Une maison de mineur à Denain

23 août 1985
05m 06s
Réf. 00241

Notice

Résumé :

Reportage à Denain dans une maison de mineur qui a été rénovée à la cité Chabaud-Latour. Albert Mayeux nous fait faire la visite de cette maison qui avait été construite par la Compagnie des mines d'Anzin. Il explique comment le logement était alors agencé. La maison possède désormais des toilettes et une salle de bains. Il n'y a plus de corvée d'eau. Albert Mayeux est le "maire", une tradition dans cette cité. A l'occasion, il accueille des groupes de touristes et explique comment la vie s'organisait dans le coron.

Date de diffusion :
23 août 1985
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

La cité de Chabaud-Latour est une "commune libre" qui symbolise l'organisation du coron et dont notre guide, pensionné après plus de quarante et un ans de travail, qui se nomme "maire", perpétue la tradition en rappelant la dureté de la vie des mineurs et de leurs familles.

Denain est au centre du Bassin minier, dans le Nord. La ville comptait quatre puits. Elle est devenue un lieu de mémoire, célèbre pour la fosse Renard creusée en 1836 et fermée en 1948 dans lequel le poète-mineur Jules Mousseron travaille de 1880 à 1926, et qui a reçu la visite d'Émile Zola en repérage pourGerminal en 1884 . La fosse Chabaud-Latour de la Compagnie des mines d'Anzin à commencé à extraire en 1847, mais est rapidement abandonnée. La Compagnie d'Anzin y a construit des corons plats en 1870. En 1924, la cité Chabaud-Latour Nouvelle est construite avec 15 maisons de "type 1922" de deux logements et 19 maisons de quatre logements.

Dans les premières images présentées dans ce reportage, aux corons de Chabaud-Latour Ancienne, l'espace de la mine parait immobile depuis la fin du XIXe siècle, ses aménagements sont inchangés. Il se compose des longues barres en briques de cent mètres de long, de type "1867 en ligne", répartis en onze lignes représentant 200 logements. A Denain, ces corons aux maisons jointes sont construites en pleine campagne sur le même modèle (un seul étage avec une buanderie, une cuisine et des chambres) par la Compagnie des mines d'Anzin. Chaque habitation possède une cour et un potager à l'arrière du bâtiment servant à cultiver et à étendre le linge. L'adjonction de jardin fait partie des politiques sociales de la plupart des compagnies qui offrent ainsi un complément essentiel au revenu familial. Le "jardin forcé", la présence de clapiers et de poulaillers, parfois d'une porcherie, palie l'insuffisance des salaires pour répondre aux besoins des familles le plus souvent nombreuses, avant comme après le statut du mineur de 1946. On note ainsi la présence de fleurs sur le devant de la maison mais leur absence dans les lopins de derrière. Par ailleurs, comme on le voit dans ce reportage, chaque ligne de coron dispose de son four à pain et de sa pompe à eau.

La vie du coron ou de la cité se caractérise également par un rigoureux partage des rôles entre sexes : l'homme est voué à la mine et la femme, mère ou épouse, au foyer. L'entretien de la maison, l'obligation de nettoyer le pas de porte imposée jusqu'aux années 1970, le lavage du linge dans la lessiveuse, la préparation des repas, son univers est celui du coron ou de la cité.

Les différences entre compagnies en matière de logement sont considérables suivant les périodes et l'habitat minier reste d'une grande variété. Les cités comme Chabaud-Latour Nouvelle se composent de maisons de trois pièces au rez-de-chaussée et d'une cuisine-buanderie, de deux chambres à l'étage, d'une cave et d'un grenier. Partout le confort reste précaire jusqu'aux rénovations entreprises par les Houillères avant 1974. Le tout à l'égout est alors installé dans 60 000 logements qui vont être cédés aux communes, environ 1 000 km de voiries privées sont aménagées mais les bases du confort moderne sont tardives. Alors que la poussière de charbon noircit tout et que le mineur de fond ne dispose visiblement pas de douche à la mine et doit se laver avant de rentrer dans la cuisine, il n'y a pas l'eau courante. La vie du mineur se caractérise par le labeur et l'inconfort, les Houillères depuis la nationalisation font très peu d'efforts pour améliorer des espaces qui leur appartiennent complétement jusqu'à la veille des fermetures. L'attachement du mineur à sa maison, le désir d'être chez soi, sont encouragés par le statut du mineur du 14 juin 1946 qui reconnaît aux actifs en charge de famille, pensionnés et retraités le droit au logement gratuit ou à une indemnité assurés par les Houillères (article 23).

Alors que les fermetures sont programmées depuis plus de vingt ans au moment du tournage, l'avenir du parc immobilier reste à définir, les reconversions sont difficiles et la confusion entre lieu de travail et lieu de vie ne facilite pas les réaménagements. Les corons restent occupés par des pensionnés et par des anciens mineurs, comme ce "maire" qui fait visiter cette cité pour préserver la mémoire de la mine.

A la fermeture du dernier carreau de mine du Nord-Pas-de-Calais en 1990, les Charbonnages de France possèdent encore 73 000 logements dont près de 55 000 dans cette région, certains n'ont jamais été restaurés. Le paysage en friche est difficile à reconvertir au terme de deux siècles d'activité charbonnière. Le devoir de mémoire dont se charge ce "maire" vise à éviter qu'une activité et une communauté qui ont fait la richesse de la région pendant deux siècles ne sombrent dans l'oubli. Travail récompensé puisque les cités Chabaud-Latour Ancienne et Chabaud-Latour Nouvelle ont été inscrites le 30 juin 2012 sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco.

Béatrice Touchelay

Transcription

(Musique)
(Bruit)
Albert Mayeux
Mon père était déjà à la mine, avant de partir à la guerre malheureusement. Il est parti à la guerre, et il n’en est pas revenu.
(Silence)
Albert Mayeux
Aux Houillères, j’ai fait 41 ans et huit mois exactement.
(Musique)
Marie Noëlle Chades
La cité Chabaud-Latour construite au voisinage immédiat d'un des quatre puits autrefois en exploitation à Denain, au total, 250 maisons. De ce côté-là, surtout dans la partie ancienne de la cité, toute l’organisation de l’espace et bien sûr l’intérieur même des habitations raconte l’histoire du mineur.
(Musique)
Albert Mayeux
Avant, il y avait une remise, c’était une buanderie qu'on appelait. Elle n’avait que 3 mètres de long et 2 mètres de large. Et dans cette salle-là, le mineur revenait, il y avait une cheminée, oui, et il y avait un feu, un feu au charbon, on touchait le charbon. Et la femme faisait bouillir de l’eau, elle attendait son mari. Et il se déshabillait dans cette buanderie, et il se lavait. Et quand il se levait, il prenait les linges derrière la porte, propres, pour entrer dans la maison.
Marie Noëlle Chades
Pour agrandir la cuisine, il a fallu grignoter sur l’arrière une partie du jardin. Et avec l’installation du confort sanitaire, c’est aussi toute l’époque de la corvée d’eau qui se trouvait résolue.
Albert Mayeux
Le jour de la lessive, le jour du samedi, on allait à la pompe, c’est des pompes extérieures. On revenait avec le charbon, on posait la boulosse, et c’est comme ça que ça permettait d’en avoir une d’avance. Mais il fallait une boulosse par terre et une boulosse sur la brouette. On prenait la brouette, c’est une brouette démontable, on mettait la boulosse dessus, et on remplissait la boulosse.
Inconnue 1
La boulosse, c’est quoi ?
Albert Mayeux
La lessiveuse.
Intervenante 1
Ah oui, d’accord !
(Bruit)
Marie Noëlle Chades
Il y avait un four à pain pour chaque coron, deux seulement ont été conservés. Monsieur Mayeux est ce qu’on appelle ici le maire, une tradition dans la cité. Régulièrement, il répond aux touristes du circuit minier.
Inconnue 2
Ça date de quand alors ?
Albert Mayeux
Ça fait 180 ans que les maisons sont faites ici. Puis, ils sont encore bons, il y a encore 1 000 ans.
Marie Noëlle Chades
Pourquoi vous étiez attaché à votre maison bien qu’il n’y ait pas de confort ? Vous n'aviez pas envi d'être relogé dans des maisons neuves ?
Albert Mayeux
Non, et déménager pour faire la rénovation, ça n’allait pas non plus. Parce que si tu quittes, ils disent, tu vas là-bas, il y en a un qui a eu le tour, on l’a vu ailleurs. Ils ne sont jamais revenus. Alors, ils ont dit, vous êtes là, vous restez là. Alors nous, on a dit, on ne sera pas pris, on reste là.
(Musique)
Marie Noëlle Chades
Avant qu’il soit question de rénover, les habitants avaient eu vent d' un projet de construction de HLM. Ils s’étaient organisés en comité de défense pour conserver leur maison. L’opération rénovation n’a pas touché aux chambres, où logeaient des familles plus nombreuses qu’aujourd’hui.
(Musique)
Albert Mayeux
Il n’y avait pas de confort, la rénovation est venue après. Mais par contre, il y avait tellement des mines, il y avait 4 000 pour Denain et elles étaient pleines, toutes les cités étaient pleines. Avec la fermeture des mines, on est quelques mineurs encore, et le reste est tout pensionnés.
(Musique)