Jules Mousseron

12 février 1994
03m 08s
Réf. 00019

Notice

Résumé :

Dans cet extrait du portrait qui lui est consacré, on voit le "poète-mineur" Jules Mousseron déclamer ses poèmes sur une place de Denain. Charles Clément se souvient de ces apparitions publiques ou encore des soirées bachiques qu'il organisait pour les mineurs dans le besoin ou encore après la catastrophe des mines de "Courrières". Jacques Bonnaffé raconte une histoire de Cafougnette "L'portrait Saint-Denis". Jules Mousseron est resté mineur et a continué d'habiter dans son coron malgré sa popularité qui était telle que son nom et son image ont été utilisés pour promouvoir des produits divers. André Lebon, historien, relativise cette image en expliquant qu'à son époque Mousseron n'était considéré que comme un amuseur.

Type de média :
Date de diffusion :
12 février 1994
Source :
FR3 (Collection: Mémoires )

Éclairage

Jules Mousseron, né à Denain en 1868, a travaillé pendant 46 ans au fond tout en poursuivant parallèlement une carrière de poète et d'amuseur populaire qui le fit connaître dans le Bassin minier, mais également dans le reste de la France, notamment à Paris où il se déplaça pour présenter son "concert" - un "one man show" - . Toujours habillé avec le costume de travail des houilleurs de cette époque – le bourgeron blanc qui permettait au travailleur d'être clairement visible dans les galeries sombres et la "barrette", un chapeau en cuir bouilli, dur, protégeant la tête. Et ce n'était pas qu'un costume de scène : bien que décoré des Palmes académiques en 1908 et de la Légion d'honneur en 1936, il n'a jamais abandonné, jusqu'à sa retraite, son travail d'ouvrier mineur à la fosse Renard, ce qui lui valut le titre mérité de Poète-mineur.

Il entre à la mine à 12 ans après avoir obtenu son certificat d'étude et déjà il est passionné de littérature (il lit les " classiques") et d'écriture. Il maîtrise la technique de la versification qu'il utilise au début en français pour séduire celle qui deviendra sa femme. Un homme de lettre denaisien, Jurénil, lui conseille d'écrire en patois picard, celui des mineurs du valenciennois, le rouchi. Son premier recueil Fleurs d'en bas sort en 1897. Fin observateur, il décrit le travail du mineur et la vie dans les corons. En 1904 avec Coups de pic, coups de plume il obtient un succès qui dépasse Denain. Suivent entre autres Au pays des corons (1907), Éclats de gaillettes (1913) et La Terre des Galibots (1923). Retraité en 1926, exceptionnellement, la Compagnie d'Anzin lui permet de conserver son logement dans le coron plat de Denain et il poursuit alors son œuvre littéraire : Les Fougères noires (1926), Autour des Terris (1929)... (1)

Amuseur public, il développe une œuvre comique en créant en 1899 dans le monologue Cafougnette à Paris le personnage de Zef Cafougnette mineur truculent et généreux, vantard et plein de bon sens dont les histoires feront le succès des représentations publiques.

Les spectacles qu'il donnait, autour de ses textes, avaient très souvent pour objectif, notamment lorsqu'ils prenaient la forme d'une soirée bachique – du nom de Bacchus, dieu romain du vin – qui se déroulait dans un estaminet, de faire la preuve de la solidarité entre camarades de la mine. Ce sont, plus particulièrement, les victimes d'un accident individuel ou d'une catastrophe, comme celle de "Courrières", le 10 mars 1906, au cours de laquelle 1 100 travailleurs trouvèrent la mort au fond, qu'il faut secourir. Le fruit de la collecte qui était faite, à la fin de la soirée, était redistribué parmi les mineurs en détresse. Ce soutien financier contribuait à pallier à l'insuffisance du système de protection sociale existant dans les houillères avant 1914. Jules Mousseron aimait à penser le monde de la mine comme un lieu d'entraide et de camaraderie.

On peut se rendre compte de sa notoriété avec la somme des "produits dérivés" à son effigie, tels que des savons "entourés d'une poésie", de la chicorée, mais également des assiettes.

Le destin de Cafougnette a sans doute dépassé les espérances de son créateur. Des amuseurs qui n'avaient pas les qualités littéraires de son créateur l'ont récupéré et dénaturé le mot "cafougnette" étant utilisé pour des "blagues" en ch'ti sans rapport avec Mousseron. (2)

Mais le succès public pendant plus de 10 ans du spectacle de l'acteur douaisien Jacques Bonnaffé, Cafougnette et l'Défilé qui s'est fait, à son tour, le conteur des récits de Mousseron a montré la place de premier plan qu'occupe Jules Mousseron dans la littérature du Nord-Pas-de-Calais et plus largement dans la littérature minière.

(1) Le fonds des archives de Jules Mousseron a été remis à l'Université de Valenciennes et déposé à la bibliothèque municipale. Les couvertures des éditions originales de Éclats de Gaillettes, La Terre des galibots, Les Boches au pays noir, Fougères noires et Autour des terrils et Mes dernières berlines sont illustrées par Julien Jonas.

(2) Frédérick Maslanka, l'arrière-arrière-petit-fils de Jules Mousseron a par contre adapté avec succès en bande dessinée les histoires de Cafougnette ( dessins de Rémy Mabesoone , chez Imbroglio).

Diana Cooper-Richet

Transcription

(Musique)
Jacques Taquet
Si Mousseron a eu l’occasion de se produire plusieurs fois à l’extérieur de la région, notamment à Paris, il destine avant tout ses histoires à ses compatriotes denaisiens. Des histoires faites pour être dites, car à l’époque, ceux qui savent lire ne sont pas si nombreux. Dites toujours selon le même rituel.
(Musique)
Charles Clément
Il était seul sur scène, habillé en mineur comme on voit sur les photos. Là, il est habillé en bourgeron blanc, barrette, lampe et puis sa grande barbiche, il était assez imposant bien sûr. Et puis il récitait tout bonnement, tout simplement, seul en scène.
Jacques Taquet
Il bougeait ?
Charles Clément
Relativement peu, et il se déplaçait un tout petit peu mais en fait, il bougeait relativement peu, c’était très statique. Mais il n’avait pas besoin de bouger parce que il émanait quelque chose de lui quand même qui frappait les gens.
(Bruit)
Jacques Taquet
A Denain, Mousseron a gardé la réputation d’un homme honnête et généreux. Avant tout, grâce aux souvenirs des soirées bachiques où s’exprimait la solidarité entre mineurs, notamment après la catastrophe de Courrières en 1906.
(Musique)
Charles Clément
Quand il faisait une soirée bachique, il appelait ça, une soirée qu’il faisait dans des cafés, comme par exemple ici, et ils étaient réunis à une trentaine de camarades. Et puis, chacun racontait des histoires, disait des chansons, et puis ça se passait comme ça pour la soirée. Et puis, en fin de soirée et souvent, il y en a qui prenot s' casquette et ça permettait de donner quand même un petit secours à quelqu’un qui était dans la peine, dans la difficulté. C’était ça en fait le but de ces soirées bachiques, c’était pour venir en aide à quelqu’un, toujours.
Jacques Bonnaffé
[L'bon Cafougnette a ben encore de l'ouvrage à raconter l'fait d'un nouviau voyage]. Il a été faire un tour à Paris, du ce qu’il a vu l' portrait du grand Saint Denis. Ah oui qu'i dit, c’est fait par un bon peintre, c’est un bieau tableau, voilà comment on le représente. Le bon Saint, les mains loiées derrière sin dos, a li a coupé s'tiête d’un seul coup. Et par un miracle que chacun peut connaître,Saint Denis sitôt, il a ramassé s'tiète tranquillement, il s’est mis à se promener. Et c’est à ce moment-là qu’on a fait son portrait. Je ne comprends point, lui fait remarquer Polite, comment Saint Denis a fait pour ramasser ce caillou-là, le bon Saint, les mains loiées derrière son dos ? Ah bien c’est simple, lui répond Cafougnette, c’est avec ces dents qu’il a ramassé s'tiête. Ah dit Polite, ah c’est avec ses dents, ah et bien tu as raison, a c't'heure je te comprends.
(Musique)
Jacques Taquet
Jamais Mousseron n’a souhaité quitter la mine ou son coron de Denain, ni tenté d’abuser de son statut de symbole d’une confession et d’une cité.
(Musique)
André Lebon
Il était une vedette en ce sens qu’il était extrêmement connu et aimé et apprécié. Mais en fait, c’était plutôt un amuseur, si vous voulez, pour son époque, un amuseur. C’est nous qui découvrons Mousseron, Mousseron sociologue, Mousseron poète, Mousseron avec de multiples facettes. Non, c’était d’abord un amuseur.
Charles Clément
Ce n’était pas une vedette mais c’était quelqu’un que tout le monde connaissait.