Le Racing Club de Lens, club des Houillères
Notice
Monsieur Hus, président du RC Lens, explique le succès du club par la politique des jeunes, et l'aide des Houillères du Bassin Nord-Pas-de-Calais. Il explique que les joueurs sont employés aux mines et sont joueurs semi-professionnels. La direction des HBNPC "a compris le bien social que peut apporter une équipe de football dans une région où le football est roi". Il conclut "si on devait appeler le RCL Racing club minier, on serait plus près de la vérité".
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Éclairage
Fondé en 1906, au moment où le football-association se diffuse au sein des élites bourgeoises au Nord de la France, le Racing Club de Lens (RCL) est d'abord un club amateur, disputant les championnats régionaux USFSA (Union des sociétés françaises de sports athlétiques) avant 1914. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, son développement s'inscrit dans le processus de démocratisation du football. Vainqueur du Championnat d'Artois en 1926, l'équipe première du club intègre la Division d'honneur de la Ligue et suscite rapidement l'intérêt des dirigeants de la Compagnie des mines de Lens, qui voient dans le football un moyen de promotion de l'entreprise et de contrôle social efficace. Elle fait construire sous l'initiative de Félix Bollaert, son président, un stade conforme à ces ambitions. En 1934, Louis Brossard, ingénieur de la Compagnie et président du club, donne le statut professionnel avec un budget conséquent qui permet de recruter à l'extérieur des joueurs comme Georges Beaucourt (transféré de Lille pour 150 000 francs, une somme énorme à l'époque), l'autrichien Anton Marek, ou le hongrois Ladislas Schmidt (Siklo).
Intégrant l'élite des clubs professionnels en disputant le Championnat de deuxième division, l'équipe-fanion du RCL évolue dans un stade Félix Bollaert tout entier conquis aux exploits des "Sang et Or" avant que la guerre et la période de l'Occupation ne viennent contrarier la pratique du football. Vainqueur du championnat de la zone interdite en 1941 et 1942, de la Coupe de France 1942, le Racing remporte le titre de la zone Nord en 1943.
A la Libération, les Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais (HBNPC) nationalisées reprennent le club. Comme le montre Marion Fontaine (1), si avant 1940, l'adhésion des mineurs au club de supporters était limitée à cause de l'origine du club (bourgeois et patronal), ce sont les dirigeants communistes, sous l'impulsion du maire de Lens Auguste Lecœur, et de la CGT, qui vont faire du RCL un enjeu identitaire. Dans le contexte de la "bataille du charbon" et de la construction du mineur-héros, l'identité de classe est sollicitée autant pour supporter le club que pour mobiliser les militants. On peut effectivement alors parler de "Racing-club minier" qui dépasse les "chauvinismes" locaux. Après les grèves de 1948 et le départ des communistes et syndicalistes CGT des postes ministériels et d'administrateurs des Charbonnages, les Houillères reprennent en main le club en en faisant "un outil de pacification sociale et de contrôle social" tout en restaurant l'autorité des cadres. Elles favorisent alors le recrutement de joueurs locaux, d'origine polonaise, notamment Maryan Winiewski, Théo Szkludlaski, Stephan Ziemczak, Arnold Sowinski, poursuivant ainsi la politique d'identification et d'adhésion des ouvriers. Parallèlement, est créé le statut du "footballeur-mineur" qui permet de cumuler un emploi aux Houillères et un contrat de joueur professionnel.
Évoluant en deuxième division Lens est pourtant en finale de la Coupe de France contre le LOSC Lille, en 1948. Remonté en 1ère division, il termine 2ème en 1956 et 1957 et remporte la coupe Drago en 1959 et 1960. C'est à partir de la saison 1955-1956 qu'apparaît le blason avec sur fond noir, une lampe de mineur jaune lançant des rayons rouge, symbolisant ainsi le RCL comme le club des mineurs. Il sera modifié en 1968, toujours avec la lampe sur fond sang et or, puis la lampe ira s'intégrer en 1979 aux tours du blason de la ville de Lens.
Au moment du reportage, engagée dans le championnat de France de 1ère Division pour la saison 1963-1964, l'équipe affiche le visage d'un véritable club professionnel, en dépit des affirmations de ses dirigeants. Joueurs vedettes recrutés dans les clubs de l'Hexagone et joueurs étrangers composent l'ossature d'un Onze lensois auquel viennent parfois s'agréger de jeunes joueurs issus des clubs amateurs périphériques et précocement recrutés via les écoles de football gérées par le club. Régit par les HBNPC, le Racing des années soixante prolonge les formes de contrôle social de la population minière. Sport populaire et hégémonique, le football permet d'afficher et transmettre auprès des supporters les valeurs cardinales du monde la mine (sens du collectif, effort physique, abnégation, rendement...) au travers d'un effectif pro qui dispose d'avantages matériels conséquents (logements, primes, emploi "au jour" dans les bureaux, etc.). Le football peut alors paraître pour les plus jeunes comme un vecteur de promotion sociale qui, s'il permet d'échapper "au fond", contribue toutefois à véhiculer l'image des "footballeurs-mineurs" spécifique au RCL. Le match de football lui-même étant considéré par le président Hus comme un "loisir sain et fédérateur" qui, sous couvert d'activité récréative dominicale pour les familles, renforce le sentiment d'appartenance individuelle et collective au monde de la mine, par le truchement du Racing et de ses vedettes.
Le club termine 3ème cette saison-là avec la meilleure attaque du championnat : Georges Lech et Ahmed Oudjani. Malgré une victoire en Coupe Drago en 1965, les performances sont ensuite en régression. En 1968, les HBNPC diminuent leur aide, le Racing descend en 2ème Division, et en 1969, elles arrêtent de financer le club qui doit abandonner le professionnalisme. Le RCL doit évoluer dès lors en Championnat de France amateur. C'est grâce au maire de Lens, André Delelis, qui rachète le stade Bollaert, que le club revient en 2ème Division.
Bien que séparé de la tutelle paternaliste des Houillères, les valeurs de solidarité et de courage des "gueules noires", resteront encore de longues années les références du RCL. La chanson Les Corons de Bachelet est devenu un hymne dans les travées de Bollaert.
(1) Marion Fontaine, Le Racing Club de Lens et les "Gueules noires, Rivages de Xantons, 2011.