Le Racing Club de Lens, club des Houillères

01 mars 1964
03m 05s
Réf. 00039

Notice

Résumé :

Monsieur Hus, président du RC Lens, explique le succès du club par la politique des jeunes, et l'aide des Houillères du Bassin Nord-Pas-de-Calais. Il explique que les joueurs sont employés aux mines et sont joueurs semi-professionnels. La direction des HBNPC "a compris le bien social que peut apporter une équipe de football dans une région où le football est roi". Il conclut "si on devait appeler le RCL Racing club minier, on serait plus près de la vérité".

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Date de diffusion :
01 mars 1964
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Éclairage

Fondé en 1906, au moment où le football-association se diffuse au sein des élites bourgeoises au Nord de la France, le Racing Club de Lens (RCL) est d'abord un club amateur, disputant les championnats régionaux USFSA (Union des sociétés françaises de sports athlétiques) avant 1914. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, son développement s'inscrit dans le processus de démocratisation du football. Vainqueur du Championnat d'Artois en 1926, l'équipe première du club intègre la Division d'honneur de la Ligue et suscite rapidement l'intérêt des dirigeants de la Compagnie des mines de Lens, qui voient dans le football un moyen de promotion de l'entreprise et de contrôle social efficace. Elle fait construire sous l'initiative de Félix Bollaert, son président, un stade conforme à ces ambitions. En 1934, Louis Brossard, ingénieur de la Compagnie et président du club, donne le statut professionnel avec un budget conséquent qui permet de recruter à l'extérieur des joueurs comme Georges Beaucourt (transféré de Lille pour 150 000 francs, une somme énorme à l'époque), l'autrichien Anton Marek, ou le hongrois Ladislas Schmidt (Siklo).

Intégrant l'élite des clubs professionnels en disputant le Championnat de deuxième division, l'équipe-fanion du RCL évolue dans un stade Félix Bollaert tout entier conquis aux exploits des "Sang et Or" avant que la guerre et la période de l'Occupation ne viennent contrarier la pratique du football. Vainqueur du championnat de la zone interdite en 1941 et 1942, de la Coupe de France 1942, le Racing remporte le titre de la zone Nord en 1943.

A la Libération, les Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais (HBNPC) nationalisées reprennent le club. Comme le montre Marion Fontaine (1), si avant 1940, l'adhésion des mineurs au club de supporters était limitée à cause de l'origine du club (bourgeois et patronal), ce sont les dirigeants communistes, sous l'impulsion du maire de Lens Auguste Lecœur, et de la CGT, qui vont faire du RCL un enjeu identitaire. Dans le contexte de la "bataille du charbon" et de la construction du mineur-héros, l'identité de classe est sollicitée autant pour supporter le club que pour mobiliser les militants. On peut effectivement alors parler de "Racing-club minier" qui dépasse les "chauvinismes" locaux. Après les grèves de 1948 et le départ des communistes et syndicalistes CGT des postes ministériels et d'administrateurs des Charbonnages, les Houillères reprennent en main le club en en faisant "un outil de pacification sociale et de contrôle social" tout en restaurant l'autorité des cadres. Elles favorisent alors le recrutement de joueurs locaux, d'origine polonaise, notamment Maryan Winiewski, Théo Szkludlaski, Stephan Ziemczak, Arnold Sowinski, poursuivant ainsi la politique d'identification et d'adhésion des ouvriers. Parallèlement, est créé le statut du "footballeur-mineur" qui permet de cumuler un emploi aux Houillères et un contrat de joueur professionnel.

Évoluant en deuxième division Lens est pourtant en finale de la Coupe de France contre le LOSC Lille, en 1948. Remonté en 1ère division, il termine 2ème en 1956 et 1957 et remporte la coupe Drago en 1959 et 1960. C'est à partir de la saison 1955-1956 qu'apparaît le blason avec sur fond noir, une lampe de mineur jaune lançant des rayons rouge, symbolisant ainsi le RCL comme le club des mineurs. Il sera modifié en 1968, toujours avec la lampe sur fond sang et or, puis la lampe ira s'intégrer en 1979 aux tours du blason de la ville de Lens.

Au moment du reportage, engagée dans le championnat de France de 1ère Division pour la saison 1963-1964, l'équipe affiche le visage d'un véritable club professionnel, en dépit des affirmations de ses dirigeants. Joueurs vedettes recrutés dans les clubs de l'Hexagone et joueurs étrangers composent l'ossature d'un Onze lensois auquel viennent parfois s'agréger de jeunes joueurs issus des clubs amateurs périphériques et précocement recrutés via les écoles de football gérées par le club. Régit par les HBNPC, le Racing des années soixante prolonge les formes de contrôle social de la population minière. Sport populaire et hégémonique, le football permet d'afficher et transmettre auprès des supporters les valeurs cardinales du monde la mine (sens du collectif, effort physique, abnégation, rendement...) au travers d'un effectif pro qui dispose d'avantages matériels conséquents (logements, primes, emploi "au jour" dans les bureaux, etc.). Le football peut alors paraître pour les plus jeunes comme un vecteur de promotion sociale qui, s'il permet d'échapper "au fond", contribue toutefois à véhiculer l'image des "footballeurs-mineurs" spécifique au RCL. Le match de football lui-même étant considéré par le président Hus comme un "loisir sain et fédérateur" qui, sous couvert d'activité récréative dominicale pour les familles, renforce le sentiment d'appartenance individuelle et collective au monde de la mine, par le truchement du Racing et de ses vedettes.

Le club termine 3ème cette saison-là avec la meilleure attaque du championnat : Georges Lech et Ahmed Oudjani. Malgré une victoire en Coupe Drago en 1965, les performances sont ensuite en régression. En 1968, les HBNPC diminuent leur aide, le Racing descend en 2ème Division, et en 1969, elles arrêtent de financer le club qui doit abandonner le professionnalisme. Le RCL doit évoluer dès lors en Championnat de France amateur. C'est grâce au maire de Lens, André Delelis, qui rachète le stade Bollaert, que le club revient en 2ème Division.

Bien que séparé de la tutelle paternaliste des Houillères, les valeurs de solidarité et de courage des "gueules noires", resteront encore de longues années les références du RCL. La chanson Les Corons de Bachelet est devenu un hymne dans les travées de Bollaert.

(1) Marion Fontaine, Le Racing Club de Lens et les "Gueules noires, Rivages de Xantons, 2011.

Olivier Chovaux

Transcription

Jean Crinon
Et Monsieur Bois siffle la fin du match sur la victoire de Lens qui garde la seconde place du championnat derrière Saint-Étienne. Ici, Jean Crinon qui vous a parlé du Stade Bollaert, à vous le studio.
(Bruit)
Albert Hus
Ouf, encore un point de gagné !
Michel Chastant
Voilà qui arrange vos affaires Monsieur Hus. D’ailleurs depuis le début de la saison, le Racing Club de Lens, que vous présidez, après avoir été joueur dans son équipe professionnelle, le Racing Club de Lens, donc, marche bien, très bien même ; et aussi bien coupe qu’en championnat. A quoi attribuez-vous ce succès ?
Albert Hus
Ce succès, je l’attribue certainement à la politique de jeunes que nous suivons depuis déjà de nombreuses années. Et cette année, grâce à l’entraîneur Fruchart, nous constatons avec plaisir que nous recueillons les fruits de cette bonne politique.
Michel Chastant
Le football traverse actuellement une crise sérieuse sur le plan financier notamment, or, en ce qui le concerne, le Racing Club de Lens semble avoir moins de difficultés que les autres clubs, pourquoi ?
Albert Hus
Cette politique de jeunes nous a permis justement de combler ce déficit qu’enregistrent tous les autres clubs. L’année dernière, nous avons eu la chance, je peux dire aussi nous avons eu la malchance, de devoir vendre Wisniewski, ce qui nous a permis de combler des trous.
Michel Chastant
Et comment se manifeste l’aide des Houillères ?
Albert Hus
D’abord, le travail au jour, tous nos joueurs sont occupés aux mines. Ils ont un emploi, ce qui nous permet, nous, Racing Club de Lens, de diminuer le traitement football.
Michel Chastant
Ce sont des semi professionnels ?
Albert Hus
Ce sont des semi professionnels depuis toujours ; depuis 34, le Racing Club de Lens a des semi professionnels.
Michel Chastant
Et l’intégration des joueurs à l’intérieur du personnel doit poser un certain nombre de problèmes. Alors pourquoi les Houillères viennent-elles manifester une aide quelconque à une équipe de football ?
Albert Hus
Parce que la direction du bassin du Nord-Pas-De-Calais a compris tout le bien social que peut apporter une équipe de football professionnelle dans une région où le sport, où le football principalement, est roi. Non seulement, ça permet aux spectateurs de bénéficier d’un après-midi en plein air le dimanche, mais également, ça attire sur les stades de tous les clubs miniers qui nous entourent un grand nombre de jeunes qui voudraient aussi, eux, faire partie de l’équipe fanion, du Racing Club de Lens.
Michel Chastant
Donc, vous suggérez de changer la dénomination du Racing Club et de ne plus l’appeler Racing Club de Lens.
Albert Hus
Ecoutez, en tant que Lensois, non. Je tiens plutôt à ce qu’on l’appelle le Racing Club de Lens mais il est normal et votre question est très pertinente, si on appelait le Racing Club de Lens Racing Club minier, on serait beaucoup plus près de la vérité.
(Musique)