7) L'édification des villas hygiénistes de la "ville d'hiver" par les frères Pereire illustre parfaitement ce courant de pensée.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ville_d%27Hiver
(8) Un hapax désigne un mot qui n'a qu'une seule occurrence dans la littérature. Ce terme est un néologisme dû à John Trapp en 1654 (Annotations upon the Old and New Testament), créé à partir du grec ἅπαξ (λεγόμενον) / hápax (legómenon), « (dit) une seule fois ».
Bénédicte Boyrie-Fénié
Transcription
(Musique)