Un mineur italien à Waziers

17 mars 1976
03m 36s
Réf. 00227

Notice

Résumé :

Un immigré Italien originaire de Calabre mineur à Waziers et sa femme, racontent leur arrivée et leur installation en France. Pour eux, il n'est plus question de retourner en Italie.

Type de média :
Date de diffusion :
17 mars 1976
Source :

Éclairage

Comme beaucoup de mineurs venus d'Italie, Monsieur Carniato est originaire de Calabre. Le reportage le montre devant sa maison, la seule peinte en blanche dans le coron. Si le fond sonore rappelle l'Italie, l'image s'attarde longuement sur le paysage de la mine et ses spécificités. L'espace de la cité est structuré par celui de production que l'on voit en arrière-plan (fosse Notre-Dame). La différenciation des autres maisons se limite à quelques détails architecturaux, avec parfois une alternance des briques rouges et blanches, frises, pignons, linteaux, pilastres. Les allées et leur entretien sont la fierté des jardiniers-mineurs.

Monsieur Carniato raconte son arrivée : il a tout d'abord travaillé en Allemagne avant de choisir de venir en France où il avait déjà de la famille. Comme dans la plupart des reportages sur les populations étrangères installées dans le Nord-Pas-de-Calais, les deux questions majeures posées sont celles de l'adaptation et de la volonté de retour. A l'une comme à l'autre, le mineur répond en s'appuyant sur la place centrale de la famille : c'est elle qui a aidé le migrant à s'intégrer, c'est aussi parce que ses enfants sont mariés et ont des enfants en France qu'il ne souhaite pas repartir et n'envisage pas le départ de sa famille. Il dit aussi que ses enfants ont leur langue, le français. Son épouse, interrogée dans leur salle à manger, signe de ses qualités de ménagère et symbole de leur réussite, confirme elle aussi cet enracinement. "L'Italie c'est pour les vacances" dit-elle. Le reportage s'achève sur une ronde dans la cour de l'école, cadre majeur de cette adaptation des familles italiennes immigrées dans le Nord.

Ce reportage nous montre un contre-exemple de l'intégration italienne dans le Bassin minier. Contrairement à beaucoup de mineurs italiens et leurs familles qui n'ont pas réussi à s'adapter en France, d'autres comme ce couple venus de Calabre ne voudraient pour rien au monde retourner en Italie. Les retours dans le pays d'origine ont été moins importants que dans les projets initiaux des émigrés, y compris à l'arrivée de l'âge de la retraite. La crainte de perdre des avantages sociaux et matériels, un début de promotion professionnelle et un meilleur salaire que les mineurs italiens ne sont pas assuré de retrouver dans le Sud de l'Italie, la pression familiale exercée par un conjoint non italien et des enfants nés, scolarisés et mariés en France et comme c'est le cas dans ce reportage, expliquent les raisons pour lesquelles le retour en Italie est impensable pour une partie des familles italiennes.

L'intégration des italiens est facilitée par les lieux de sociabilité qui se développent pour maintenir les traditions italiennes. Les chorales de mineurs italiens, des cercles et foyers permettent à cette communauté de se rassembler pour jouer aux cartes, aux boules et parler du pays. Leurs pratiques religieuses sont également maintenues par des missions catholiques. Les Italiens mettent en place des cours d'alphabétisation mais aussi un apprentissage de la langue afin d'améliorer leur intégration.

Les deuxième et troisième générations d'italiens nés en France est caractérisées par une diversification professionnelle, dans un contexte de fermeture des mines, et géographique dans et hors de la région. On retrouvera beaucoup d'italiens travailler aux chantiers navals de Dunkerque par exemple. "Le monde de la mine et du travail dans un premier temps, l'école, la construction européenne et l'arrivée de populations plus lointaines dans un deuxième temps" ne sont pas étrangers à l'accélération de l'intégration des familles italiennes en France (1). Depuis le début des années 1990, le Bassin minier connaît une "nouvelle émigration" de travailleurs de très haut niveau (universitaires, banquiers, cadres d'entreprises). Des managers italiens ont ainsi fait leur apparition lors de la reprise de la société K-Way de Harnes ou la création de l'usine de tracteurs Fiatagri dans le Valenciennois. Ces derniers ne se mêlent pas aux anciens et fréquent d'autres milieux de sociabilité, créant un clivage entre la communauté italienne du Bassin minier.

(1) Rudy Damiani "Les Italiens : une immigration d'appoint", Tous gueules noires, Histoire de l'immigration dans le Bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, collection Mémoires de Gaillette, Éditions du Centre Historique Minier, Lewarde, 2004, pp. 85-109

Sylvie Aprile

Transcription

(Musique)
Philippe Coudert
Ce n’est pas par hasard si la majorité des immigrés, d’origine italienne s’est installée dans le Bassin minier, un petit peu de 16 000. On les retrouve à Valenciennes, à Douai, à Lens, à Denain. Et parmi eux, le mineur Carniato, né ainsi que sa femme à Calabre. Pour eux, l’Italie c’est fini, c’est fini si ce n’est pour les vacances de temps en temps. Les enfants sont tous nés en France.
Carniato
Ce n’est pas pour se distinguer, parce que je veux être propre, c’est plus propre. J’ai mis du béton partout, c’est pour moi être propre.
Philippe Coudert
Vous avez un peu de lumière, non ?
Carniato
Oui, quand il y a du soleil, oui, quand il y a du soleil, oui
Philippe Coudert
Oui, le soleil ne vient pas trop souvent ?
Carniato
Oh, ça peut aller, ça va. Quand a, quand y en n'a pas, il n’y en a pas.
Philippe Coudert
Dans le coron, une seule maison blanche, c’est celle de Carniato.
Carniato
Vous savez là-bas, peut-être dans la mer, on a la verdure et on tout ce qu’il faut, mais ici ça va quand même.
(Musique)
Carniato
J’ai quitté la Calabre, je suis parti en Allemagne. En Allemagne, ça n’allait pas pour mon tempérament personnel. Et je suis venu en France, parce que je voulais déjà être en famille ici. C'est tout, ce n’est pas parce que je n'avais pas de travail, j’avais 28 ans j’étais comme un taureau. Je voulais faire le travail que le gouvernement m’avait donné, mais ce n’était pas la joie. J’ai cherché mieux. Et ça serait encore plus le chercher mieux, si j’avais la possibilité.
Philippe Coudert
Comment vous avez été reçu en France ? Ça s’est bien passé, vous n’avez pas eu trop de problème d’adaptation, d’acclimatation ?
Carniato
Non, écoutez, c’est des petits problèmes d’acclimatation les premierstemps. Mais question accueil, je n’avais pas de problème et j’avais de la famille.
(Musique)
Philippe Coudert
Vous avez des enfants là, est-ce qu’elles avaient espéré qu’un jour, ils retourneraient en Italie travailler ?
Carniato
Franchement pas, non, franchement pas.
Philippe Coudert
Même au fond du cœur on n’y pense pas un peu ?
Carniato
Moi peut-être oui, mais les enfants, je ne crois pas. Les enfants, ils se sont installés ici, déjà il y a deux qui sont mariés et ils se sont installés ici. Ils ont leur métier, ils ont leur langue, tout ça, je ne crois pas.
(Musique)
Philippe Coudert
Ça vous dirait de repartir en Calabre ?
Intervenante
Non !
Philippe Coudert
Et pourquoi ça ?
Intervenante
Ben, je ne veux plus aller là-bas moi. Non, moi j’aime bien ici, puis je ne veux plus retourner là-bas. Aller en vacances si, mais rester toujours, non.
Philippe Coudert
Mais qu’est-ce qui a de bien ici ?
Intervenante
Ben, je me trouve bien là.
Philippe Coudert
Il n’y avait pas le soleil, il n’y avait pas la mer.
Intervenante
Oui, mais maintenant, je ne veux plus partir, j’ai tous mes enfants ici, ils se sont mariés, ils sont sympa. Puis, je ne veux plus bouger là.
Philippe Coudert
Vous êtes indéracinable alors.
Intervenante
Oui, je crois que je vais rester, c’est fini pour nous l’Italie.
Philippe Coudert
Comment avez-vous réussi à vous adapter à la vie en France, Madame ?
Intervenante
Mon Dieu,tout de suite, tout de suite que je suis venue en France, je me suis tout de suite adaptée à la vie
Philippe Coudert
La vie française ?
Intervenante
La vie française.
Philippe Coudert
Mais vous avez appris le français sur place ?
Intervenante
Après, avant c’était difficile, après deux ou trois mois, j’ai commencé à me débrouiller bien.
Philippe Coudert
Qu’est-ce qui vous a le plus aidé pour apprendre le français ?
Intervenante
Ben, je regardais beaucoup la télé, j’écoutais beaucoup la radio, puis j’ai parlé avec des gens français